À l aube de la Création
92 pages
Français

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À l'aube de la Création , livre ebook

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Description

« ÉRIC : — Je possède les pleins pouvoirs pour produire des romans et démonter des auteurs. J’ai une responsabilité auprès des consommateurs... des lecteurs. Tu comprends ça ? En l’espace d’un an et trois mois, Simon Chareb m’a fourni deux romans. DEUX ROMANS, deux chefs-d’œuvre. Deux chefs-d’œuvre, deux terrains en Normandie. Deux terrains en Normandie, deux fois plus de vacances au mois d’août, je te laisse faire le calcul ? MARTIN : — Oh moi tu sais, l’algèbre... ÉRIC : — En un an et trois mois, qu’est-ce que tu m’as pondu, toi ? Une histoire de grenouilles ! »

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Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342000054
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À l'aube de la Création
Zack Naranjo
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
À l'aube de la Création
 
 
 
 
Acte I
 
 
 
La pièce est plongée dans le noir.
Un homme entre dans le bureau, un livre à la main. Il panique et allume l’interrupteur précipitamment. Inquiet, il regarde derrière lui.
ÉRIC  : — Martin ? Martin, t’es là ? Bon. Il frissonne et se précipite pour allumer la lumière puis se met à regarder le livre, pensif. « La splendeur excessive de la chaise » Non ! « La rancœur abusive de la mer… » Merde ! Il regarde la couverture du livre. « L’odeur abrasive de la chair ! » Qu’est-ce qu’ils peuvent m’emmerder avec leurs titres à rallonges… Bon. Alors… « Monsieur Denanty, vous êtes l’heureux éditeur du plus gros carton de l’année avec ce best-seller en puissance qu’est… Nouveau coup d’œil sur la couverture… L’odeur abrasive de la chair. Que pouvez-vous nous dire sur son auteur ? » « C’est bien simple, Simon Chareb est l’un des plus grands écrivains de sa génération. Il sait décortiquer le monde avec la plus grande finesse. Il est d’une grande richesse philosophique et ses mots résonnent comme tous les cris du monde… »
Simon et Laura entrent dans la pièce et font sursauter Eric.
LAURA  : — … des affiches promotionnelles sur tous les abribus de la ville, ainsi que dans les couloirs de plusieurs stations de métro, c’est comme ça que ça fonctionne, Simon, les transports en commun c’est une véritable mine d’or pour nous. Tout va beaucoup plus vite, ils transportent les lecteurs, véhiculent en eux des idées et les conduisent directement jusque dans nos librairies.
ÉRIC  : — Hé. Je vous signale que j’ai failli décéder, là.
LAURA  : — Pardon. J’expliquais juste à ta tête de mule d’écrivain qui connaît tout sur tout à quel point la promotion publique est primordiale.
SIMON  : — Il ne faut pas confondre le commerce avec l’infantilisation ! Qu’est-ce que ça peut être insupportable à la fin : « mangez ce yoghourt, vous allez maigrir ! », « achetez cette crème vous allez rajeunir ! », « adoptez ce déodorant et vous lèverez des étudiantes effarouchées à la sortie de la Sorbonne ! » Eh ben tu sais quoi ? C’est des conneries ! Ça marche pas.
LAURA  : — Mais la ménagère de moins de 50 ans à besoin…
SIMON  : — La mégère de moins de 50 ans, je l’emmerde ! Elle a qu’à lire Zweig et Blondin au lieu de faire chier le monde avec des régimes et des amincissants.
