Se souvenir de toits
194 pages
Français

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Description

Il ne reste souvent pas grand-chose des lieux et des histoires qui firent la vie de nos parents et grands-parents. Se souvenir de toits est un témoin : à travers les différentes adresses où vécut l'auteur, nous voyons défiler toute une époque. Se souvenir de toits est un relais du passé vers le futur pour nos descendants, pour qu'ils connaissent les existences d'où ils sont issus avec leurs espoirs, leurs joies, leurs drames aussi, pour qu'ils sachent sur quel terreau leur lignée s'est construite. Se souvenir de toits est une trace. Comme les gènes, le livre donne à son auteure l'espoir touchant de rester « immortelle ».

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 juillet 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342053272
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Se souvenir de toits
Béatrice Couturier
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Se souvenir de toits
Avant-propos
Pourquoi « Se souvenir de toits » ? Ce texte de prime abord peu divertissant, voire de peu d’intérêt hors de la sphère familiale, a été ébauché vers l’été 2012. Il est une réponse au manque.
Je ne connais rien ou presque de la vie de mes ascendants, et alors que se profile l’aube de ma soixantaine, je regrette de n’avoir pas eu plus de curiosité pour leur parcours. Résolument dans mon actualité, aux prises avec le quotidien tant professionnel que personnel, je n’ai pas laissé émerger le temps des questions : où vivaient-ils ? Qu’aimaient-ils ? Que lisaient-ils ? Je n’aurai jamais de réponses et je reste avec l’envie frustrée de me poser en leur compagnie et de leur demander qu’ils se racontent. Voilà pourquoi « Se souvenir de toits » : afin que si d’aventure mes descendants un jour s’interrogent sur les années qui ont construit la femme que je suis et serai encore un peu, dont ils portent quelques gènes, ils aient des mots écrits pour eux…

« Se souvenir de toits » aussi, parce que notre mémoire est notre seule identité. Ne dit-on pas de quelqu’un frappé par sa perte, qu’« il n’est plus lui-même » ? Qu’« il est l’ombre de lui-même » ? Avec ce livre, je resterai en vie. Voilà de quoi me rassurer, moi qui tremble de ne plus exister !
Les origines
La lignée paternelle
Le père de mon père, qui était cheminot, s’appelait François Victor Couturier. Je ne sais pas quand il est né, avant 1900 en tout cas, ce qui me fascinait. Je ne sais rien de sa famille, rien du tout, comme s’il n’en avait pas. Je sais seulement qu’il venait du coin de Champagney en Haute-Saône. Il était un tout petit homme chétif et malingre, mais mon père le craignait tout en le vénérant et ma mère le détestait. Il avait combattu à Verdun, d’où lui était restée une mystérieuse blessure à la fesse ; les adultes autour n’en parlaient qu’à voix basse. Il aurait fait aussi partie de la « Résistance-Rail » mais je n’en sais rien vraiment, j’ai trouvé des médailles. Il fumait du Petit Gris, des Gauloises toutes faites lorsqu’il venait en visite.
Ma grand-mère était une brave femme, couturière de son état, qui vénérait son fils et craignait son mari. Elle s’appelait Renée Marie Ducray et venait de Ronchamp. Je connais un peu plus de choses de ce côté de la famille, parce que nous sommes allés plusieurs fois la visiter. Le frère de ma grand-mère Ducray était comme elle, tout en rondeurs. Il avait de grosses lèvres tombantes, des lunettes énormes, un béret vissé sur sa tête chauve et un accent du terroir qui roulait tous les « r ». Je ne le comprenais pas souvent. Sa femme était son portrait inverse : maigre et sèche, si peu bavarde que je ne me souviens pas du son de sa voix. Ils vivaient dans une très ancienne maison, adossée à la colline, sur une montée pierreuse vers la forêt. Tout y était rustique : les toilettes : un trou sur une caisse de bois dans le fond de la remise ; une pierre à eau en guise d’évier ; pas de salle de bains ; deux chambres à l’étage en enfilade, au plafond bas, aux lits énormes et surélevés, aux lourdes couvertures piquées en plus d’épais édredons, aptes à faire supporter les températures polaires des hivers. C’était une toute petite maison, la table se coinçait sous la montée d’escalier, en face de la cuisinière à bois. La salle à manger en face était peu utilisée, il y faisait trop froid, les parois s’enfonçaient dans la roche. Le couple a élevé là les cousins de mon papa : ma marraine Thérèse et son frère. Plus bas dans la rue, à côté du viaduc du chemin de fer, il y avait le magasin de la Tante Hortense et son appartement au-dessus. Qui était cette très vieille dame ? Une sœur ? Une tante ? Une cousine ? Elle vivait avec sa fille, la Tante Risette, restée vieille fille, ou veuve, je ne sais pas, parce qu’il existait aussi des rejetons, Jacky et un garçon adopté dont j’ai oublié le prénom. Si ça se trouve, ils étaient tous les deux adoptés. La vieille Hortense me faisait un peu peur avec sa coiffure imposante d’un chignon noir au sommet de son crâne et une grosse verrue de sorcière sur le menton.
Je me souviens avoir vécu très petite un épisode traumatisant dans le jardin en face de la maison. Je devais avoir dans les 5 ou 6 ans, peut-être moins, lorsque j’accompagnai le vieux pépère dans la nuit qui tombait doucement. Je ne savais pas qu’il allait tuer un lapin, un de ces jolis lapins tout doux que je caressais la journée. Je n’ai rien vu, seulement entendu, d’abord les couinements épouvantés de la pauvre bête, puis les gouttes de sang qui sont coulées en abondance dans une bassine de fer à terre, ploc, ploc, ploc. J’étais pétrifiée, ma gorge si serrée que pas un son n’est sorti sur ma plainte. Je n’ai pas pu manger de ce lapin le lendemain. Je me suis fait gronder par ma maman et traitée de capricieuse.
Au cours des années, nous sommes allés régulièrement rendre visite à ces parents. J’étais adolescente la dernière fois, habillée d’une djellaba cousue par ma grand-mère qui a fait sensation. C’était ma période baba cool. Je fumais des beedees puantes pour faire ma maline malgré la nausée qu’elles faisaient naître. J’ai passé une après-midi entière très régressive à lire des magazines « Nous-Deux » et « Confidences » allongée sur le lit de la chambre à l’étage, ce que je n’aurais jamais avoué à mes copines du lycée.
Ma marraine, ronde comme son père, s’est mariée à Paul, un sympathique barbu. Ils auront deux enfants, et je récupérerai plus tard leurs articles de puériculture. Son frère s’est marié sur le tard et j’ai beaucoup entendu dégoiser sur sa femme.

