Sa soeur
164 pages
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Description

Le jeûneur achève le règne du potentat qui exile les sujets dans l'étroitesse des foyers, partout où le monde fait par l'homme ne devient pas scène pour l'action et la parole. Il est dépris de la glu des foyers, de l'intimité des familles, il apporte le glaive qui sépare l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère ; il aura pour ennemis les gens de sa maison. Le jeûneur jeûne car il s'emploie au dénuement, échappé de l'emprise exacerbée de la quantité. Le jeûneur, par le miracle de la nudité dont il s'est emparé et de la dépossession qu'il met en œuvre, engage, par capillarité, la génération, à se délester de l'énorme excédent pétrolifère que représente l'objet.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 janvier 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342151121
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sa soeur
Gill Ronan
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Sa soeur
 
 
« Il y a une trame unitaire qui doit être recherchée par des efforts de synthèse »
(Ernesto Sabato).
I
Celles que tu vois habituellement se balancer dans la rue, que, au sortir de l’angle de ton immeuble, tu percutes, aujourd’hui tu leur ressembles, tu es elles, une longue tige érectile, l’abdomen saurien se développant sur la base de ses émancipations spiralées.
De préférence, ces jours-là, il faut mettre pantalon, un jeans, couloir venteux de lumières, le plus pouilleux soit-il, et dans lequel tout moule fessier devient méritoire.
Que le tronc danse sur ses bases, le tronc, berceau du roulis de la marche, il est si souple et reptile, c’est ta cittadella , petite cité ossue offensive à la chair. Le tronc est la signature anorexique, le tronc scelle ton combat.
Les jambes bien proportionnées, se fondent en mouvement, graciles ; que le jeans miteux, en prenant son pas sous le piquetage des feux, danse, franchisse le vent, augmente ce qu’ils disent, inclinés sur leur pente d’ombre, « tant de talent dans les jambes, et s’enlaidir comme ça ».
Pour la boulimique que tu es, sombre dans son corps, ces états paroxystiques de surpuissance, et charrois corollaires, tu les appelles : états de synthèse.
Tout l’être qui est le corps, où palpite la lumière blanche des seuils, se retrouve condensé, parfaitement élaboré autour de son axe.
L’état de synthèse se déclare quand la consistance du corps passe au degré catalyseur du processus autophage. La conscience du cran advient à une période où certaines régions typiques, s’étreignant dans l’un et le multiple, se sont sensiblement réduites : la tournure des hanches, le ventre, les bras, les épaules. Ce corps, mercuriel, en rotation vers une seule lumière, et soustrait du graphisme de ses formes, possède la vitesse de l’à-plat, il est apparenté à ses rectitudes.
Le déclic – conscience du départ des reliefs – survient avec la perspective d’une sortie mondaine, de la rencontre d’un groupe, ou d’un individu à séduire.
Ton corps bien étarqué est entré en induration, pour l’ensemble de ses tissus parfaitement lisses et cinétiques, il file sur la tière, la rangée souple des chemins qu’il induit ; il les fabrique à mesure qu’il avance, cet animal autonome que ton cerveau n’asservit pas, va plus vite que quelconque entendement, il est plus fort que le ratio des lunes, il n’est que lui ; que le corps en lui-même souple indéterminé. Il appert de ce corps qu’il entraîne tous les autres et à sa suite, les cerveaux laborieux.
Rien ne le précède car il est élémentaire, il est aussi l’unique lieu pacifié où demeurer.
À ce stade, tu peux t’insinuer dans le rôle, celui d’une longue frappe commune. Tu es la base neutre, mais tu arbores aussi cet air crâne de voyou, dont le mutisme délesté d’émotions en fait une longue gouape insensible. Dans la colonne de ses sens, tout y est involuté ; parmi eux, le sens moral se maintient au bas niveau de la négligence, assorti de son geste omis ou nonchalant.
La fille se glisse dans ses gestes comme dans un étui, de cette sculpture émane une dynamique muette et suivie. Les gestes se font, ils sont organiques, émergent d’eux-mêmes. L’état est somnam­bulique.
Tout s’échapperait du regard versé sur la surpiqûre jaune de son jean à l’entrejambe, en position assise et mollie, juste à la section du siège, l’aval de la surpiqûre. Tu t’attardes sur cette leste platitude, les formes filent de part et d’autre de la surpiqûre, cette part si plane.
Alentour, il n’y a ni excroissance ni forme indue dénivelée, rien ne vient arrêter ce désir de réal-androgynie .
La démarche incorporelle et pleine de grâce est d’une économie impeccable. Les gestes se dessinent dans cet état onirique, coordonnant. Les gens s’en étonnent, emplis de dévotion. Un geste large, dérivé, enveloppant. Un geste qui dompte l’espace et la pesanteur, orienté vers le noyau, tellurique, exclusif de celui, aérien, enchaîné au mouvement vibratoire des particules.
Comme au quotidien, mais avec ce décor de fête ; les gens s’agitent et se groupent autour du geste.
