Lettre à Vitalie
23 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Lettre à Vitalie , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
23 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Elle ne voulait pas d’enfant cette femme sur la photo jardin du Luxembourg. Lui parler enfin avec les mots de la poésie de ma vie, mes peines, mes amours. Cette femme, un peu ma mère, un peu Vitalie Cuif Rimbaud. Image du silence que l’on voudrait percer. Alors, on se livre avec ses mots, on se raconte, elle écoute, elle se confie, s’excuse parfois, s’abandonne. Elle est au centre de notre vie, et notre vie justement s’est déroulée sans jamais pouvoir lui parler.
Alors, pourquoi pas, une dernière fois…

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 mai 2023
Nombre de lectures 3
EAN13 9782379799815
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Dominique Olivain
Lettre à Vitalie

é ditions « Les théâtrales »


Du même auteur
L’Enjeu
Iggybook, 2021
Adresses
Le Manuscrit, 2006
ISBN epub 9782379799815 ISBN papier 9782379799808 © mai 2023 Dominique Olivain


Et la Mère, fermant le livre du devoir, S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences L’âme de son enfant livrée aux répugnances. Arthur Rimbaud


Elle
Vitalie Cuif Rimbaud, image de toutes ces mères que l’enfant encombre. Submerge.
Il faudra l’aimer, s’habituer à ses absences. Tenter de le sauver.
Vitalie Cuif Rimbaud, je t’écris de si loin de mon enfance que les volets entrouverts sur le parterre de tulipes ne semblent accorder aucun crédit au pouvoir des mots que je n’ai pas écrits.
C’est comme ça, pas autrement.
C’est le roman de la déliquescence, c’est le pas en avant qui n’en finit pas.
Somme de ceux qui s’en sont allés, que je n’ai pas su retenir. Dont je n’ai pas oublié les traits. On rime longtemps sur un sourire, des épaules qui vous envahissent. Tendresse ultime qui vous a fait grandir. Une chanson, un accompagnement de guitare qui vous marque à tout jamais. On dit que l’on est fait de ceux-là. Et l’on a certainement raison. Les mots s’accélèrent au terme de la vie.
Petit à petit l’énergie, l’outrecuidance d’exister se déplace sur un clavier que l’on n’avait même pas imaginé.
Lui
Longtemps j’ai pensé que l’écriture suffirait à vivre. Je dois bien admettre aujourd’hui que je me suis trompé.
La vraie vie est enveloppante, absorbante, elle fait mal et brise méthodiquement ce que le vent, le soleil et la pluie peuvent apporter de soutien et de confort. Il faudrait dire de ne pas écrire, se contenter de narrations froides qui éclaireraient les conflits, qui justifieraient aussi les silences. Mon effort d’écriture ne fut en rien celui d’un documentaliste, je n’ai rien entrepris qui semble être utile quelque part. Je ne prouve rien, je ne prétends rien qui ne soit subjectif et me ramène à cette fable de l’animal qui lâcha un jour la proie pour l’ombre.
Il semble aujourd’hui que nous ne soyons plus dans la nécessité de l’écrit. La narration n’a pas suffi. C’est un fait de nous apercevoir aussi démunis. Qu’avions-nous à nous dire ? À nous prouver ? Et voici que surgit la mère. Pas de nulle part non, mais du plus profond des souvenirs. Voici que nous ne pouvons faire autrement que de parler d’elle.
Elle
Elle a quelque chose d’un van Dongen qui ne s’est pas contenté de prendre la pause, uniquement la pause. Visage de la mère, jardin du Luxembourg, été cinquante-deux. Elle est seule sur la photo, tu l’as sans doute fait exprès. Elle est pleine d’arrogance et elle sourit. Je suis si loin de tout cela qu’on ne remarque pas mon absence dans les allées tièdes que fait l’ombre si haute des peupliers.
Récitant
Ils viennent de se marier et de découvrir la photo. Cet appareil si complexe qu’on vient de leur offrir, que plus tard, leur enfant détruira, malade sur son lit du n’importe quoi.
Il l’ouvrira, fera comme on le fait d’un gibier.
L’odeur des caoutchoucs, du métal qui s’étire. Il découvrira de nouveaux espaces plus loin que ses doigts.
