Ombre, fumée et songes...
338 pages
Français

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Ombre, fumée et songes... , livre ebook

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Description

« Tout au long de la route, je pensais à Paul, comme ça, sans me remémorer sa vie, nos actions... Il était là, sa présence m'entourait. C'était donc lui ! Je ne pus m'empêcher de sourire... Ce passager intraitable, exigeant, qui, en m'accompagnant depuis le matin, m'avait permis, à travers son regard, de voir plus loin, au-delà de mes images mémorisées, apprises, ce monde différent, libéré de mes pseudo-connaissances, et dans lequel mes certitudes s'envolaient... Enfin, le peu que j'avais. » Plonger en mer, plonger dans sa mémoire... Ces deux actes sont plus proches qu'il n'y paraît, et le texte de L. Milon le démontre à sa façon, en développant une atmosphère sourde, cotonneuse, labile... Ainsi les souvenirs semblent-ils émerger comme à la faveur du flux et reflux de la mémoire... Et les événements qui ressurgissent, les figures qui réapparaissent, les lieux qui se redessinent, souvent chargés de mélancolie, de composer une œuvre en demi-teinte, à l'ambiance quasi fantasmagorique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342033144
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ombre, fumée et songes...
Lucien Milon
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Ombre, fumée et songes...
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ombre, fumée et songe…
 
 
 
Paul… « le scaphandrier »
 
 
 
Cela paraissait si simple de raconter un peu de l’existence de Paul Milon, l’un des sept fondateurs de la société.
Si je souligne sa présence, c’est simplement pour marquer sa place dans cette création mûrie presque machinalement par la passion encore inconsciente d’une bande de garçons et filles à se retrouver et vivre leur attirance pour les gouffres, les grottes et la mer… dont la société, au fil du temps, devait devenir l’aboutissement de cette formidable irréflexion.
Pourtant, à la lecture de mes ébauches, l’énumération répétitive des situations et des faits pouvait, à quelques nuances près, s’appliquer à l’ensemble de l’équipe fondatrice.
Cela ressemblait trop à un constat, un rapport que l’on écrit par obligation et dont, à la réflexion, on n’a rien à foutre. L’essentiel étant resté à jamais là-bas, dans ce chantier terminé dont on ne peut se défaire.
C’est vrai, en le quittant on se sent fatigué… vide… avec l’envie de s’arrêter… d’être seul dans ce grand silence revenu qui descend sur le fleuve dès l’arrêt des engins. Sous le pont, dans la pénombre de la voûte, une dernière fois caresser la pierre d’où semble sortir en un flottement rapide une ombre ancienne, ou bien n’était-ce encore qu’un reflet noir de la nuit… Qui sait ?
La pierre tout à l’heure tiède sous la main est devenue froide. Il est temps de partir.
 
Paul, le dernier jour aimait s’attarder un long moment sur son chantier avant de le quitter… Et je n’ai jamais bien su où il était, avec qui… Mais dans ce monde que je ne voyais pas, il valait mieux le laisser tranquille. Autant il pouvait se montrer chaleureux dans la vie ordinaire, attachant… il suffisait qu’il soit là, ou qu’il arrive parmi les autres, pour que les sourires reviennent, et que les visages s’éclairent spontanément. Autant il devenait inaccessible, inabordable, presque inquiétant par la sauvagerie de son attitude quand il partait là-bas… Mieux valait ne pas le déranger et, pour lui parler, attendre son retour de ce voyage dont il ne disait rien.
Il aimait passionnément les ouvrages d’art en pierre construits il y a des siècles. Ponts à voûtes multiples, môles, digues. Et à une époque, un moulin, alimenté par la Marne et situé à Noisiel – pas très loin de Paris –, dont il parlait souvent tant il avait été surpris voire admiratif en constatant que le maître d’œuvre avait poussé le raffinement de la construction jusqu’à faire sceller les moellons d’appareillage dans des joints et lits en plomb.
La difficulté pour en comprendre la raison est que je ne sais plus si ces joints se trouvaient dans la rivière ou bien hors d’eau. Ce qui change totalement leur fonction : barrière d’étanchéité, renforcement de l’ancrage. Je ne me souviens plus de ce détail sur lequel il avait dû très certainement insister. Passons.
 
J’avais aussi pensé un court instant, pour donner à ce texte un peu de vie et de souffle de l’équipe créatrice, mêler les personnages, préciser leur rôle dans les discussions, les décisions, enfin tout ce qui fait l’entreprise.
Immédiatement, je me suis rendu compte de l’impossibilité de le faire. Surtout, ce qui compliquait encore les choses, du fait que de nombreux arrivants venus d’autres formations faisaient maintenant partie de la société.
 
Car chacun a une mémoire, une façon différente de voir et de se rappeler, et a plus de facilité pour raconter son histoire que pour raconter celle des autres. D’autant que certains racontent si bien la leur qu’on se demande parfois si l’on a vécu les mêmes choses. Il faudrait aussi, par complaisance, admettre qu’au fil des jours d’autres venus sur des terres déjà défrichées en parlent trop souvent comme s’ils les avaient connues en jachères. Mais parfois cela va trop loin et devient agaçant, cette confusion répétitive de quelques-uns à vouloir, avec le temps qui passe, s’attribuer des mérites qu’ils n’avaient pas.
 
