Vert-Vinâve
554 pages
Français

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Description

La chronique de Gaspard Marnette, ouvrier armurier, livre toute la densité de la vie quotidienne dans un village industriel sur les hauteurs de Liège : Vottem. Gaspard a tenu la plume, au jour le jour, de 1857 jusqu’à sa mort en 1908, afin de sauver de l’oubli tout ce qui fait son monde, celui d’un quartier ouvrier : le Vert-Vinâve. Il convie les improbables « amis lecteurs » que nous sommes aujourd’hui, à franchir le seuil de l’univers de Vottem : des femmes se disputent autour du puits, une catastrophe charbonnière ébranle les familles, son voisin meurt brusquement du choléra... Jamais aucun document d’archives n’a rendu si vivant, si concret, si vif, si brutal, ce monde ouvrier de la seconde moitié du XIXe siècle. Plus qu’un récit, la chronique de Gaspard est une plongée dans un abîme.

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Informations

Publié par
Date de parution 09 avril 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414433537
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194, avenue du Président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com
 
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
 
ISBN numérique : 978-2-414-43351-3
 
© Edilivre, 2020
Je suis né dans la rue Vert-Vinâve, là où je reste toujours Gaspard (Vottem, 1865)
Un mot de ma part, avant de laisser ceux de Gaspard nous envahir, nous enchanter…
Trente-cinq ans déjà ! Oui, tant de temps me sépare de cet après-midi d’octobre lorsque j’ai découvert par hasard les cahiers d’écolier Mélange de faits qui se sont passé à l’Église et dans la commune de Vottem depuis 1857 recueillis par Gaspard Marnette, fils . Ce fut, pour moi, une stupeur. Stupeur qui saisit celui qui, soudain au détour d’un chemin, plonge son regard dans un abîme. Ici, un abîme de mots, d’images, de sons sortant du Vert-Vinâve 1 … J’avoue aujourd’hui encore avoir été troublé par le surgissement de cet être venant à moi avec cette phrase terrible :
 
« Maintenant, ami lecteur, si vous ne me connaissez déjà, je veux faire connaissance avec vous ».
 
Gaspard m’a saisi à la gorge et il me tient toujours, un demi-siècle plus tard. J’ai cherché à le connaître, en vain. C’est lui qui a fait connaissance avec moi. C’est lui l’acteur, l’auteur ; pas moi. J’aurais presque envie de dire que je suis sa victime, mais n’exagérons pas. En effet, lorsqu’on lit le Mélange (notez bien ce singulier : c’est un mélange, un bouillon, un amoncellement), on n’en sort pas indemne.
Pourquoi ai-je passé tant d’heures à mettre en ordre et à publier cet étrange « Mélange » dont le volume L’Archiviste des Rumeurs est sorti de presses en 1991 ? D’abord, pour sauver de la destruction ces cahiers (j’ai bien fait !). Ensuite, parce que cette fenêtre brusquement ouverte sur ce monde que nous avons perdu a provoqué en moi un courant d’air frais au moment de la rédaction d’une thèse en Histoire dans laquelle les chiffres prenaient peu à peu la place des hommes. Les histoires de ces gens dont il ne reste plus que des noms dans les registres de population se sont infiltrées dans mon étude comme pour me dire : voici ce qu’était la vraie vie, celle que nous, Vottemois, avons vécue et pas celle que tu reconstruis à l’aide des ruines d’archives…
Pourquoi reprendre ce Mélange 35 ans plus tard ? Parce que Gaspard veut toujours faire connaissance avec son « ami lecteur » : moi, toi…
Depuis 1980 le texte de Gaspard n’a évidemment pas changé, mais la lecture que nous en faisons a grandement évolué 2 . Deux publications fondamentales ont vu le jour et modifient notre approche du texte original 3 .
A propos du Mélange de Gaspard, il n’est plus nécessaire de revenir sur le contexte historique – qui relève de l’histoire régionale dont je n’ai que faire ici – et sur mes considérations et commentaires de jadis (formulés dans le cadre d’une thèse de doctorat). Je renvoie à l’ouvrage paru en 1991. Un livre que l’on m’a annoncé « épuisé », introuvable… L’édition de 1991 épuisée parce que publiée dans une indifférence générale 4 .
Le Mélange de Gaspard Marnette est inépuisable. Voici pourquoi nous reprenons ce témoignage aujourd’hui… Il y a encore tant à dire, tant à découvrir qu’il est sage, pour ma part, de clore ici mon propos.


1 . Vinâve est un toponyme répandu dans la région liégeoise et signifie « voisinage », « quartier ». Il dérive du bas latin vicinus  : voisin (cf. vicinal en français), en wallon vinåve . Ce terme convient parfaitement au contenu des cahiers de Mélange, qui porte sur l’univers des voisins de Gaspard, rue Vert-Vinâve.

2 . Les cahiers retrouvés à la maison paroissiale de Vottem sont conservés aux Archives de l’Évêché de Liège.

3 .  La première est évidemment l’ouvrage de Carl Havelange. Son livre témoigne de la nature même de la relation qui s’établit entre Gaspard et son lecteur : un miroir dans lequel apparaît le visage profond du lecteur attentif autant que les traits des gens de Vottem et le regard de Gaspard. Inutile d’en dire plus et lisons : Gaspard. Une écriture ouvrière au XIX e  siècle (Les presses du réel, Dijon, 2018). L’autre travail montre l’importance de sauver les archives, les traces même les plus tenues – insignifiantes parfois à nos yeux – du passé, de notre mémoire commune et partagée, tout ce qui permet de mieux comprendre ce que nous sommes : Louis C HALON , « L’influence du wallon sur le français écrit par Gaspard Marnette (L’Archiviste des Rumeurs) », dans Revue belge de philologie et d’histoire , année 2006, 84-3, pp. 787-797.

