N être plus que naître…
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Description

À ceux qui meurent et qu’on aimait on dit adieu… Même les athées le disent. Nous n’avons tous que le même choix entre l’au revoir et l’à Dieu. Comme si l’adieu qui ne renverrait qu’au néant était impensable, indicible. Comme si même les athées ne pouvaient pas dire le non-être sans référence à un grand Être.
Mais quand décide de mourir un enfant à qui l’on a transmis la vie, et à travers elle l’invivable, alors l’indicible du « ne plus être », l’impensable du « comme si de rien n’aurait dû être », il faut pourtant tenter de les dire et de les penser.
De même que les études menées sur le Linceul de Turin, les témoignages des expérienceurs d’EMI (expérience de mort imminente) rendent compte de phénomènes qu’on ne peut ni reproduire ni expliquer dans l’état actuel de nos connaissances. L’hypothèse d’un au-delà, d’une vie après la vie ne peut pas plus être infirmée que confirmée. Une chose pourtant est sûre : nous faisons l’expérience du deuil. Et cette expérience se développe et s’affine tout au long de l’évolution. Laquelle ne l’a pas écartée comme une conduite inadaptée, mais continue de l’enrichir à travers la culture. Pourquoi ? Pourquoi notre cerveau ne s’affranchit-il pas du traumatisme qu’est la mort d’un être aimé ? Pourquoi notre mémoire se donne-t-elle le mal du souvenir ? C’est au retentissement de ces questions que ce témoignage fait écho…

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2019
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312065540
Langue Français

Extrait

N’être plus que naître…
S.L. Francesca Pesci
N’être plus que naître…
( Présence de l’enfant disparue)
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur aux Éditions du Net
L’imparfait du subjectif (dialogue anachronique)
La mère et les poisons (résurgences et métamorphoses du lien filial en amour de transfert et de contre-transfert)
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06554-0
Merci à Jocelyne et Claude Burdiat - Salomon
Nicole et Michel Tondu
Pierre - Jean Banuls
qui ont su aider notre fille sans discréditer sa famille.

Et à vous, mes chéries, mes amies de toujours,
Marie - Geneviève Rousseau , Isabelle Frilley , Claire Vernet - Lanzi ,
qui savez ce que c’est que perdre ce qu’on aime…

« La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance. […]
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle. […]
Tout ce que l’on fait on le fait pour les enfants.
Et ce sont les enfants qui font tout faire. […]
Ainsi tout ce que l’on fait, tout ce que le monde fait on le fait pour la petite espérance. »
Charles Péguy
( Le porche du mystère de la deuxième vertu )

