Petite philosophie des mises en scène d opéras d aujourd hui
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Description

« S’il fallait dire en deux mots le fil directeur de ce petit essai, j’avouerais que nos mises en scène d’opéra sont bien de notre temps dans la mesure où elles révèlent nos travers les plus obstinés, et qu’en tant que telles précisément, elles ne nous font guère honneur. Il est devenu clair que la postérité nous jugera un jour comme nous le méritons : durement. »

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Informations

Publié par
Date de parution 06 novembre 2012
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748395877
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Petite philosophie des mises en scène d'opéras d'aujourd'hui
Dominique Catteau
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Petite philosophie des mises en scène d'opéras d'aujourd'hui
 
 
 
À Serge Baudo
 
 
 
Petit avertissement
 
 
 
Depuis quelques dizaines d’années à l’opéra, on peut voir plusieurs types de mises en scène : certaines sont incontestablement intelligentes et réussies, d’autres moins, d’autres encore ni l’un ni l’autre. Sans prendre la peine de désigner expressément des coupables, j’appellerai ici la dernière catégorie les « mises en scène insensées ou aberrantes ». Chacun y reconnaîtra les productions qu’il voudra, mais personne n’hésitera à regretter qu’elles existent. C’est d’elles seules que je parlerai.
 
 
 
 
 
 
 
Et si finalement, en dépit de tout ce qu’on croyait, Berlioz avait de la chance ? Même si on le joue et l’enregistre beaucoup plus qu’il y a quarante ans, même si sa réputation mondiale n’est plus à faire aujourd’hui, il n’empêche que ses opéras, en lesquels il avait pourtant placé tant d’espoirs, continuent d’être tenus à une distance prophylactique de la scène, surtout en France, ou au mieux à y être admis à dose homéopathique. Et si cette quarantaine devenait une bénédiction ? En effet, vu les épidémies qui sévissent depuis une bonne vingtaine d’années sur les scènes de nos opéras, on pourrait presque se consoler de le voir ainsi échapper à la prolifération des productions les plus problématiques. Je crains toutefois que même ce modeste vœu ne soit pieux, tant il reste vrai que sa rareté scénique n’a même pas pu lui éviter la contagion dont on voudrait dire quelques mots ici.
 
Parler encore des mises en scène d’opéras aujourd’hui peut paraître vain à plus d’un titre. D’abord et avant tout, parce que certains l’ont déjà fait, parfois même très bien. Par exemple Jean Goury dans son récent C’est l’opéra qu’on assassine 1 qui éclaire de sa grande compétence l’historique détaillé de l’évolution (ou de l’involution) des façons de concevoir et de réaliser les mises en scène des ouvrages lyriques. De façon un tout petit peu plus ancienne, Philippe Beaussant, dans sa Malscène 2 , poussait un beau cri de colère devant la mode désormais établie. Ce qui est fait n’est plus à faire. D’autant que, et c’est la deuxième raison de ne rien faire, l’un et l’autre ont suffisamment explicité la mauvaise foi, d’ailleurs volontiers ouvertement revendiquée, souvent inhérente à ce genre de productions : volonté de choquer pour le plaisir de dégoûter le spectateur traditionnel. Pure provocation, à la limite de la duplicité contre laquelle on n’a pas de prise, puisqu’on doit en fin de compte supposer que le provocateur est le premier à ne pas croire à ce qu’il propose, ou impose, à son public. À quoi bon lui démontrer qu’il se trompe, puisqu’il le sait, et s’en délecte ? La dernière raison de ne pas entrer en campagne contre les moulins à vent tient à un constat qui semble annoncer le retour de l’espoir : le succès aux allures de plébiscite de la récente formule du ciné-opéra. Ce succès sans frontières, chacun le sent bien aujourd’hui, ne provient pas tellement de ce que les représentations viennent d’Outre-Atlantique, en l’occurrence du MET, que de ce qu’elles sont systématiquement offertes aux spectateurs dans des mises en scène conventionnelles, pour ne pas dire traditionnelles. Ou l’absence de complexes comme gage de réussite.
 
On se propose donc de traiter de ces choses sans illusion d’efficacité, mais d’une manière pas tout à fait usitée. Sans rage particulière, ce qui de toute façon leur fait trop d’honneur, et sans aucun arrière-plan érudit sur l’évolution des modes et des tendances, je ne prendrai même pas la peine de citer les noms des metteurs en scène auxquels je ferai néanmoins allusion de-ci de-là, d’abord et avant tout parce que, faisant partie des insolites qui ont pris l’habitude de fermer les yeux à l’opéra, je ne les connais qu’à peine et que je suis toujours heureux d’oublier au plus vite leurs identités. En revanche je voudrais tenter de passer les mises en scène actuelles d’opéras au crible de l’analyse philosophique. Pour essayer de voir essentiellement ce qui s’y cache, les présupposés qu’elles sous-entendent, parfois sans en être elles-mêmes conscientes, et les problèmes de fond qu’elles indiquent en perspective, fût-ce encore à leur propre insu. À partir d’un bref rappel de l’état des lieux de ces choses du théâtre musical dans ses grandes lignes, et des prétentions que ses auteurs revendiquent à voix haute, ou basse, on cherchera à atteindre les questions de valeur inhérentes à ces positions, avant de dégager leurs présupposés philosophiques, pour finir par l’indication de quelques problèmes fondamentaux, non seulement irrésolus par ces tentatives, mais surtout inévitablement induits par elles pour l’avenir.
 
