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pages
Français
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2017
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Ebook
2017
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Publié par
Date de parution
28 juin 2017
Nombre de lectures
20
EAN13
9782342153903
Langue
Français
Ce texte de « pseudo-fiction » évite la banalité des souvenirs personnels en privilégiant l'approche du vocabulaire comme base de la mémoire. C'est bien par les mots que la mémoire atteint un but parfois surprenant. Elle est notre patrimoine qui se désintègre quand les mots n'ont plus d'écho. Le passé ressurgi conduit moins à la nostalgie qu'à l'étonnement. Ce qui fut vécu apparaît comme relevant de l'inconnu. Il en résulte une évocation – où l'humour n'est pas absent non plus qu'une discrète poésie – qui aboutit à une sorte d'ethnographie traitant des humbles – essentiellement ceux du monde paysan – mais aussi d'un style d'éducation et de formation intellectuelle devenu exotique. Les guerres qui ont ravagé les terres picardes sont vues par des témoins « d'en bas » avec une authenticité prenante. Les modes de vie d'une ruralité à jamais disparue laissent des traces inscrites dans le langage. Un personnage féminin au parcours modeste s'impose au gré des souvenirs en dépit de son apparente insignifiance. L'écriture alternant les formes verbales du passé et du présent rend perceptible le jeu de la mémoire et des mots. Ces pages sont un hommage à la langue française, à la variété et à la richesse des mots qu'il convient de révérer et de préserver, sans que le parler du vieux pays soit oublié, celui des gens dont nous venons avec plus ou moins d'intermédiaires.
Publié par
Date de parution
28 juin 2017
Nombre de lectures
20
EAN13
9782342153903
Langue
Français
Mots de mémoire - Mémoire des mots
Michel Roussel
Mon Petit Editeur
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Mots de mémoire - Mémoire des mots
Force des mots
À l’aube un peu avancée déjà du xxi e siècle, l’aventure est encore possible pour qui a huit décennies à son actif – ou bien plutôt à son passif ? Il lui est permis de s’embarquer pour un monde inconnu, sauf qu’à la différence du navigateur d’autrefois partant reconnaître des terres encore à l’abri des investigations intéressées, il s’agit pour lui de retrouver ce qu’il a déjà vu et qu’il croyait avoir oublié. C’est bien un territoire, des manières d’être, des croyances devenues exotiques qu’il exhume. Son étonnement n’est pas moindre que celui d’un Marco Polo ou d’un Lévi-Strauss traquant des peuplades cachées et des comportements jamais étudiés. Pour cette expédition en quête de ce qui fut et ne sera plus, la mémoire est la boussole et les souvenirs sont les amers. Les mots sont les vrais instruments de cette navigation incertaine où les repères sont moins sûrs que les étoiles.
Y a-t-il une mémoire des mots ou les mots sont-ils la matière même de la mémoire ? Ils sont bien les outils sans lesquels le souvenir ne serait que du flou et de l’éphémère. Ils sont aussi le filin qui retient la bouée de la mémoire ballottée sur l’eau tumultueuse de nos émotions. Ils nous emprisonnent tout autant qu’ils nous libèrent. Ils s’offrent ou se dérobent, obéissant à des caprices qui nous échappent. Nous ne pouvons pas nous en passer et c’est notre limite, mais ils nous ménagent d’innombrables ouvertures sur le monde tel qu’il est, tel que nous le croyons être, tel que nous le rêvons, tel qu’il fut, tel que nous voulons qu’il ait été. L’explorateur octogénaire progresse ainsi suivant un parcours qui ne laisse pas de lui ménager surprises et déceptions, amertume et joies. C’est un monde englouti qu’il découvre en lui-même sans autre espoir de le faire vivre qu’en l’éclairant du pâle éclat de ses réminiscences dont les mots opèrent la transmutation en images d’une netteté parfois confondante.
Encore faut-il admettre que ces outils ne sont pas disponibles comme on le veut. Ils sont là puis disparaissent ; ils vont et ils viennent à leur fantaisie. Le mémorialiste de ce monde qui fut sien doit faire avec. Il lui faut se laisser conduire, se tenir prêt à l’étonnement, accepter de n’être pas auto-crédible, au contraire du voyageur bénéficiant de l’adage « a beau mentir qui vient de loin » car il est l’auteur et le récepteur du récit. Saura-t-il jamais s’il n’invente pas à son tour en se racontant ce qu’il croit ou qu’il aurait aimé avoir vécu, pitoyable Hérodote de sa navigation hasardeuse à la recherche d’un continent perdu. Il sait pourtant de science certaine que des faits ont eu lieu, que des choses existaient, que des usages prévalaient. La mémoire, pour infidèle qu’elle soit, est notre patrimoine inaliénable qui se désintègre jusqu’à la dissolution finale quand les mots n’ont plus d’écho.
Est-il possible d’avoir vécu ces jours et entendu ces choses et se trouver maintenant exfiltré sur une planète où rien de tout cela ne se voit ni ne s’entend ? Point n’est besoin à coup sûr de quitter la chambre dans les heures d’insomnie pour redécouvrir d’autres hommes et d’autres mœurs. Une plongée dans les abysses de la mémoire lestée des mots d’autrefois y suffit bien. Un sésame est à notre disposition mais si, à en croire Arthur Rimbaud, « Je est un autre », qui est donc cet Adrien resté si présent et devenu si étranger ?