LAURA  : — C’est pas vrai, mais c’est pas vrai… Qu’est-ce qui m’a pris à moi de vouloir devenir attachée de presse ? J’aurais mieux fait de me casser deux pattes, tiens ! Pourquoi je m’inflige ça ? Il n’y a rien de pire que les artistes ! Et toi t’en es un bon gros, crois-moi ! Comment tu crois que ça marche ? Sans la télé, sans la radio, sans les affichettes et tout ce qui va avec, tu vas les vendre à qui tes bouquins ? Ta famille n’est pas assez nombreuse pour te propulser en tête des ventes !
SIMON  : — De toute façon toi tu prends pas le métro t’as une BM…
ÉRIC  : — La nouvelle vient de tomber ? C’est officiel ? Les gens qui roulent en BM ne lisent plus de livres ?
LAURA  : — Non, ils les publient.
SIMON  : — Ou ils les critiquent.
ÉRIC  : — Tout ça c’est très joli, ma petite Laura, mais maintenant j’aimerais te poser une question. Qu’est-ce qui nous intéresse ?
LAURA  : — Dans la vie où… ?
ÉRIC  : — Dans la publication ! Si on sort un bouquin c’est… ?
LAURA  : — … pour qu’on le bouquine… ?
ÉRIC  : — Tous les bouquins du monde ont déjà été écrits mille fois ! Certes le style diffère et les noms des personnages changent mais dans l’ensemble, toutes les histoires ont la même soupe de base : l’amour, la mort, l’amitié, la famille, la guerre, les souvenirs, la vengeance… Ce qui fait la différence : — écoute-moi Simon, ça te concerne : — ce qui change, c’est la popularité des prix littéraires obtenus.
SIMON  : — Déjà ? Mais j’ai été publié il y a deux semaines !
ÉRIC  : — Et si tu décides d’élever un pur-sang c’est pour l’inscrire à des tournois pas pour qu’il passe sa vie à brouter comme un con ! Si tu ne sollicites pas de reconnaissance professionnelle pour ton travail, les gens continueront de lire des romans de gare et des distractions de plage ! Il te faut un prix pour légitimer ton œuvre. Je me trompe ma petite Laura ?
LAURA  : — Bien évidemment.
ÉRIC  : — Parfait. Mais enfin, pour le moment, mes amis… Il sort une bouteille de champagne qu’il débouche. Buvons ensemble à la réussite de ta publication. Ce sera toujours ça de pris !
SIMON  : — Merci, Eric. Mais je ne vais pas en abuser, j’ai une séance de dédicaces dans une heure, dans le hall.
LAURA  : — J’en prendrai aussi une goutte…
ÉRIC  : — Oh, mais toi je sais ! T’es payée pour ça !
LAURA  : — Trinquons alors à la beauté de la profession !
SIMON  : — Et au succès de mon livre aussi, quand même !
Ils trinquent.
ÉRIC  : — Au succès du chef-d’œuvre « L’odeur abrasive de la chair » !
SIMON  : — Whoa ! Tu connais le titre par cœur ? C’est une première !
ÉRIC  : — Oh, je t’en prie, c’est assez simple à retenir…
Martin entre dans la pièce, jette ses affaires en vrac sur le bureau. Il est débraillé, et à l’air dépité. Il s’affale sur son siège.
ÉRIC  : — Eh bien qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu pourrais dire bonjour…
MARTIN  : — C’est vrai, je pourrais. J’y ai pas pensé.
LAURA  : — Simon vient de dépasser les 20 000 ventes.
MARTIN  : — « L’odeur de la lessive très chère », c’est bien ça ?
SIMON  : — « L’odeur abrasive de la chair », Martin. Oh, c’est sûr, c’est un peu plus compliqué que « Le jour de la grenouille », je te l’accorde !
ÉRIC  : — Bon, les enfants, on se calme, on ne va pas refaire l’Intifada au milieu de ce bureau !
MARTIN : —  Oui, d’autant que c’est MON bureau.
LAURA  : — Simon… C’est peut-être le moment approprié pour leur annoncer ?
ÉRIC  : — Simon. Tu es enceinte.
LAURA  : —  Rit bêtement. Monsieur Denanty, toujours le mot pour rire, hein ! Non, il ne s’agit pas de ça…
