Trophée des plumes 2022 - ( l escalade de l horreur)
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Trophée des plumes 2022 - ( l'escalade de l'horreur) , livre ebook

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Description

Ma plus grande désolation a été de fuir Bamenda, cette ville de mélange de langues, de religions et de cultures. Moi qui croyais que les différences sont une richesse, je constatai qu’elles divisent. Le tintamarre des balles réveilla les villageois et sema l’affolement. Des égorgeurs cagoulés juxtaposèrent des cadavres en incendiant tout, même l’unique hôpital du coin. Les cris pleuvaient et agressaient le ciel indifférent. Lorsque des revendications virent en guerre, les populations meurent dans des guêpiers où la perversité et l’inhumanité s’amourachent. On cracha le feu sur les délices de ma vie. Difficile encore de siroter une bonne bière, d’aller à l’école. Ma vie bascula dans l’infortune. Le tonnerre grondait. La multiplication des attaques préoccupait les soldats venus de Yaoundé. La haine redorait son blason dans la cohue d’un tribalisme mitigé. L’horreur, en éventrant la paix, étrangla ma tranquillité. La coulée du sang terrifiait. Je ne cessais de courir pour échapper à la mort. Le chaos avait certainement englouti mes parents, mes frères et sœurs. Les gens se marchaient dessus pour déguerpir et retrouver une zone sécurisée. Des meneurs d’hommes montraient le chemin. Mon village eut été attaqué en pleine nuit comme beaucoup d’autres à la ronde. La peur s’épanouissait et tordait le cou au bonheur. Hommes, femmes et enfants fuyaient afin de ne pas subir le même sort que les décapités. Le souvenir tragique de ceux qui avaient été brulés vifs coupait le souffle.

