Un thé sinon rien
188 pages
Français

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Description

Je reprends le travail ce début de septembre avec beaucoup de surprise. À mon grand étonnement, ma compagnie d'assurance ne reconduit pas mon contrat pour motif de sinistre grave ayant causé la destruction partielle de l'immeuble et entraîné le décès d'une personne. Dans le langage courant des compagnies d'assurance, je suis une personne à risque car d'après eux j'ai ce qu'on appelle la poisse. C'est le mot exact utilisé par les professionnels du secteur. "Ce qui est un comble pour quelqu'un dont le nom en arabe signifie la chance". Il y a de quoi être en colère surtout lorsque je pense que ma responsabilité n'est en rien engagée. Le poisseux chez les assureurs est considéré comme un malade contagieux, indésirable, qu'il faut écarter. ! Ce nouvel événement va me plonger à nouveau dans la déprime. C'est bien entendu le premier, le deuxième, le troisième, le énième verre de bière que je bois. C'est la lâcheté et la faiblesse. Au lieu de me ressaisir et faire face aux aléas de la vie, je me perds. Où sont le courage et la lucidité ? Je ne suis qu'un pusillanime qui se cache derrière son verre. Quel exemple suis-je pour ma femme, mes enfants, mes parents et mes amis ? La grandeur d'un homme se mesure à sa capacité à résister et à sa volonté de changer une situation en sa faveur. Je suis le contraire de tout ça. Un heureux événement comme un mauvais sont des prétextes pour boire. La facilité pour se justifier. Un acte irresponsable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 avril 2014
Nombre de lectures 1
EAN13 9782342022025
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un thé sinon rien
Redouane Azhar
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Un thé sinon rien
 
 
 
À mes parents que j'aime
 
 
 
« Pour savoir qu’on a bu le verre de trop, encore faut-il l’avoir bu »
Citation de Georges Courteline.
 
 
 
1.
 
 
 
Ma vie a changé depuis que j’ai arrêté de boire. Sans l’alcool, je dors bien, je mange mieux. Bref je déguste désormais chaque instant de ma vie. Au réveil, je ne suis plus l’homme fatigué que j’étais. Plutôt en forme pour attaquer mes journées. J’ai perdu tout le surplus de poids qui pesait sur mon corps. Je n’ai pratiquement plus de cernes. Ma peau se raffermit, mon teint retrouve son éclat naturel. Comme c’est magique ! En l’espace d’un mois, je suis passé de la taille quarante-huit à quarante-quatre. Les gens me demandent le secret de ma recette. Ils me trouvent rajeuni d’au moins dix ans. Je suis beaucoup moins angoissé et moins stressé que d’habitude. Ma tête fonctionne bien. Mes idées sont claires. Je ne ressens plus les douleurs intestinales provoquées par la fermentation du houblon. C’est vrai que l’alcool est dangereux. Il ne résout rien, au contraire, il aggrave les choses, tant du point de vue de la santé et du moral, que social et financier. Il tue, tout simplement. Lorsqu’on est buveur, on s’installe dans une logique de comptoir. On boit toujours à la santé et au bonheur. La santé du pote, celle du patron du bar ou du client d’à côté que bien souvent on ne connaît même pas. Comme c’est curieux de trinquer à la santé. Est-ce bien raisonnable ? Peut-on conjuguer santé et alcool ? Pourtant on ne fait de mal à personne. On boit ce qui est censé être divin, brassé, champagnisé, vieilli dans des fûts de chênes, dans des abbayes depuis des millénaires par des moines vertueux. C’est la fête quoi ! On fait durer le plaisir. On rigole. On raconte des blagues, et on débite des âneries. On joue au 421 ou à la belote de comptoir et le perdant paie la tournée bien sûr. Voilà pour l’essentiel nos habitudes chaque fois qu’on se retrouve au bar. On oublie tout sauf son verre. Un dernier pour la route, mais il n’a de dernier que le nom. Et ça ne s’arrête jamais puisque la notion du temps n’existe plus. Le téléphone sonne. Oh putain ! C’est ma femme. Alors je sors pour lui répondre :
— Qu’est-ce que tu fais depuis tout à l’heure ? On t’attend pour le dîner. Allez viens ! On a faim !
— J’arrive chérie. Je suis dans les embouteillages. Je serai là dans quinze minutes.
Enfin ce n’est qu’un sursis. La femme qui m’aime peut encore attendre un peu. Le reste de la baguette que j’ai achetée pour le dîner sent plus le tabac que la farine, et est déjà grignotée en partie par tout le monde pour éponger le trop-plein de bière. Le patron annonce la fermeture. C’est la meilleure façon de faire boire vite ses clients et de leur proposer un dernier avant de fermer la caisse. Une façon de rentrer l’argent sans heurter les clients et leur montrer sa sympathie. C’est vicieux et efficace. On est même flatté qu’il nous serve lui-même. C’est alors une fierté pour certains, une reconnaissance pour d’autres. Du coup, on lui paie un verre ainsi qu’au serveur, qui lui, se précipite pour ramasser les pourboires qui quelques fois se comptent par dizaines d’euros.
 