Le logis de mes grands-parents à Longwy était en haut d’une rue sans macadam, faite de boue et de cailloux. Nous y allions tous les dimanches, au grand dam de ma mère, souvent pour y déjeuner, la plupart du temps pour y passer seulement l’après-midi. Quelquefois, lorsque ma mère s’était fait piéger, nous restions pour le repas du soir. Je me vautrai sur le lit de la salle à manger recouvert d’un couvre-lit blanc crocheté par ma grand-mère et j’écoutais les adultes parler. J’étais bien.
Le logement, modeste, était au 1er étage d’un vieil immeuble. Pas de salle de bains, les w.-c. à l’extérieur, sur un petit balcon avec vue sur les jardins et d’autres petits balcons. Je m’y gelais les fesses et j’étais déconcertée par le papier : par mesure d’économie sans doute (de radinerie, disait ma mère), mon grand-père coupait en carrés des pages de journaux, perforées puis attachées ensemble sur un fil de fer. Je ne faisais jamais caca dans ces w.-c. à cause du papier. Pas de chauffage central, une cuisinière à bois imposante dans la cuisine, seule pièce chaude l’hiver. Avec cette cuisinière, ma grand-mère savait mijoter son lapin au vin et surtout confectionner des pâtisseries délicieuses : baba au rhum, brioche levée, tartes diverses que je dévorais avec bonheur, rappelée à l’ordre par ma mère toujours à se priver et vouloir priver les autres. Mais la grand-mère ne se laissait pas faire et me gavait quand même.
Le mobilier est spartiate : buffet, table au revêtement fatigué, évier avec des étagères dessous cachées par un rideau où se range la bassine de toilette en acier émaillé. Pas de télévision, mais un meuble bricolé qui supporte un gros poste de radio. Le long du mur, un étroit canapé recouvert de tissu noir rayé de fines bandes aux couleurs passées et à une extrémité, la pile des journaux anciens de plusieurs mois : « la Vie du Rail » pour le grand-père, « le Pèlerin du XX e  siècle » pour la grand-mère. Les « Modes et Travaux » sont entreposés dans la salle à manger : c’est là que trône l’antique machine à coudre.
La salle à manger n’est donc opérationnelle que lorsque c’est l’été. Dommage, c’est là que les anciens ont investi en beaux meubles. J’ai plus tard hérité de la salle à manger en bois blond travaillé, du Louis XV me semble-t-il. Le buffet pèse une tonne, est assemblé sans un seul clou, il tient juste par tenons et mortaises, ce qui au fil de mes déménagements, m’a causé quelques soucis d’ajustements ! Le plateau et les portes sont marquetés, les vitres de la vitrine supérieure biseautées et les colonnes ouvragées. La table est énorme, presque carrée ; elle ne trouvera plus sa place dans mon dernier logis. Mon fils Nicolas, après Thomas, l’héberge, j’espère pour longtemps encore ! J’ai hérité aussi de belles pièces d’émaux de la ville, j’en ai vendu beaucoup, à tort sans doute, lorsque j’ai eu besoin d’argent, puis pour ne pas m’encombrer de trop de souvenirs. Les grands-parents ne risquaient pas d’user les cannages des chaises assorties puisqu’ils y posaient si peu souvent leurs fesses et lorsque moi je les ai prises, une après l’autre, la paille s’est percée. Maman m’a accusée d’être une brise-tout. J’étais vexée.
Ce grand-père adorait fouiner et bricoler : il dénichait des trésors dans les décharges, les réparait et peignait tout en bleu : des couteaux aux manches retapés, des chaises, des petits meubles. Toute sa cuisine y est passée ! J’avais pour m’occuper une valise de jouets qui avaient appartenu à mon papa. Je ne me lassais pas de la boîte de cubes-puzzles aux faces usées, à l’image passée et vieillotte. Il y avait aussi quelques livres et des albums d’images à coller. Sur de grands cahiers de la SNCF, je jouais à la maîtresse et inventais des devoirs, des fautes que je corrigeais en rouge avec jubilation.

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