S’il fallait dire en deux mots le fil directeur de ce petit essai, j’avouerais que nos mises en scène d’opéras sont bien de notre temps dans la mesure où elles révèlent nos travers les plus obstinés, et qu’en tant que telles précisément, elles ne nous font guère honneur. Il est devenu clair que la postérité nous jugera un jour comme nous le méritons : durement.
 
 
 
État des lieux
 
 
 
Une mode qui dure
Depuis quelque trente ans, nos scènes d’opéra se sont transfigurées. D’un réalisme naïf et guindé, souvent grotesque et suranné, en passant par des éclairs de symbolisme plus ou moins abstrait, elles en sont venues à s’abandonner corps et âme aux extravagances les plus insensées.
L’enracinement de cette métamorphose est difficile à cerner avec certitude. De l’esprit soixante-huitard un peu attardé, on a conservé la contestation des traditions, par principe déclarées figées, la haine de ses thuriféraires, dénommés uniformément bourgeois, et l’appel à la libre créativité de tous et de chacun. De la chute du mur de Berlin, les Allemands plus que tous les autres ont gardé le désarroi dû à l’écroulement des idéologies bloquées, dans le contexte fatalement non digéré d’un sentiment de culpabilité nationale généré par la souillure nazie. Il y avait en effet de quoi ne plus savoir ni qui on est, ni à qui se vouer, et s’abandonner en conséquence à la tentation de tout renier et de tout saccager dans ce qui pouvait apparaître si peu que ce fût comme un héritage de leur propre histoire. Tout cela est connu, et a déjà été amplement étudié. Ce qui l’est peut-être moins, c’est le rapport possible entre l’état désarticulé de nos scènes de théâtre et d’opéra et celui, plus général, de nos sociétés mondialisées et ultra-libérées. Car notre ultralibéralisme, contrairement à ce qu’on pense encore trop souvent, n’est pas qu’un phénomène économique et éventuellement politique. C’est de civilisation qu’il s’agit, et c’est Dostoïevski qui nous en avait prévenus : si aucun Dieu n’existe plus depuis l’effondrement des religions, l’extinction des espérances sociales et politiques, la dissolution des exigences morales et le dépérissement des instances étatiques, alors tout est permis à l’individu, acculé et renforcé à la fois dans son individualisme le plus forcené. Jouir, sans s’embarrasser des autres ; consommer, sans se soucier de ce qu’on détruit ; profiter, sans autre frein que les limites de ses propres puissances. Dans un tel contexte, chacun se sent prêt à revendiquer pour lui tous les droits pour vivre enfin sans entrave.
Toutes ces caractéristiques se retrouvent plus ou moins dans la façon dont nos actuels metteurs en scène font leur travail. Dans les mises en scènes insensées, les personnages des œuvres commencent par ne plus être ce qu’on croyait qu’ils étaient : Tannhäuser n’est plus un troubadour plus ou moins courtois, il est un peintre en manque de succès mondain. Cassandre n’est plus une prophétesse troyenne, mais une infirmière de la Croix Rouge sur le front de la guerre 14-18. Wotan n’est plus un dieu borgne, mais un capitaliste sans scrupule. Énée se croyait chef troyen, le voici baroudeur ou globe-trotter. Don Giovanni a bien pu se faire passer pour un grand seigneur, le voilà prosaïquement banquier ou tout ce qu’on voudra. L’atmosphère scénique est à l’avenant, c’est-à-dire autre que ce qu’on pensait : les décors qui dépeignaient plus ou moins lourdement des ambiances d’époque se réduisent désormais à des accessoires presque exclusivement d’aujourd’hui, avec une nette préférence d’ailleurs pour les temps sinistres du soviétisme, du nazisme ou de quelque dictature bien glauque. Tout logiquement, les costumes se voient coupés à la mesure des nouvelles exigences : envolées les tuniques romaines, les toges sénatoriales et les jupettes de légionnaire, évaporés les parures féodales et les haillons médiévaux, disparus les pourpoints renaissants, évanouies les robes à panier, abolies les peaux de bête mythologiques. À leurs places, un costume, un seul, invariablement le même, ou presque : le complet veston, le costume trois pièces, le treillis militaire ou le blue-jean délavé. Bien entendu, avec de tels composants les intrigues des ouvrages traditionnels se trouvent tourneboulées sens dessus dessous : oubliés sans remords les logiques plus ou moins bien ficelées des livrets d’autrefois, désormais toute action dramatique peut se tramer autrement sous la férule impitoyable des fantasmes personnels les plus incongruents ; avec de nouveau une préférence marquée pour les élucubrations politiques et les pathologies hystériques. Bref, un seul mot d’ordre, d’ai

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