Trophée des plumes 2022 - ENTRE MER ET MONTAGNE

Maite Lucie Negre Mapangou

Description

Une adolescente gabonaise est déracinée brusquement vers la Suisse pour suivre sa tutrice; son adaptation est difficile; son retour au pays trois ans plus tard lui permet d'ouvrir les yeux sur une réalité qu'elle n'avait pas saisie.

Informations

• Publié par: mam18
• Date de parution: 15 mai 2022
• Nombre de lectures: 37
• Langue: Français

Extrait

TROUVER L’EQUILIBRE/ CONCOURSTROPHEES DES PLUMES 2022/14-30 MAI / 7993 c. sur 3 PAGES

ENTRE MER ET MONTAGNE… La pauvre Keyla était accablée, écrasée par le poids de ses pensées. Elle pleurait dans son Đœuƌ, sans cris ni larmes, assise sur son lit comme un animal blessé, la tête posée sur ses geŶoudž ƌepliĠs. Elle Ŷe ǀoulait Ƌu’uŶe Đhosrentrer chez elle, retrouver ses amies, lese : plages tranquilles de Libreville et son cadre habituel de vie. Mais Tante Madina, célibataire sans enfant et tutrice officielle de Keyla depuis dix ans, avait refusé de la laisser au pays loƌsƋu’elle aǀait ĠtĠ ŶoŵŵĠeau Bureau de l’UNESCO à GeŶğǀe.Un proverbe punu dit bien que « Le singe qui saute par-dessus le feuŶ’ouďlie pas sa Ƌueue deƌƌiğƌe lui!». D’ailleuƌs elle la présentait partout comme sa fille, appliquant stricto sensu la coutume des ethnies matriarcales : l’eŶfaŶt deta petite sœuƌ est toŶ eŶfaŶt. Elle avait donc pris Keyla sous sa tutelle après le décğs pƌĠŵatuƌĠ de sa plus jeuŶe sœuƌ.La petiteŶ’avait que cinq ans. Quant à son géniteuƌ, Đ’Ġtait uŶ illustƌe iŶĐoŶŶu.

Depuis huit jouƌs, l’adolesĐeŶte se morfondait dans la chambre pourtant coquette et luŵiŶeuse de l’appaƌteŵeŶt ŵis à leuƌ dispositioŶ paƌl’oƌgaŶisatioŶ iŶteƌŶationale. Le ƌegaƌd aďsoƌďĠ paƌ l’iŵpƌessioŶŶaŶt jet d’eau suƌgissaŶt du laĐ LĠŵaŶ, l’horizon coupé par la ligne brisée des sommets enneigés, la jeune fille se sentait déracinée. Elle était loin de voir les choses sous le même angle que sa tante ! On était fin octobre et lefƌoid de l’hiǀeƌétait déjà descendu des montagnes vers la vallée. Pour la première fois de sa vie elle verra la neige et sa respiration ressemblera à de la fuŵĠe s’ĠĐhappaŶt de sa poitƌiŶe.« Et alors ? se disait-elle, quel intérêt ? ». Le soleil se levait tard et se couchait tôt, perturbant son horloge interne. Les journées lui paraissaient si courtes ! La semaine prochaine, elle commencera les cours de seconde au lycée français de Genève et appréhendait terriblement cette épreuve : il y avait trop de BlaŶĐs autouƌ d’elle. Ce Ŷ’Ġtait pas soŶ ŵilieu; elle se sentait perdue. Comment allait-elle leur parler ? Serait-elle la seule Noire de sa classe ? Ils allaient certainement la rejeter. « Tous les Blancs sont racistes, disait son oncle qui avait étudié en France,ŵġŵe Đeudž Ƌui Ŷ’oŶt pas eu de colonie ». Pire encore, sa tantel’aǀait iŶsĐƌite à l’internat pour la semaine car son programme de travail était chargé et ses missions nombreuses. « PourƋuoi, ŵais pouƌƋuoi ŵ’a-t-elle emmenée ? » se lamentait la jeune fille.

Penchée à la fenêtre elle voyait le bal incessant de la grande ville avec ses bus, trams et voitures circulant en tout sens au rythme des feux colorés. Comme des fourmis laborieuses,

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les piétons se croisaient sans se regarder, toujours pressés, emmitouflés dans leurs vêtements comme dans des armures. « Même quand ils parlent ils veulent aller vite. Je ne les comprends pas ! » disait Keyla à sa tante pour justifier son refus de sortir.