Informations

Publié par
Date de parution 31 mai 2022
Nombre de lectures 169
Langue Français

Extrait

Ma plus grande désolation a été de fuir Bamenda, cette ville de mélange de langues, de religions et de cultures. Moi qui croyais que les différences sont une richesse, je constatai qu’elles divisent. Le tintamarre des balles réveilla les villageois et sema l’affolement. Des égorgeurs cagoulés juxtaposèrent des cadavres en incendiant tout, même l’unique hôpital du coin. Les cris pleuvaient et agressaient le ciel indifférent. Lorsque des revendications virent en guerre, les populations meurent dans des guêpiers où la perversité et l’inhumanité s’amourachent. On cracha le feu sur les délices de ma vie. Difficile encore de siroter une bonne bière, d’aller à l’école. Ma vie bascula dans l’infortune.
Le tonnerre grondait. La multiplication des attaques préoccupait les soldats venus de Yaoundé. La haine redorait son blason dans la cohue d’un tribalisme mitigé. L’horreur, en éventrant la paix, étrangla ma tranquillité. La coulée du sang terrifiait. Je ne cessais de courir pour échapper à la mort. Le chaos avait certainement englouti mes parents, mes frères et sœurs. Les gens se marchaient dessus pour déguerpir et retrouver une zone sécurisée. Des meneurs d’hommes montraient le chemin. Mon village eut été attaqué en pleine nuit comme beaucoup d’autres à la ronde. La peur s’épanouissait et tordait le cou au bonheur. Hommes, femmes et enfants fuyaient afin de ne pas subir le même sort que les décapités. Le souvenir tragique de ceux qui avaient été brulés vifs coupait le souffle. Cette nuit-là, on faillit demander refuge dans un camp avant que l’un des meneurs ne nous fit savoir que, dans l’enclos en question, des hommes jouaient au ballon avec une tête humaine. Une sentinelle aperçut nos silhouettes et donna l’alerte. L’épouvante émietta nos rangs. Des soldats du mal se lancèrent à nos trousses. Le sol et les arbustes se saoulèrent de sang pendant que la lune avala son éclat. Pour me sauver, je me jetai dans un marigot. L’eau m’escorta dans une grotte séculaire; je m’y accroupis et pris ma tête dans mes mains. Mes sanglots de peur m’étouffèrent jusqu’à ce que la morosité du soleil posât une main sur mon épaule. Rien ne retient les larmes quand l’âme est éprouvée.
Face à l’ébullition de l’insécurité, partir de Bamenda fut mieux. Je laissai derrière moi ma famille, mes biens et mes joies. Les hématomes et blessures ayant pris en otage mon corps ne parvinrent à modifier mon projet. L’état d’urgence n’annulait pas les requiem. Les populations en furie submergeaient les routes, ayant tout perdu. Je ne vis aucun visage familier. Les miens avaient-ils été tous piétinés, égorgés, brulés?
Ruminant les atrocités, j’engageai une marche vers Mbouda, une ville francophone voisine. Une vieille mère derrière moi boitait de faim, de sommeil et de fatigue comme moi. Mes pensées se retournèrent vers Bruno dont le souvenir savoureux de ses baisers électrisa furtivement mon corps. Par une bifurcation, je contournai un relief un peu têtu et même un poste de contrôle. J’enlevai mes chaussures et massai mes pieds endoloris. Les voitures me traversaient sans m’embarquer, craintives que je puisse leur tendre un piège. Ma marche vers un autre destin dura trois jours. Ayant échappé au pire, je voulus, une fois à Mbouda, me ressaisir, faire mon deuil et recommencer à vivre. Mon moral se cacha sous mes sandales. Je caressai enfin l’espoir de manger quelque chose. Mon accoutrement délabré obligeait des gens à me fuir telle une folle quand je leur quémandais un bout de pain. Finalement, j’arrachai le pain d’un monsieur. Il me lyncha à me briser une côte. Frôlant l’évanouissement, la déprime
me donna l’appétit. Bâtir l’unité nationale quand tout s’emploie à désunir semble démagogique.
Etre camerounais n’étant ni une gloire, ni un mérite, je cherchais un endroit où dormir. Sans argent, comment trouver un confort quand l’hospitalité eut été poignardée et que l’orage de Bamenda invitait des francophones à se méfier de leurs « frères » anglophones. Qu’a à voir la langue quand il s’agit d’aimer l’autre ? Je me morfondais près d’un bar quand le propriétaire me révulsa : « Les anglophones-là, allez là-bas ! Rentrez chez vous ! ». En m’éloignant dans cette rue débouchant sur le grand marché de Mbouda où des déplacés s’impatientaient et se bousculaient, je constatai un homme qui traina son regard sur mon corps, mes fesses et le long de mes jambes malgré ma saleté. Il avança et me proposa 500f « pour un coup ». Je refusai. Il insista : « tu ne trouveras pas mieux. Voilà tes sœurs-Bamenda là-bas qui vendent à 200f ou 300f ». J’acceptai sans savoir comment m’y prendre. Je ne revins à moi-même qu’au moment où il me remit ma paie. Dans la grisaille de cette autre nuit si obscure, ma conscience me catapulta. Je fermai mes yeux à ses jugements et m’achetai un plat de riz dans un restaurant avec un argent « sale ». Sous le coup de la vie chère, je ne me rassasiai point. Je léchai les plats remplis de détritus et posés dehors. Le marchand me renversa par une gifle.
Je voulus maudire ma nationalité quand un jeune homme me parla en anglais en me relevant du sol. Il me consola : « les francophones sont comme ça ! Viens, allons. ». Il me prit sur sa moto. Je m’installai chez lui. August, mon sauveur anglophone, changea ma vie même si les clichés de l’horreur continuaient de hanter ma mémoire. Sauf qu’après quelques semaines, il commença à me faire l’amour avec une violence inouïe. Je le suppliai d’y aller doucement. Hélas ! Je supportais les travers de ce détraqué sexuel en contrepartie d’un semblant de bonheur. Dans la chambre voisine, logeaient quinze déplacés, harcelés par la précarité. Des matins, je pleurais pour cet enfant affamé sans parent et pour ce parent enragé sans enfant. Malheureusement, je tombai enceinte. August se débarrassa de moi. J’appris qu’avec la crise dite anglophone, des hommes hébergeaient des déplacées pour des raisons évidentes. L’atrocité nourrit des perversités.
A cause de cette grossesse, mes hanches lâchaient, mon corps se délabrait, mes seins s’aplatissaient. Une pluie de regrets me décontenançait. Mes rêves d’amour s’éclipsaient comme s’éteint une flamme. Une nausée revancharde venait saler l’addition pour me mettre face à face avec la douleur. Une vague d’interrogations noyait ma tête mais deux retinrent mon attention : allais-je donner naissance à un monstre ou à un agneau ? Comment allait-il vivre et m’assurer une descendance ?
Mes moments se chaotisaient. Le déchaînement des volcans de pressions aiguisait toujours mes malheurs. Fallait-il continuer de m’affranchir des règles de la morale et de la bienséance ? Je devais garder cet enfant en guise de résilience face à l’ambigüité et la complexité de ce pays où l’on se cache derrière les concepts de nationalisme et de patriotisme pour promouvoir la misère et le cynisme. Indignée par l’accoutumance des miens à la souffrance, je rencontrai Carine à l’Eglise protestante de Mbouda. Cette camarade de l’université de Bamenda m’invita à prier pour les sinistrés et à pardonner les assaillants.
- Tu es aussi ici ? Comment vas-tu, Mary ? M’interrogea-t-elle à la fin du culte.
- Très mal, répondis-je en pleurs.
Nous nous racontâmes nos histoires relatives à la crise qui faisait la « une » de l’actualité. Les manœuvres politiques exhalent le sordide et exaltent la mort. Carine m’accueillit chez elle et me montra une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux dans laquelle les assaillants tirèrent une balle dans la tête de Bruno pour non-versement de la rançon. Parce que Félix, son collègue, allé à Bamenda pour inhumer ses parents brulés vifs, fut victime d’une offensive des milices dites sécessionnistes, Carine me fit embaucher dans cette microfinance, située au cœur du marché de Mbouda. Priant sans cesse, Jésus-Christ m’a revigorée. Aujourd’hui, Victory vagit dans son berceau ; je suis tout près d’elle pour lui caresser la joue en lui disant qu’elle est toute ma famille. Je m’obstine à lui donner des raisons de vivre et d’espérer.
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