Il va écrire, s’enfuir, peut-être. Elle le sait, elle pleure en silence et voudra plus tard le venger de ce monde. Elle ira partout où il a mal celle qui n’a jamais quitté les terres de la Roche aux pieds desquelles pour toujours elle l’attendra.
Elle ne le voulait pas et ne cessera de l’espérer, l’attendre.
Sans doute ce paradoxe le fit génial. Enfant muet et si triste devant cet éclaté de la photo, que jamais ils ne parviendront à remonter. Jamais ils ne reconstruiront ce qu’il a démoli de ses mains, de son cœur et de ses mots vagabonds.
Un peu Rimbaud, un peu lui-même, il tente un sourire, une colère étrange sous son crâne.
Elle
Ce que tu sais contient dans un bo î tier d’appareil photo. Je te le promets. Ce ne sont plus des bras repliés sur eux-mêmes dont je parle, mais des circonvolutions de gestes qui veulent tout simplement enlacer, retenir. É loge de la maladresse. Je suis Vitalie Cuif Rimbaud. Je suis sa daronne. La rimb. J’ai mis au monde l’enfant de partout, de n’importe qui. Je dis que je ne le désirai pas, mais je promets de le sauver partout et à l’infini de nous. Je suis de toutes les forces sauf celle de le voir souffrir. C’est comme cela. Je n’y peux rien.
Lui
C’est l’image figée du bonheur lorsque l’on veut espérer que la vie ne saura l’altérer.
On tutoie la folie, on le sait, on a la vie devant soi, jardin de Paris ou d’ailleurs, cela fera des souvenirs, on est prévenu depuis si longtemps déjà. Il n’y aura pas de volume deux à se raconter.
Il faut côtoyer l’essentiel ou dispara î tre. Dispara î tre.
On s’attachera à des détails ridicules, on les portera au niveau des ic ô nes, on ne les oubliera jamais. On récitera des psaumes en leur honneur, seul le soir avant de ne jamais s’endormir.
On en souffrira, peut-être on en mourra.
Elle
Tu m’envoies des lettres, toujours, de Londres, de Paris, d’ É thiopie.
Je ne les comprends pas, mais je les serre contre mon cœur oublié, moi qui ne t’ai jamais embrassé. Bouteilles à la mer de ton désespoir. Qu’as-tu essayé de me dire ?
Récitant
Elle porte un chapeau qui n’indique qu’une chose : il ya du soleil.
Un chapeau de feutre qui se mire seul, dans le bassin si proche où ils viennent de se promettre de s’aimer toute la vie. Ils ont eu cette seconde d’insouciance aux seuls dieux réservée. Ils l’ignoraient alors, cela les rendait puissants. Invulnérables puisqu’enfin la beauté était leur caution de vivre.
Il fait étonnamment beau jardin du Luxembourg lorsque l’on s’aime et que l’on sait se le dire.
J’ai la photo encore quelque part, je peux en témoigner. Ils se sont adorés. Mais que faisaient-ils là ces parnassiens des landes girondines à peine épousés, à peine confondus ? Quelle litanie les fit entrer dans l’existence, eux deux, rien qu’eux deux ?
Mère de Gironde ou de Charleville, vous portez, je le sais, le même abandon dans vos yeux. Vous avez cru que n’être pas aimée était une fatalité. Sans doute aviez-vous raison à ce moment-là de votre désespoir.
Lui
Nous serons ensemble jusqu’à la séparation ultime qui, je le sais, viendra un jour nous arracher l’un de l’autre, défaire ce plaisir que nous prenons aujourd’hui à nous regarder.
Nous vieillirons, nous espérerons ensemble. Oui, nous nous aimons et ne cesserons de nous aimer.
Récitant
Ils se sont dit cela, elle l’a dévisagé, n’a retenu aucune hésitation dans ses mots.
Elle savait à ce moment précis, que sa vie était ailleurs. C’est un hasard de se nommer Rimbaud, elle s’appellera jusqu’à la fin Vitalie Cuif, et cet homme qu’elle aime, elle ne le suivra jamais.
Le paradoxe d’un moment du bonheur bien des années plus tard, deux étrangers Jardin du Luxembourg qui mêlent leur vie d’un mensonge de coton qui ne protège qu’un instant du froid.
Lui
Nous aurons des enfants.
Elle
Je n’ai pas bougé, je n’ai rien dit. Il attendait une réponse. J’aurais pu parler du vent qui remonte de la Seine, je me suis tue.
Lui
Le lent processus qui consiste à tout faire pour ne pas devenir.

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents