Originaires
249 pages
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Description

Originaires explore les trajectoires biographiques des ascendants maternels de l’autrice. Depuis la Pologne des années  1920, des échanges photographiques au long cours au sein de ces familles éclatées permettent de saisir, confrontées aux archives, les logiques de leurs déplacements, exils, retours, fuites et déportations sur trois continents et quatre générations. De dévoilements en réajustements, l’enquête d’Eva Charbit met au jour des itinéraires méconnus et suit les traces d’une post-mémoire familiale polyphonique où le vrai cède parfois le pas au vraisemblable et à la fable. Elle s’attache à sonder le « nous » des descendants, dans leurs tentatives de reconstruction d’un espace-temps commun, et le «  eux  » d’une famille juive polonaise parmi des millions, dans une approche micro-historienne, avec les instruments méthodologiques de l’enquête historique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 décembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304053920
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Eva Charbit
Originaires
Histoire, trajectoires et mémoires d’une famille juive polonaise
Éditions Le Manuscrit Paris


© Éditions Le Manuscrit, décembre 2022.
ISBN 978-2-304-05392-0
Avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.



À ma grand-mère, Edzia Fuks À Tante Sophie, Cypojra Fuks À ma mère, « une vraie petite Fuks »


Préface
Audrey Kichelewski
Eva Charbit m’a contactée en juin 2021 pour l’aider à déchiffrer et interpréter un document en polonais concernant son grand-père. Elle m’expliquait qu’elle était en train d’écrire les trajectoires biographiques des membres de sa famille juive de Pologne. Lorsque je reçus quelques mois plus tard le manuscrit achevé, je découvris un texte dont la sincérité me toucha autant que la rigueur de la démarche m’impressionna, le tout avec une réflexivité critique très éclairante.
L’autrice s’inscrit dans les pas de celles et ceux partis à la recherche des disparus 1 . De Nicole Lapierre sondant le silence des Juifs de Plock (1989) à Ivan Jablonka faisant l’histoire des grands-parents qu’il n’a pas eus (2012), en passant par l’influent Les Disparus de l’américain Daniel Mendelsohn (2007) et jusqu’aux récentes introspections historiennes de l’enfant caché Pierre Birnbaum (2019) et de Camille Lefebvre retraçant les trajectoires de ses quatre grands-parents (2022) 2 , les ouvrages ayant exploré l’histoire familiale, particulièrement lorsque celle-ci était marquée par les guerres et les exils se sont multipliés ces dernières années, sous l’effet conjugué de tendances historiographiques (histoire « par le bas », histoire des groupes minoritaires ou invisibilisés, micro-histoire – de la Shoah notamment) et de la « fièvre généalogique » 3 qui s’est emparée des sociétés occidentales depuis les années 1980. Pour autant, Originaires n’est pas une quête de connaissance d’un passé enfoui ou tabou, qui aurait été menée par simple imitation ou effet de mode. Comme l’autrice le précise dans le prologue, le silence dans lequel elle a grandi n’était pas un vide. La démarche s’inscrit plutôt dans la volonté de donner sens à ces « fragments de mémoire » et à « ces récits familiaux érigés au rang de fables ». Autrement dit, aller à l’encontre de ce qui avait été transmis comme précisément incommunicable.
Pour ce faire, il faut composer avec des sources fragmentaires et les récits de ceux « venus après ». Eva Charbit, qui appartient à la troisième génération, celle des « non-témoins » 4 , part ainsi à la recherche des univers et trajectoires de ses grands-parents, qu’elle a connus dans son enfance, la fratrie de ceux-ci et leur descendance. Il en résulte un voyage qui mène le lecteur, d’abord dans une bourgade au sud-est de Varsovie, lieu de villégiature bien connu « pour son air pur et ses sanatoriums », comme le rappelle Isaac Bashevis Singer, qui y résida régulièrement dans les années 1910. C’est de là ou des bourgs environnants de Petite-Pologne que viennent les arrière-grands-parents, que grandissent la grand-mère et ses sœurs. C’est de là aussi qu’une partie des fratries ou conjoints va partir, au plus tôt dès avant la Première Guerre mondiale et via l’Allemagne, comme les parents de Fajwel Rozenblum, pour d’autres dans l’entre-deux-guerres, à l’instar des quelque 400 000 Juifs qui quittent la Pologne durant cette période. Alors que plus du quart de ces migrations se dirigent vers la Palestine, dans l’arbre généalogique de l’autrice, cette destination ne fut choisie que par le grand-oncle, Moshé Rozenblat. C’est vers la France que se dirigent deux des cinq sœurs Fuks et c’est là qu’elles y rencontrent leurs conjoints, également immigrés juifs polonais.
Les chapitres suivants poursuivent l’exploration de ces destinées parallèles pendant la Seconde Guerre mondiale, entre ceux restés en Pologne et ceux qui avaient gagné la France. L’ensemble est non seulement documenté de manière extrêmement fine et rigoureuse, mais aussi replacé dans le contexte historique et social de l’époque, qui seul permet de mieux saisir les logiques de ces déplacements successifs, retours, exils, fuites, traques, déportations. Même le lecteur déjà familier de témoignages de rescapés juifs polonais ayant livré leur récit de survie en France ou plus à l’est, découvrira des pans méconnus de ces destins brisés. Ainsi par exemple le sort des Juifs étrangers incorporés dans les Groupements de Travailleurs Étrangers (GTE), à l’instar de Fajwel Rozenblum en juin 1941 à Soudeilles en Corrèze, dont il parvient à s’échapper à la fin 1942, parvenant à vivre caché, avec sa femme jusqu’à la fin de la guerre. Surtout, on est frappé par la mise en parallèle entre la famille, traquée en France, et celle restée à l’est, dont les destins sont tout aussi éclatés. Là encore, on découvre des itinéraires moins connus, comme celui des grands-parents de l’autrice et de sa grand-tante Hana, qui font partie de ces quelque 200 000 Juifs polonais qui survivront en Union soviétique, qui déportée dans un goulag de Sibérie puis évacuée au Kazakhstan, qui dans l’armée populaire polonaise du général Berling formée en URSS en mai 1943.
Le dernier volet se clôt avec les trajectoires croisées d’après-guerre, de ceux que l’autrice appelle à juste titre les « revenants ». La guerre ne signifie pas pour eux la fin des déplacements, volontaires ou forcés. À nouveau, les conjonctures et les choix personnels conduiront certains à migrer, ainsi des grands-parents de l’autrice, des gryner 5 arrivés de Pologne au sortir de la guerre, tandis que d’autres choisiront, pour un temps plus ou moins long, de demeurer dans leur pays de refuge, l’URSS ou la France. D’autres enfin préféreront des pays neufs pour se reconstruire – les États-Unis et Israël. À l’instar de la diaspora juive polonaise, cette famille est éclatée, et l’on suit avec intérêt l’extrême diversité des situations de ces rescapés et leur descendance entre l’Hôtel Moderne et Brunoy en région parisienne, mais aussi Jitomir en Ukraine soviétique ou encore New York, Tel-Aviv et même Berlin.
Cette enquête familiale ouvre donc de nombreuses portes pour découvrir des connexions inattendues entre des histoires d’exils et de survie de Juifs de Pologne sur un siècle, trois continents et quatre générations. En ce sens, sa portée va bien delà d’une entreprise généalogique ou d’un mausolée mémoriel. Il s’agit enfin d’une histoire réflexive et critique qui, loin de célébrer nostalgiquement un passé disparu, s’écrit avant tout au présent et s’interroge sur les objectifs poursuivis, présent de la démarche explicité dans le chapitre inaugural intitulé si justement « l’arbre de vie » qui part des sources écrites, des photos et des récits familiaux des descendants, glanés à Paris, Tel-Aviv ou New York pour « construire un espace-temps commun » aux vivants du présent. Le passé n’est pas convoqué par « devoir de mémoire », il ne s’agit plus d’en être prisonnier, mais au contraire, comme le dit si justement Eva Charbit, de « s’en ressaisir pour aller vers soi ».