Emmenée contre son gré, Keyla subissait ce déracinement comme une punition injuste. Son esprit tanguait tel le bateau ivre du poète. Qu’allait-elle devenir ? Sa mère dont le souvenir s’estoŵpaitet Đe pğƌe iŶĐoŶŶu Ƌui aǀait ƌefusĠ de l’aiŵeƌ, Ŷ’Ġtaitcomme-ce pas suffisant souffrance ? La vie était trop dure envers elle. Personne ne la comprenait : tout son eŶtouƌage s’Ġtait ƌĠjoui de soŶ dĠpaƌt et de la ĐhaŶĐe Ƌu’elle aǀaitde continuer ses études en Europe. Chacune de ses amies avait pleuré en la quittant, lesLJeudž pleiŶs d’eŶǀie. Mais Keyla ne voulait pas entendre ce son de cloches.Elle Ŷ’aǀait ƌieŶ deŵaŶdĠ, surtout pas ce départ! D’ailleuƌs, lesmontagnes et le froid lui faisaient peur. Elle ne rêvait que de la mer et du soleil de son Gabon natal…NĠaŶŵoiŶs, elle s’haďitua. Lentement.Elle Ŷ’aǀait guğƌe le choix. La première année fut douloureuse et ses résultats scolaires catastrophiques. La nourriture ne lui convenait pas et elle maigrît beaucoup au poiŶt d’iŶƋuiĠteƌ sa taŶte et de consulter un psychologue. Puis elle apprît à se gérer. La seconde année, Keyla se fit des amies et finit par apprécier le confort de sa vie et quelques mœuƌs loĐales, se ƌĠgala de fondues au fromage, de rösti et de müesli.L’adolescence jouant son rôle, elle commença à se faire belle et, à sa grande surprise, eut un franc succès auprès de ses camarades de Terminale, des étrangers comme elle, issus des pays membres des Organisations Internationales installées à Genève. Elle reprit confiance en elle et améliora ses notes. Un voyage en train panoramique et plusieurs séjours auski lui peƌŵiƌeŶt d’apprivoiser la neige et le fƌoid, et d’apprécier l’edžĐeptioŶŶelle beauté des Alpes suisses. Raisonnable, elle avait pris le parti de s’adapteƌ, faute de pouǀoiƌ s’eŶ alleƌ. Elle appƌĠĐiait ŵġŵe leschangements de saisons si surprenants…studieuse, sa troisième année de lycée avait bien Elève commencé. Cependant, en cachette de sa tante, elle économisait surl’argent de poche Ƌu’elle ƌeĐevait généreusement : dès sa majorité elle achèterait son billet de retour au pays. La jeuŶe fille Ŷ’eŶ pouǀait plus d’atteŶdƌe.Trois ans,Đ’esttrès long pour une adolescente ! Que devenaient ses amies? Leuƌs ĠĐhaŶges s’espaçaieŶt dĠsoƌŵais Đoŵŵe si le teŵps les séparait inexorablement. DevantsoŶ ǀague à l’âŵe et satristesse permanente, sa tante lui promitde passeƌ les deudž ŵois d’ĠtĠau pays si elle obtenait son diplôme.

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Folle de joie, Keyla recommença à sourire. Elle ne pensait plusƋu’audž pƌoĐhaiŶes ǀaĐaŶĐes, certaine de retrouǀeƌ le paƌadis de soŶ eŶfaŶĐe et d’LJ pouƌsuiǀƌe ses Ġtudes.ne Personne l’oďligeƌaà revenir ! Hélas, grande fût sa déceptioŶ…

Fêtée à son retour, pour son Bac et son comportement, elle ne reconnut pas ses amies. La plupart avaient un copain, certaines un enfant, une seule avait eu son examen. Elles Ŷ’aǀaieŶt plus eŶ ĐoŵŵuŶ Ƌue leurs souǀeŶiƌs de Đollğge et d’eŶfaŶĐe.La cité proprette d’OǁeŶdo où elles avaient grandi ressemblait maintenant à un quartier sous développé. Les anciens locataires disciplinés étaient devenus des propriétaires désordonnés : magasins et buvettes avaient poussés devant les habitations et dans les espaces communs. Les détritus emplissaient les caniveaux devenus terrain de jeux des chiens et des rats. La quiétude de la Cité avait laissé place au bruit incessant des musiques de bars jusque tard dans la nuit, attirant comme des mouches les collégienneseŶ Ƌuġte d’aƌgeŶt ǀite gagŶĠ. KeLJla ƌĠalisa à Ƌuel poiŶt soŶ dĠpaƌt l’aǀait sauǀĠe de Đette dĠƌiǀe et elle ƌesseŶtit uŶe immense reconnaissance envers sa tante…Après avoir discuté avec ses graŶdes sœuƌset leurs amies étudiantes, lui expliquant la mafia qui régnait àl’UŶiǀeƌsitĠ,elle écarta définitivementl’idĠe de poursuivre ses études au pays et se surprit à prier pour que Tante Madina garde son poste encore quelques années !Elle eŶ aǀait le Đœuƌ seƌƌĠ ŵais la balance penchait clairement en faveurd’uŶsecond départ versl’Europe. Volontaire cette fois. Sa tante sourit quand Keyla lui annonça sa décision de repartir avec elle : «Je Ŷ’eŶ aijamais douté ! lui dit- elle. Tu as coŵpƌis pouƌƋuoi je t’ai eŵŵeŶĠe?Ne t’iŶƋuiğtes pas, tu reviendras avec un diplôme en poche et tuœuǀƌeƌaspour ton pays. ». Elle Ŷ’osa pas ƌepƌoĐheƌ à sa taŶte soŶ ŵaŶƋue de psLJĐhologie. Il LJ a tƌois aŶs, il auƌait suffit Ƌu’elle lui edžpliƋue la situatioŶ et Ƌu’elles! Mais aurait-elle comprisdécident ensemble ? Elle Ŷ’Ġtait eŶĐoƌe Ƌu’uŶeado iŵŵatuƌe…Apaisée, la jeune fille se fit une promesse : « Je ferai tout pour éviterà d’autƌes enfants de telles situations. Ça fait trop mal. Inutilement! ». Une lumière se mit à clignoter dans son cerveau : «Tout Đela s’appƌeŶd et peut devenir mon métier !J’ai tƌouǀĠ: je serai psychologue pour enfants !». Cette voie lui permettrad’atteindre son équilibre, elle le pressentait. Keyla sourit à son reflet dans le miroir avant de sortir rejoindre ses amies à la plage. Entre mer et montagne, le Gabon et la Suisse,elle Ŷ’aǀait pa: les deuxs à choisir serviront son avenir.

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