4 .  L EBOUTTE René, L’Archiviste des rumeurs. Chronique de Gaspard Marnette, armurier, Vottem 1857-1903 , Liège, éditions du Musée de la Vie wallonne, 1991, 440 pages. La thèse : Reconversions de la main-d’œuvre industrielle et transition démographique. Les bassins industriels en aval de Liège, XVII e -XX e siècles , (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fascicule CCLI), Liège-Paris, Les belles-Lettres (Droz), 1988, 514 p.
Vottem, 19 mars 1876…
Il est heureux pour Herman qu’il n’ait pas d’enfants avec sa seconde femme, car il a déjà assez de misère ainsi. Le dimanche 19 mars 1876, à la première messe, je vois devant moi le plus âgé de ses fils, qui peut avoir 12 à 13 ans ; il n’est ni peigné ni lavé : il est chaussé d’une paire de mauvais sabot et de chaussettes toutes ravaudées et mal ravaudées encore. Son costume consiste en un pantalon de sa première communion sali abimé et de sa jaquette en drap idem. Ce pauvre enfant travail déjà dans la bure [la houillère] . Sa sœur ainée, d’une quatorzaine d’année est servante dans une maison à Liège : celle-là n’est pas mal relativement au sort de ses autres frères et sœurs, moins âgé et demeurant chez le père. Herman pauvre cultivateur labourant avec un bœuf, qu’el revenu apporte-t-il dans le ménage.
Sa femme, sa seconde femme, Catherine M…, je ne sais trop si elle [est] bonne ménagère ; j’incline même pour l’opinion contraire : elle ne fait rien d’ailleurs que le ménage et aider tant bien que mal son mari dans la culture des quelques pièces de terre de sa première femme et peut-être d’autres qu’ils louent chèrement. La culture aujourd’hui ne payent pas trop bien ses maîtres, surtout ceux qui comme Herman, ne possèdent pas les moyens ni l’énergie voulue pour bien mener leurs affaires. Reste ce pauvre chétif enfant de 12 à 13 ans, houilleur gagnant une petite journée (III, 318‑319,1876 : nous respectons ici et seulement ici l’orthographe de l’auteur ; les chiffres renvoient au numéro du cahier, puis aux pages) 1 .
Mélange : un étrange miroir…
Ce passage, à la fois simple et empreint de vérité, est de la plume de Gaspard Marnette, un modeste ouvrier armurier à domicile habitant Vottem, village de la banlieue industrielle liégeoise. Ce texte, extrait de « Mélange de faits qui se sont passés à Vottem » (Mélange au singulier, donc un bouillon de gens, d’images, de faits, de gestes, de gueules, de mots), est contemporain de l’ Assommoir . Ces propos de Gaspard, aussi denses que ceux de Zola, sont peut-être plus vrais parce que formulés pour ne jamais être divulgués. Gaspard n’écrivait pas pour un public, si restreint soit-il. Jamais il n’explique ses intentions. Ses cahiers, c’est un immense miroir dans lequel se reflète un monde, son monde. Gaspard n’est plus, mais son miroir est toujours là. Nous y plongeons notre regard en découvrant des mots simples, mais si cruellement justes. Gaspard fait des images, des scènes, des visages. Au bout du compte l’ami lecteur – celle et celui qui tiennent ce livre en main – voit se profiler son visage, son propre entourage, parce que, finalement, les gueules qui dansaient dans le miroir de 1880 ressemblent terriblement aux nôtres, si humaines.
C’est précisément parce que Gaspard porte un regard attentif sur ce que la vie a de plus banale que son témoignage accède à l’universel. Son miroir continue à renvoyer les contours flous d’une société passée certes, mais dont nous portons le poids. Les hommes et les femmes qui se bousculent sur la place du village en 1880 appartiennent à une communauté et à une époque précise, mais leur vécu en fait une parcelle d’humanité. Si nous dépassons l’apparente banalité de ce que rapporte Marnette, si nous acceptons sa rigidité, ses travers, son ridicule parfois, nous voyons peu à peu apparaître un monde qui n’est pas si étrange, éloigné du nôtre, et en filigrane notre propre visage marqué d’un sourire agacé qui cache à peine notre malaise…


1 . Les extraits présentés ici sont de la main de Marnette. Nous n’avons rien changé, si ce n’est que nous avons corrigé les fautes d’orthographe et que nous avons éliminé des passages inutiles ou répétitifs. La plupart des noms propres figurant dans le manuscrit ont été éliminés ou changés. En ce qui concerne les passages ayant subi une autocensure de la part de G. Marnette, nous avons laissé des « blancs », respectant ainsi la volonté de l’auteur. Le texte de Marnette est reproduit en caractères réguliers, sans changements majeurs, tandis que nos commentaires et titres/sous-titres sont en caractères italiques. Les notes infrapaginales sont évidemment nôtres.
Chapitre 1 Ami lecteur !
Maintenant, ami lecteur, si vous ne me connaissez déjà, je veux faire connaissance avec vous.
Je suis né à Vottem le 16 mai 1837, de Gaspard Marnette et de Marie Joseph Dargent, tous deux aussi natifs de Vottem. Je suis né dans la rue Vert-Vinâve, là où je reste toujours. Je suis l’aîné de 4 enfants, dont une sœur, décédée en bas âge, et deux autres sœurs vivantes. Je suis aujourd’hui âgé de 28 ans passés. Ma profession est celle d’armurier faiseur de bois de fusils de luxe. En fait de religion, je suis catholique, apostolique et romain. Je pratique ma religion de mon mieux ; je com

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