Trophée des Plumes 2021 - L'héritage d'un grand homme

Lucas Mario Betombo

Sujets

• Trophée des Plumes 2021

Informations

• Publié par: Belumar
• Date de parution: 16 juin 2021
• Nombre de lectures: 21
• Langue: Français

Extrait

La vieille maison familiale avait toujours eu un pouvoir apaisant sur Akim. En avançant dans l’allée ombragée menant à la porte d’entrée, il sentit que la sourde appréhension qui enserrait son cœur fondait comme un glaçon en pleine canicule. Il fit une pause pour visualiser la scène: en entrant, il verra son père assis sur son vieux fauteuil devant la télé, en train de regarder un documentaire. En le voyant, il lui adressera ce sourire en coin dont il avait le secret et l’invitera à s’assoir sur le canapé d’un simplemouvement de la tête. Ils allaient passer des heures à discuter de tout et de rien. Juste profiter l’un de l’autre.Un moment privilégié entre un père et son fils.

Alors il ouvrit la porte. Et le charme fut rompu.

La télé était éteinte. Pire, le fauteuil était vide. La réalité, celle qu’il avait futilement tenté de refoulé vint le percuter de plein fouet.

Le grand homme était parti.

Sa mère sortit de la cuisine. Leur regard se croisa et ils comprirent qu’ils pensaient à la même chose.Le vide laissé par le décès d’un être cher.Mais ils devaient se ressaisir. Ils avaient encore une longue routeà faire. Akim suivit sa mère jusqu’à la pièce qui servaient de bureau à son défunt père. Un espace lumineux et chaleureux, meublé avec goût.Le long d’un mur, des étagères croulaient sous le poids d’une centaine de livres. Ilss’assirent sur le canapé posé devant la bibliothèque pour se recueillir.

« Il me manque tellement ! Je ne sais pas comment je vais faire sans ses conseils »

La voix d’Akim se brisa en prononçant ces mots. Sa mère le prit tendrement dans ses bras et caressa sa tête, comme elle faisait quand il était petit.

«Je sais mon grand. C’est un peu pour ça que je t’ai fait venir»

Elle se leva pour prendre un vieil album photo dans un des tiroirs du bureau et revint s’assoir à côté de son fils. Sur la première photo, il put voir Hamed, son père, âgé d’une vingtaine d’année. Il avait le visage légèrement renfrogné. Il enlaçait une magnifique jeune femme qu’Akim devina être sa mère, Mélanie.Un vestige d’un radieux passé.

« Cette photo a été prise peu de temps après que j’ai rencontré ton père, quand nous étions encore étudiants. A l’époque, ton père était était loin d’être parfait. Il pouvait même être effrayant. Mais il savait aussi se montrer gentil et charmant. Je vais te raconter notre histoire à ton père et moi. »

Mélanie se souvenait parfaitement de cette époque, trente ans plus tôt. Elle avait rencontré Hamed à la bibliothèque universitaire. De simple, connaissance, il devint rapidement son meilleur ami. Quiaurait cru que ce jeune homme à la triste réputation s’avérait être quelqu’un de sensible et compréhensif. Avec lui, elle pouvait sans crainte parler de ces doutes, de ces peurs. La nature discrète d’Hamed garantissait la confidentialité de leur échange.Puis leurs sentiments se mirent à évoluer. La tendre amitié fit place à un amour passionnel. En apprenant leur relation, beaucoup de ces « personnes sensées » vinrent la voir pour lui prodiguer leurs conseils bienveillants.

« Voyons, Mel, sois raisonnable. Une gentille fille comme n’a rien à faire avecun voyou comme Hamed. Il est imprévisible et violent. Un jour il risque de te faire du mal. »

Mais ce que ces bien-pensants ignoraient, c’est que ce qui les liaient dépassait la simple idylle. C’était quelque chose de fort,d’intense,de fusionnel. Ils pouvaient passer des heures assis l’un dans les bras de l’autre, sans avoir besoin de parler.S’enivrer du parfum de l’autre.Parfois, le mauvais côté d’Hamed refaisait surface. Un mot, un geste insignifiant pouvaient le blesser. Il en résultait des disputes mémorables. Mais ils finissaient toujours par se rabibocher. Car la vie de couple n’est pas un long fleuve tranquille. Elle pouvait être houleuse. Comme ce jour précédant leur départ en vacances, durant leurdernière année d’étude. Elle ne souvenait même plus de la cause de leur prise de becet d’ailleurs, avec le recul, ça semble si futile. Cependant, à l’époque, ils avaient failli seséparer. Leur dispute continua jusquedans l’avion qui devait les ramener dans leur ville natale. Mel, excédée, avait fini par lui dire :