Cette endémie est libre et sans effort. Le mime est spacieux, accablant, synergique. On se déplace au même rythme que l’univers, merveilleux suivi de la grâce, sans trêve. Ce qui suffoque est ce travail permanent qui ne se souvient pas de son effort. Au bal, quand retentit l’appel, tu prends la cambrure, celle du voyou dur, symbolique, offensé  ; le tronc se meut sur la base. Tu pénètres dans le module de toutes ces sottes au visage altier qui se savent belles, et t’ensevelis à la croisée d’un autre regard : le regard oblique des femmes envieuses et mauvaises, le regard convexe des hommes de rue qui se retournent, le regard des hommes blasés, leur doux dédain qui se déclive en biais.
Mais le regard qui jamais ne croise, telle est la direction. Tu portais sur les champs, fumant encore, une perruque de beaux cheveux épais châtains mi-longs, souvent, à la ferry, elle se basculait un peu.
Après un cycle expansion-chair, tu sens ton corps se transformer, le voyage a commencé. Poussant l’aventure au-delà de la haie, tu touches d’abord les hanches : le pli excédant de la hanche sur le sillon iliaque, le pannicule adipeux sous-cutané ont disparu. Là, plus rien, le flanc est lisse. Alors que la hanche formait un bourrelet graisseux, en amont de la platitude de la cuisse tu éprouves ici une parfaite continuité insaillante, redessinée dans sa vigueur, à caractère androgyne ; cet état vient à toi comme une grâce.
Que le jean soit tombant, le tissu bâille, les poches, cinglées d’appendices : chaînes verges, pendule-ficelles et golfes dentelés. Tout est fait pour que l’œil soit attiré par ce petit musée ambulant, mais la malice est là, la gloire pend dans le vide de la croupe. Absence de pannicules adipeux. Le diable se niche au creux de cette béance glorieuse, il n’y a pas de chair, là, le tissu pend outre-croupe, la chair est loin, loin est la gloire portée là, dans cette trouée anorexique. Ces filles que tu imites et qui t’imitent, passant sous l’imposte, le savent secrètement.
Il s’agit de faire montre de gloire à l’envi, cette gloire si rare en époque adipeuse, balader sa maigreur et la cogner contre la peau des grosses, se priver pour posséder, c’est mauvais, pauvres grosses.
Sous leur orbite serpentine, ta mère et ta sœur épousent la forme de ton corps, le miracle de cette silhouette en transformation qui s’élonge, elles te mirent de leur œil torve, suant dans le halo bleui. Le mimétisme se penche sur tes catégories alimentaires, tu deviens l’étalon.
Du côté de la tante et de sa fille, il faut voir, et au-dessus, la grand-mère, une terreur d’attention à l’excès esthétique, qui fait trembler les équations.
Dans ce gynécée constitué de mères et de filles-sœurs, on entend toujours les mêmes âneries, une femme en pantalon, à moins d’être filiforme, Françoise toujours en pantalon. On se lève de table, joué au sort, et quand le corps se tourne, on entend la glose, « elle a maigri », « elle a grossi ».
La fille de la tante ouvre la parade, pratiquant à ton intention un exhibitionnisme privé, dans quoi les dimensions rétrécissent. Elle balance son postérieur fardé, à émissions phosphoriques, exerce sur lui une force de rotation infinie ; t’abandonnant, tremblante, à ton désir cellulaire multiplié.
La faim, en état de synthèse
En état de synthèse, qui constitue la parenthèse anorexique de la boulimie, c’est la faim que tu cherches, n’être plus qu’un tronc viscéral, étreignant ses contours dans le multiple et dans l’un. La faim s’installe, et plus tard, le bas-ventre fait appel. La nuit, le carreau n’encadre qu’elle, tu l’imagines forante, abyssale. Tu sens les paliers, à chacun d’eux la surface s’excave, tu le sens à l’hypogastre, la fierté des deux pôles qui se rejoignent, le ventre et le dos, tu cherches en vain les chairs.
Déjà, tu te couches, réveillant le récit de la faim, au ventre, et tes rêves sont de résistance infinie, passant les saisons dans la tourmente ; que tout soit par l’épreuve.
La faim est logarithmique. Au début, elle te terrasse, elle s’attaque à l’épigastre, contre quoi on ne peut lutter ; tu gagnes en dépassant ce seuil. Après, c’est une dévastation étale régulière, prise dans sa descente jusqu’aux viscères, et là c’est un jeu, la jouissance de sentir sa matière se creuser, dissoute.
Alors, tu imagines la sculpture de ton corps, elle est, étrangère à son tumulte, elle se présente là devant toi, saillies musculaires et repères osseux, les clavicules émergent, ainsi que les côtes du thorax.
Tu n’es plus qu’un tronc ressauté d’assaillants, la chair se répartit dans une mesure idéale, l’excédent se retire de la surface du flanc jusqu’à la limite du muscle fessier, la hanche vaste, reconnue dans les lignes de l’ennemi, cesse d’être indiquée.
Il te faut disposer sa performance, d’un corps débâclé des zones gênantes afin que la base d’attaque soit propre et nette.
Le monde paraît bas, la bouche vide et affligée. Tu as la main sur lui, sortie dans le matin pour le combat, une main-forte aidée par la faim, cette promesse qui noue tes entrailles, cette faim te rend supérieur car tu es la masse fondue, l’ossature pure, ombreuse, tu peux tout agripper, tu as prise sur toute chose. L’os, ce rameau fait d’or, te rend plus mobile, aérienne, tous les mouvements te sont possibles, les ombres migrent sur ton sillage, et ce vertige ne peut

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