« Royal au bar », dit-il. On fait sonner la cloche pour braver le geste. Les plus généreux sont considérés comme des seigneurs. Olives et autres condiments de qualité leur sont gracieusement offerts alors que les chips et les cacahuètes sur le zinc, triturées toute la journée par de nombreuses mains insalubres, sortant des toilettes, ou caressant des chiens crasseux, sont données avec parcimonie aux clients réguliers, mais qui dépensent moins. À ce propos, le docteur Frédéric Saldmann, spécialiste des questions d’hygiène avait révélé la présence de quatorze urines différentes dans les ramequins de cacahuètes des bars. L’ambiance commence à se gâter lorsque c’est l’heure des comptes. Ce n’est jamais simple. Le doute est là. « Je n’ai pas bu autant », dit celui qu’on surnomme Ricardo, à cause de sa boisson favorite. « Je n’en dois que neuf sur les dix verres qu’on me réclame, dit-il à haute voix au taulier. »
Qui croire alors ? Le saoul ou le barman ? C’est à réfléchir. Quelques-uns n’ont plus rien à perdre. Ils sont déjà ruinés et ne survivent qu’avec leurs minima sociaux. Qu’importe ce qu’on leur dit ou ce qu’on leur sert, pourvu qu’ils aient l’ivresse. Leurs maigres revenus couvrent à peine leurs consommations du mois. On peut se demander comment ils couvrent le reste de leurs créances. D’autres résistent tant bien que mal pour garder un peu de dignité. Ils deviennent alors des professionnels de la gratte. Propres, courtois, serviables, ils se voient offrir des tournées par les nouveaux clients qui ignorent tout de leurs vices. Les clients sont nombreux et tous différents les uns des autres. Cela va du docteur à l’éboueur, du chef d’entreprise à l’escroc. C’est ici que règne la véritable démocratie car toutes les catégories sont représentées, et ont comme point commun : la « tise » (jargon des buveurs). Il y a toujours de toute façon un prétexte pour être un pilier de bar. L’un noie son chagrin pendant que l’autre attend quelqu’un, et un autre encore sous prétexte qu’il change d’air, après une dispute avec sa femme. En général, tout le monde vient parce que le patron est sympa. Il se donne beaucoup de peine pour créer un tissu social digne de ce nom. On ne dit pas « on va boire un verre au Balto », on dit « on va chez Momo. » C’est grâce à lui que l’ambiance est bonne. C’est pour certains le grand frère. Il fait crédit et offre parfois le verre de l’amitié, prend soin de ses amis et n’hésite pas à leur téléphoner pour prendre de leurs nouvelles quand ils s’absentent très longtemps. En vérité, cela s’appelle du business. Tu es respecté parce que tu dépenses beaucoup. On te met ta musique préférée, on t’écoute quand tu parles. Tu es la vedette bien sûr. Tu peux faire le beau, mais jusqu’à quand ? Les quinze minutes annoncées à ma femme sont déjà écoulées depuis une heure. Il faut trouver un mensonge. Le mensonge est le grand talent des alcooliques. Pour cacher son addiction, le buveur invente toujours de nouvelles histoires dont il est bien entendu souvent la victime. C’est en général, la procédure classique pour éviter tout conflit avec les siens. Je suis enfin devant la porte de la maison. Perplexe à l’idée de voir ma femme en colère. Que vais-je encore lui raconter comme bêtise ? Mon cœur bat fort. Mon haleine est loin d’être celle d’un homme qui a bu du soda. Mes yeux et mes joues rouges comme une tomate, trahissent immanquablement mon état.
 