Enfin pour tout dire, je traînais lamentablement. Rien ne ressemblait à ce que je voulais traduire de ce sentiment que Claude – mon amie Claude, sa femme – avait réveillé en me demandant d’écrire ce texte en souvenir de Paul. Pour Paul, bien sûr, mais aussi pour éviter que ne soient oubliés les disparus des chantiers : Justome, Chevillon, Perlot dit Larouille, Dereudre… il y en a tant. Tant de ces scaphandriers, plongeurs, appelés aussi démineurs, hommes-grenouilles, nageurs de combat, suivant les actions accomplies et les modes du moment. Tant dont l’ombre erre encore au fond des eaux et dont on se souvient un peu moins chaque jour qui passe.
Me projetant ainsi dans ce passé que je croyais avoir éloigné, effacé par la mort de Paul, de nouveau je m’étais senti coupable. La démarche de Claude m’avait ramené à la chapelle de Saint-Malo, au début de mon abandon et de cette fuite incontrôlable qui avait fait de moi un pérégrin sans passé, oublieux de ses attaches. Conscient de ma lâcheté, je pensais atténuer un peu mon remords en répondant à sa demande. Mais je n’alignais que quelques bribes de ce passé, comme retenu par un interdit implacable, bloqué par une image, une phrase difficile à terminer, j’étais incapable d’aller plus loin.
 
 
 
Prémices et doutes
 
 
 
Par chance, en fouillant dans mes documents, j’ai retrouvé un cahier utilisé au Liban il y a quarante ans.
Dans un passage, des annotations sur la réunion de la rue Saint-Antoine qui décida de la création de la société SGTMF (Société générale de travaux maritimes et fluviaux), alias Sogetram, négligemment abrégé quelques années plus tard en Sogé… puis plus rien. Cela devait arriver avec cette stupide manie de certains à raccourcir les mots par des apocopes tout juste bonnes à être baragouinées. De ces irrespectueux, accapareurs des noms qu’ils dénaturent de leur pouvoir par une prononciation inarticulée, sans force, où la pensée s’absente. Que pouvions-nous en attendre, sinon, dans la mollesse de leur trop prudente routine où tout se dilue, s’endort à force de réitérations, la fin de la passion créatrice, une fin prématurée ?
Le vent se lève… Il doit faire mauvais là-bas, au large. Restons à quai… Soyons sérieux… Restons à quai…
 
Pour nous, Sogetram, on le prononçait comme le nom d’une personne qui est là, tout près, comme on le fait pour quelqu’un qui compte, où chaque syllabe de son nom se détache comme une note de musique.
Sogé, ce terme m’avait toujours déplu, comme m’avaient déplu et me déplaisaient encore ces sournois, fadoches administratifs attachés à l’histoire de cette époque, et pour mémoire, responsables de la défiguration de l’esprit de cette création.
 
Pourquoi tout à coup penser avec agacement à ces événements fâcheux, mêlés à ces choses anciennes que dans l’ensemble je ne regrettais pas ?
Vieilles rancunes tenaces qui remontaient de ma mémoire. Enfin passons… Et puis, pour être tout à fait juste, et je mesure la difficulté à rester impartial après ce que je viens de dire, autant que ces compagnons trop subtils dans la présentation chafouine de leurs arrangements, je porte moi aussi la responsabilité de notre défaillance à faire respecter l’esprit du clan qui, rue Saint-Antoine, présidait ce soir-là la création de la société.
 
Claude, je m’en voulais d’avoir répondu à ta demande… puis je m’en suis voulu encore d’avantage d’avoir gardé, rien dit pendant des années de ce qu’il était et de ce qu’il avait apporté, marqué par son action.
Mais maintenant que tout ce que tu as fait surgir a repris sa place, j’ai perdu définitivement ce qui me restait de ce malaise ressenti pendant la réunion de la rue Saint-Antoine, impression d’un malheur en attente, qui rôde avant de faire son choix. Souvent, dans le contentement d’un bonheur, il revenait comme une lourdeur prégnante me rappeler qu’il était là, peut-être derrière la porte, attendant pour rentrer que quelqu’un la pousse.
À la réflexion, mon repentir lointain, dont je ne comprends plus le sens, m’a enlevé tout remords. Surtout d’avoir été celui qui voyait s’assombrir les choses auxquelles il ne croyait plus guère, et sans rien dire, sans rien faire, un peu pour prolonger le rêve commun, un peu par lassitude, les regardait disparaître avec ce mauvais plaisir que laisse la triste jubilation d’avoir pressenti que tout était dit depuis le premier jour… et ce goût amer qui revenait, parfois comme un reproche, me rappeler ces visages, ces voix des compagnons d’avant qui attendent, dans ce chemin que nous avons perdu, une réponse, qui ne viendra jamais, pour repartir vers cet ailleurs dont nous étions si près à l’arrivée des autres.
 
 
 
Création de la société
 
 
 
Le cahier était toujours ouvert devant moi, et de ma terrasse le parfum des freesias m’arrivait par bouffées, des souffles légers, frémissements de la brise de mer qui se levait sur la rade de Toulon. Déjà midi. Retenu par cette raillerie sarcastique venue du passé, je n’avais guère avancé. C’était bien, cette balade ! « Alors ? Encore en train de rêver ? » J’entends sa voix, celle d’hier… de maintenant… sa voix.
En jubilant, j’ai repris ce fil interrompu en le remontant loin en amont, là où s’est fait l’esprit de la société à travers l’équipe du clan Claude Sommer des Éclaireurs de France.
 
Mais l’esprit « clan Sogetram » ne peut être qualifié que par les actions de chacun, et par l’influence étrange

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