1 Pour une analyse de la manière dont les historiens s’emparent de leur histoire familiale, voir « A History from Within: When Historians Write About Their Own Kin », The Journal of Modern History 94, 4, décembre 2022. Je remercie Stéphane Gerson de m’avoir donné accès à son texte avant sa parution.

2 Nicole Lapierre, Le silence de la mémoire. A la recherche des Juifs de Plock , Paris, Plon, 1989 ; Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus . Une enquête , Paris, Seuil, 2012 ; Daniel Mendelsohn, Les disparus , Paris, Flammarion, 2007 ; Pierre Birnbaum, La leçon de Vichy. Une histoire personnelle , Paris, Seuil, 2019 ; Camille Lefebvre, À l’ombre de l’histoire des autres , Paris, EHESS, coll. « Apartés », 2022.

3 Expression de Michel Winock, Jeanne et les siens , Paris, Seuil, 2003, p. 50 cité dans Stéphane Gerson, art. cité.

4 La discussion sur la notion de génération et l’expression de « non-témoin » se trouvent dans Aurélie Barjonet, L’ère des non-témoins. La littérature des « petits-enfants de la Shoah », Paris, Éditions Kimé, 2022.

5 Mot yiddish signifiant « vert » et employé par les Juifs d’Europe de l’Est immigrés en France avant la Seconde Guerre mondiale pour désigner ceux des leurs « nouveaux venus », arrivés après celle-ci : Sabine Zeitoun, Les gryner, 1945-1953. Des réfugiés juifs polonais en France après la Shoah , Le Manuscrit, Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2021.


Prologue
« Ils sont assis sur des valises », pouvait-on lire dans un rapport du département politique du ministère de l’Administration publique polonais au sujet des Juifs survivants, au printemps 1945 1 . C’est au fond de ma cave que gît la valise de mon grand-père. Avec ses charnières métalliques disjointes et ses sangles déchirées à force d’avoir servi, cet objet est une concrétion mémorielle qui matérialise et condense ses errances.
« Émigrants, diamants de la terre, sel sauvage,
Je suis de votre race,
J’emporte comme vous ma vie dans ma valise 2 ».
Marcel Cohen évoque magnifiquement cette nécessité de convoquer les plus menus faits de la vie quotidienne des disparus, de raconter leur absence à travers leurs objets familiers dont la trivialité possède une force de suggestion supérieure. Un sac à main, un instrument de musique, une paire de gants 3 .
C’est avec des objets du quotidien ayant appartenu à ses parents, et dont la matérialité même raconte leur histoire, que l’écrivaine, psychanalyste et photographe Lydia Flem a construit son Journal implicite, autofiction littéraire et photographique 4 , qui distille les indices et les traces d’une destinée parentale heurtée de plein fouet par la Shoah. Instruments de coupe et bouts de tissus cousus grossièrement viennent témoigner du chagrin transmis, jamais éteint. Dans Comment j’ai

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