SIMON  : — Des studios de cinéma ont acheté les droits du roman.
LAURA  : — Alors trinquons !
ÉRIC  : — Quels sont les chanceux acquéreurs du chef-d’œuvre ?
SIMON  : — Les gens de la Picturale. Nous avons signé le contrat pas plus tard qu’hier soir. On a été chez eux faire la fête dans leur immense maison.
LAURA  : — Le film commencerait au mois d’octobre.
SIMON  : — Et toi, Martin, où en es-tu… ?
MARTIN  : — Je viens de finir d’écrire le scénario d’une publicité pour les paupiettes de veau. Ils voient Boule et Bill en têtes d’affiche. À moi les soirées mondaines.
ÉRIC  : — Martin !
MARTIN  : —  (A Simon.) Je suis tellement honoré de te connaître, Simon Chareb. Chacun de tes mots est une petite bulle de clairvoyance. Et puis tu es beau. Et puis tu tiens ton stylo trop bien… Non, j’y arrive pas. Simple question : tu préfères un sourire hypocrite où une grimace honnête ?
SIMON  : — Je ne sais pas, tu rends la monnaie sur un pain dans les noix ? Bien, ne m’en veuillez pas mais j’ai des lecteurs à rencontrer. Eric, je te remercie pour ce pot. Nous le terminerons plus tard.
ÉRIC  : — A votre guise. N’oubliez pas de mentionner les éditions Denanty.
SIMON  : — Nous n’y manquerons pas, c’est promis. Martin…
MARTIN  : — Simon…
SIMON  : — On se reparlera plus tard.
Ils se jaugent du regard un instant puis Simon et Laura sortent.
ÉRIC  : — A nous deux. Dis-moi. Quelle est ta motivation dans l’écriture ?
MARTIN  : — Ma… motivation… ?
ÉRIC  : — Qu’est-ce qui te pousse à écrire, crétin ! Pourquoi tu écris ?
MARTIN  : — Pour le fric. Non, je rigole, c’est par amour. Pour Pauline. Elle est tout ce dont j’ai besoin.
ÉRIC  : — Je possède les pleins pouvoirs pour produire des romans et démonter des auteurs. J’ai une responsabilité auprès des consommateurs… des lecteurs. Tu comprends ça ? En l’espace d’un an et trois mois, Simon Chareb m’a fourni deux romans. DEUX ROMANS, deux chefs-d’œuvre. Deux chefs-d’œuvre, deux terrains en Normandie. Deux terrains en Normandie, deux fois plus de vacances au mois d’août, je te laisse faire le calcul ?
MARTIN  : — Oh moi tu sais, l’algèbre…
ÉRIC  : — En un an et trois mois, qu’est-ce que tu m’as pondu, toi ? Une histoire de grenouilles !
MARTIN  : — Pourquoi tu me parles de compétition ? L’écriture, c’est pas une course de fond ! Il ne suffit pas d’enfiler des moonboots de grammaire pour flotter gaiement sur la poudreuse de l’inspiration ! Tiens, c’est joli, ça ! Eric, la plupart des grands auteurs ont connu un succès posthume…
ÉRIC  : — Et pourquoi ? Parce qu’ils vivaient dans un monde d’analphabètes ! Quand les gens ont appris à lire, ils étaient déjà morts. Question de timing ! Si l’on devait subventionner tous les clampins qui sortent un bouquin, la France aurait le PIB du Yémen !
MARTIN : —  Mais je suis entièrement d’accord avec toi ! On vit dans une époque complètement décalée. Le marché du Livre est à l’agonie, et pourtant tout le monde peut écrire au moindre pet de travers : une anorexique peut écrire 50 pages à chaque fois qu’elle mange une pomme ! Moi, ce qui m’intéresse, c’est les histoires. Je veux écrire les plus belles histoires de l’histoire des lettres ! Les grenouilles, c’est juste un prétexte, tu comprends ?
ÉRIC : —  La seule chose que je comprenne, c’est que personne n’est irremplaçable. Ni Simon, ni moi, ni toi. Surtout toi.
...

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