Paysans
Le mot même charriait encore avant la plus récente guerre toute une charge de jugements et de préjugés que les siècles avaient accumulés dans le reste de la société, y compris chez les ouvriers qui n’étaient pas les derniers à porter un regard critique sur les « bouseux » moins avancés qu’eux sur la voie des idées et du progrès, pensaient-ils. Ceux que le mot désignait avaient été, dans l’Occident antique puis chrétien, d’abord des esclaves dans les domaines des riches Romains ou d’anciens légionnaires nantis d’une parcelle par un général vainqueur, une fois leur service accompli, puis des serfs relevant du seigneur ou du monastère ou des laboureurs plus ou moins aisés. Dans ses Géorgiques, Virgile avait proposé une vision idyllique de ces hommes des champs ( o fortunatos agricolas… « trop heureux sont les cultivateurs s’ils sont conscients de leur bonheur »), complaisamment entretenue au xviii e siècle avec le hameau trop réel pour être vrai de Marie-Antoinette et qui fera l’objet d’innombrables clichés exaltant la vie à la campagne et la vertu de ses habitants. Cette vision rose dont la niaiserie cache mal la condescendance sera reprise par une George Sand avant que Zola ne lui oppose la noirceur de son roman La Terre .
Le mythe véhiculé par les écrivains aux mains sans cals connaîtra un dernier avatar avec le retour à la terre (et aux chèvres) de certains soixante-huitards dont quelques-uns ont pu atteindre vaille que vaille la sérénité dans l’inconfort. En réalité, depuis toujours le monde rural avait été représenté de deux façons : à l’heureuse paysannerie étaient opposés les êtres à peine humains dépeints par La Bruyère et dont Zola ou Maupassant devaient étaler l’abrutissement et la méchanceté. Il fallait se méfier : l’âme simpliste du paysan peut recéler une violence contenue qui s’est exprimée au cours des âges comme l’atteste le souvenir de la jacquerie, nom donné à la révolte des croquants du Beauvaisis en 1358 qui furent affublés du sobriquet dédaigneux de « jacques » et englobés dans le surnom de Jacques Bonhomme. Il arrive encore que, de nos jours, une sous-préfecture soit investie et polluée par des gens à tracteurs manipulant lait ou pommes en excédent quand ce n’est pas du purin !
Tenus en suspicion ou, au mieux, dépréciés, les paysans avaient toujours été nécessaires à la survie d’une société qui les traitait de haut. En ce premier tiers du xx e siècle, ils avaient démontré par le sang versé dans les tranchées que la patrie leur devait beaucoup mais les esprits « avancés » les accusaient encore d’être retardataires, réfractaires au progrès en dépit de l’école et du service militaire. Le jardinier de la Préfecture, dénommé ironiquement « le Préfet », pouvait ainsi toiser avec bonne conscience son beau-frère cul-terreux.
Oui, les gens de son enfance n’étaient rien que des paysans, autrement dit des gens de peu. Ils parlaient un patois qui paraîtrait débile aux raffinés sans culture d’aujourd’hui alors qu’il était bien plus riche que le jargon télévisuel à base d’anglais abâtardi. Leurs mots avaient trait à la terre, à la pluie, au gel mais aussi au blé qui pousse, à la folle avoine envahissante, au foin qu’il faut laisser sécher et encore aux animaux, partenaires résignés et incroyablement coopératifs pour un travail harassant, répété de saisons en saisons et de jour en jour. Ces gens-là ne se lavaient sérieusement qu’une fois la semaine en épargnant l’eau transportée à grand-peine depuis la citerne. Ils enveloppaient leurs pieds douteux dans des chiffons adoucis par l’usure et les introduisaient dans des chaussures alourdies par les rangées de gros clous que le cordonnier dit « le bouif » avait disposés avec une sûreté de main qui en garantissait la symétrie. Ils ne connaissaient de poissons que le hareng saur et le maquereau bien gras enveloppés dans du papier journal par le marchand ambulant. Adrien a mis des années à découvrir ce qu’est une sole dont les arêtes dessinées l’ont longtemps intrigué parce qu’elles ne ressemblent pas à celles du seul poisson qu’il connaît. Les siens ignoraient l’usage de l’assiette plate, la creuse servant successivement à recevoir la soupe épaisse ou claire puis la suite, lard et légumes, ou encore bœuf du dimanche. La viande grillée ou même rôtie leur était inconnue et le jambon était un mets de luxe réservé chez les plus aisés aux repas de première communion. Le fond de l’assiette retournée après avoir été saucée avec application servait à recueillir la ration de confiture ou de compote faites avec ce que voulaient bien donner les groseilliers ou les arbres fruitiers que les aïeuls avaient plantés judicieusement avec une prescience plus sûre que celle de nos experts. Il y avait plus ou moins de pommes suivant les années mais il y en avait toujours parce que la variété des pommiers y pourvoyait, arbres chéris dont la floraison s’étalait sur cinq ou six semaines, déjouant les attaques sournoises de la grêle et du gel redoutés jusqu’aux jours des « saints de glace » début mai.
Les saints, pas forcément vénérés avec conviction mais quand même respectés, étaient comme des poteaux indicateurs de l’écoulement du temps : gare à la pluie de Saint Médard que Saint Barnabé est censé compenser ; voilà la Saint-Michel proche et la facture du médecin arrivera car il se conforme à cette date consacrée comme l’ont fait son père et son grand-père qui ont accouché les femmes de génération en génération ; et puis viendra la Sainte-Catherine, moment où chacun sait que tout arbre prend racine. Ainsi passent les jours, identiques et monotones, tels que les ont vécus ceux d’avant.
La vie s’écoulait sans qu’il fût tellement besoin de mots pour la dire.
Patois
En franchissant le seuil de l’unique salle de l’école communale alors que la cour bruyante et animée sombre soudain dans le silence rompu par le passage d’une charrette aux roues grinçantes, le petit paysan de la fin des années trente se retrouve dans le village miniat