 
 
2.
 
 
 
Après avoir inséré la clé dans la serrure, je me concentre pour répondre à toute éventuelle question. Dans le couloir qui conduit au salon, j’inspire fort et ferme la bouche pour éviter à ma femme de sentir mon haleine au moment où je l’embrasse. Je l’aperçois assise sur le canapé pianotant sur son ordinateur portable. Elle est belle avec ses lunettes de lecture qui lui vont si bien. Je me penche pour l’embrasser mais elle se détourne de moi. C’est ainsi qu’elle me repousse à chaque fois qu’elle est en désaccord avec moi. Elle garde ses distances et ne parle point. Je tente de lui faire mes excuses et de lui expliquer les raisons de mon retard. Elle connaît la musique et elle finit par lâcher :
— De toute façon tu ne changeras pas. Il t’arrive toujours quelque chose.
Le dîner est sur la table. Je vais d’abord saluer mes enfants dans leurs chambres respectives. Je frappe à la porte de ma fille qui est toujours entrouverte et entre pour l’embrasser. Elle me tend ses joues et me demande de la laisser tranquille car elle est fatiguée. Je la sens froide, indifférente et ne comprends pas pourquoi elle refuse de me parler. Je me dis qu’étant son père, la moindre des choses c’est qu’elle devrait me porter un peu d’affection. Elle est en vérité soucieuse de mon état. Je quitte sa chambre exaspéré, et aussitôt pénètre dans celle de mon fils.
— Papa ! Tu ne peux pas frapper à la porte avant d’entrer ?
— Excuse-moi mon fils ! Je ne voulais pas te déranger. Comment ça va toi ?
— Bien.
Je l’embrasse et il me dit :
 
— Oh là là Papa ! Tu sens fort la bière…
— Tu exagères mon fils. Je n’ai bu que deux verres, lui dis-je avec ironie.
— Oui ! C’est cela, tu parles, me répond-il incrédule.
 
Mon fils est toujours resté discret et proche de moi. Nous sommes, pour ainsi dire, complices et nous ne manquons jamais de partager des secrets. Je le quitte et entre dans la salle de bains pour me brosser les dents. Ainsi mon haleine sera moins fétide. Ma femme est toujours dans le salon. Je la devine bouillonnante et amère. Je retourne au salon pour m’asseoir et manger, mais je n’ai pas vraiment faim, car mon ventre est plein de bière. À l’heure qu’il est, ma femme est fatiguée. Après une journée stressante de travail ayant subi les embouteillages le matin et le soir, et s’occuper de la maison, faire les courses, repasser le linge, faire à manger, s’occuper des enfants, etc. Comment pourrait-elle supporter en plus l’irresponsabilité et l’incons­cience d’un mari absent et alcoolique. Elle se lève et disparaît dans la salle de bains, pour faire sa toilette avant d’aller se coucher. Quant à moi, je reste inerte dans mon coin, sans le moindre mot. Mon état est grave. Je dirais même, désolant. Après sa toilette, elle se rend chez les enfants pour leur faire un bisou avant d’aller se

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