«Hamed, s’il te plaît, maîtrise-toi ! Je souffre autant que toi. Et ce n’est pas dans l’avion en plein vol que nous allons déballer nos problèmes conjugaux. L’endroit n’est pas idéal.»

Ces mots eurent dons de le calmer. Il inspira profondément, avant de murmurer tristement :

«J’en ai marre de cette vie que je t’impose. Je ne t’en voudrais pas si tu décidais de me quitter.»

C’est ce même jour que Mel lui annonça qu’elle était enceinte. Elle appréhendait sa réaction, surtout après la dispute. Mais son intuition lui disait de se lancer, avant de se dégonfler. Mais ce moment de surprise, elle put voir apparaitre sur son visage un grand sourire heureux. Depuis, il changea radicalement.Il était constamment au petit soin avec elle. Mais ce qui l’émut le plus, ce fut le jour où Hamed vint voir ses parents pour leur annoncer sa grossesse.Aujourd’hui encore, elle se souvenait de ses paroles :

«J’ai le plus grand respect pour vous. Je sais que vous devez être des parents extraordinaires pour avoir élevé une fille aussi extraordinaire. J’aime profondément votre fille. Elle est la meilleure chose qui me soit arriver. Sachez que je suis un homme de parole. Je ferai de mon mieux pour la rendre heureuse et éduquer notre enfant pour en faire quelqu’un de bien.»

Les fiançailles eurent lieux quelques semaines plus tard. Après quelques autres semaines, ils se dirent « oui » devant le maire. Hamed trouva un travail dans une bibliothèque. Sa passion pour les livres aidant, il excella dans ce domaine. Il eut rapidement une promotion et devint le responsable des activités d’animations. Les jours passaient et Mélanie approchait du terme.Et un jour, alors qu’ils étaient confortablement assis devant la télé, elle perdit les eaux. Le temps de contacter un ami qui était chauffeur de taxi, ils partirent pour l’hôpital. Les gémissements de Mel résonnèrent dans l’habitacle tout au long du trajet. Sitôt arrivé, elle fut prise en charge par le personnel médical. On lui expliqua cependant qu’on devait pratiquer une opération césarienne sur Mel. Il dut attendre dans la salle d’attente, pendant ce qui lui parut des heures. Puis quelqu’un vint le trouver pour lui annoncer que son fils et sa mère se portait bien. Trente ans se sont écoulé depuis ce jour. Leur fils Akim, adulte, avait maintenant sa propre famille.

Mélanie inspira profondément et tourna les pages du vieil album. Il y avait là des dizaines de photos, remémorant les divers épisodes de leurs vies de famille.

«Akim, ton père était loin d’être parfait. Comme toi, il était souvent en proie aux doutes et à l’incertitude. Mais il avait conscience de ses responsabilités et il était trop honnête pour les fuir. Le plus souvent, il n’était pas préparé pour les épreuves qui jalonnaient sa route, mais il y faisait face malgré tout. Il s’est décarcassé pour te donner le meilleur de lui-même. Ton père t’aimait énormément et il voulait être un bon exemple pour toi.Il s’est toujours débrouiller pour être aussi présent dans tous les évènements importants de ta vie. »

Akim ne put empêcher ses larmes de couler sur ses joues

«Il était le plus grand des hommes. J’aurai de la chance si je pouvais être la moitié de ce qu’il était. »

« Mon fils, retient juste ceci. Ton père voulait te faire comprendre que dans la vie, on est tous un peu paumé. On n’est pas préparé pour ce qu’on va affronter. On fait des erreurs et souvent on tombe. Mais l’essentiel, c’est de faire de son mieux, de se relever et decontinuer à avancer. Ne fuis jamais tes responsabilités. Sois un homme bien mon fils et sois digne de l’héritage que t’a transmis ce grand homme.»