« Le monde peut exister sans nous, c’est notre réalité de non-être ; nous pouvons disparaître de cette terre comme individu et comme espèce mais nous ne pouvons dire l’unité de nous-même – et non pas seulement notre individualité – qu’en disant notre unité avec le monde. »
Jean Gillibert
( Fantasme et simulacre en psychanalyse,
In Revue Française de Psychanalyse XXXVIII-4 )
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
C’est par ces mots qu’Albert Camus introduit le mythe de Sisyphe . Au beau milieu d’une guerre mondiale. Et dans un monde auquel une nation devenue folle tentait d’imposer son délire. C’était l’année de ma naissance.
Les hasards ou plutôt les déterminismes absurdes de la filiation ont poussé ton grand-père, Italien émigré en France au début des années 20, dont le jeune frère avait milité au fascio de Mussolini , et dont le père avait caché des Juifs , à exiger de ta grand-mère, sous la menace de la quitter, qu’elle accepte enfin, au bout de sept ans de mariage succédant à trois de fiançailles, de concevoir l’enfant qu’il désirait depuis toujours. Le moment était étrangement choisi : d’autres déterminismes, peut-être issus de ceux qui avaient présidé au destin d’Hitler , présidaient aux destins du monde auquel on me mettrait, pour lequel Albert Camus écrivait en s’interrogeant sur l’absurde.
Aloïs Schicklgruber, inscrit sur son certificat de baptême comme « fils illégitime » de Maria Anna Schicklgruber et d’un père biologique non désigné, était donc un bâtard portant le nom de sa mère, jusqu’à ce qu’elle épouse Johann Georg Hiedler, permettant alors à son fils de troquer son matronyme pour le patronyme de Hitler (les graphies n’étant pas fixées). Et ce, bien que Johann n’ait pas reconnu comme le sien l’enfant qu’avait conçu sa femme.
Devenu Aloïs Hitler à l’âge de quarante ans, Aloïs ex Schicklgruber épouse huit ans plus tard, en troisièmes noces, son employée de maison qu’il a récemment engrossée, Klara Pölzl, un ange aux yeux célestes, de vingt-trois ans sa cadette. Elle lui donne six enfants dont seuls deux survivront, parmi lesquels un dénommé Adolphe Jacob.
Adolphe Jacob Hitler était sans doute, si l’on en croit Sciences et Avenir ainsi que des recherches ADN , le petit-fils biologique du vieux baron Salomon Mayer de Rothschild, de lignée juive nord-africaine, banquier de l’empire austro-hongrois, premier Juif ayant été fait citoyen d’honneur de l’Autriche, anobli en 1822, grand baiseur de jeunes filles devant l’Éternel, et qui avait, lui aussi, engrossé sa servante, Maria Anna.
La rage inextinguible de l’épuration par le feu, la passion de la pureté ethnique prendraient-elles source dans cet opprobre originel, ce métissage inaccepté d’où Adolphe Jacob est issu ? Et la grandiose exécration de sa propre lignée l’aurait-elle inspiré à ériger des cathédrales de haine à la gloire de ce peuple élu qu’il incarnait, et qu’il désincarnait, de ces millions de frères de race , sinon de religion, en qui il n’en finirait pas de se détruire et de se célébrer ?
Je n’avais pas demandé à vivre ! Et surtout pas à venir, contre le désir de ma mère que l’idée de maternité terrifiait, dans ce monde envahi par le délire d’un homme et livré à la haine et à la destruction. Toute ma vie je me suis d’ailleurs jointe à ceux qui s’efforçaient de le changer. Mais toi, Nouche , tu as été conçue dans la foulée de mai 68, dans un monde en effervescente espérance, par des parents qui t’ont voulue, ensemble, et l’un de l’autre. À la rentrée, un de mes camarades du comité de grève de psycho, en me voyant enceinte, a mis affectueusement ses deux mains sur mon ventre et m’a dit, tout émerveillé, tout attendri : « Oh ! mais tu nous prépares un petit révolutionnaire ! » Tant d’avenir s’ouvrait devant toi… Il y avait dans ce mouvement tant de créativité, d’énergie généreuse, de ludisme et d’humour, tant d’affectivité, et parfois de tendresse. Nous t’attendions, ton père et moi, dans tant de bonheur, d’optimisme, imaginant ta vie se dérouler « comme un bel écheveau de laine », comme dit Péguy …
Et puis tu es venue au monde. Dans une clinique de merde que je ne connaissais pas, où m’avait envoyée mon toubib que je ne connaissais que peu depuis notre récent emménagement. Une clinique qui a fini par fermer après la mort de plusieurs nouveau-nés. Où on m’a laissée accoucher durant plus de vingt-quatre heures quasiment seule et livrée à des contractions si rapprochées qu’elles s’enchaînaient presque en continu, impuissantes à ouvrir efficacement le col de l’utérus. La jeune sage-femme, qui semblait très inexpérimentée, très désinvolte, s’en foutait complètement, n’a rien fait, prétendant que mon utérus n’était pas « mûr » parce que tu avais trois semaines d’avance. L’obstétricien est passé me voir à la va-vite. Je lui ai demandé de faire quelque chose. Il m’a dit qu’il n’y avait rien à faire. Puis s’est barré. Je ne l’ai pas revu.
Ton cerveau a manqué d’oxygène. Il a souffert. Mais personne n’a rien vu sur le moment. Il n’y avait pas encore de monitoring, on laissait à peu près faire la nature. J’ai vu passer ton beau petit visage entre mes cuisses, front relevé surmonté d’une petite mèche blonde, bout du nez en l’air et… les yeux grands ouverts, tout bleus. La sage-femme m’a dit de pousser encore un peu pour les épaules, puis t’a sortie très facilement : tu étais toute petite, toute douce.
Albert Camus était un homme. S’il eût été une femme, et l’une de mes contemporaines, de celles qui dans notre pays ont conquis les premières le droit de disposer de leur corps et le contrôle chèrement payé de leur fécondité, il eût peut-être nuancé son point de vue. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être transmise est une question plus fondatrice que de juger qu’elle vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue. Car elle m’implique bien au-delà de moi-même. Elle engage un avenir dont nul ne sait les lointaines conséquences, et sur lequel j’ignore jusqu’où s’étendent mon devoir et mon droit.
Imaginons ce qu’aurait pu être le monde si Klara Pölzl épouse Hitler avait voulu et pu refuser d’enfanter… Tentons d’imaginer ce qu’il aurait pu être si Klara Pölzl épouse Hitler n’avait pas mis au monde celui par qui ces millions d’hommes, de femmes, d’enfants, exterminés dans la Shoah, ont été privés de descendance…
Adolphe Jacob n’a pas laissé de descendance. Adolphe Jacob a fait raser par les nazis, en 1938, Döllersheim, village natal de son bâtard de père.
Il y a quatre mois aujourd’hui que tu as déserté ta vie. Cette vie que je t’avais donnée. Et me voilà rejoindre la cohorte des mères qui ayant perdu un enfant doivent faire cette chose insensée, privée de sens, de signification comme de direction juste, cette chose contre-nature et qui consiste à lui survivre.
Et me voilà rejoindre aussi l’armée des ombres, de ceux que le départ volontaire assumé d’un proche a condamnés à vivre comme on condamne à mort : hantés de questions sans réponse. Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Qu’est-ce que j’aurais dû voir que je n’ai pas vu, prévoir que je n’ai pas prévu ? Quand et commen

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