Trophée des plumes 2022 - (Le Dilemme)

Abraham Coulibaly

Description

Entre la musique et les études, Wolfy n'a jamais pu choisir. S'efforçant tant bien que mal de poursuivre ces deux lièvres, une grande opportunité va venir troubler l'équilibre précaire dans lequel il se trouvait jusqu'alors, l'obligeant à faire un choix.

Informations

• Publié par: wolfyofficielle
• Date de parution: 16 mai 2022
• Nombre de lectures: 457
• Langue: Français

Extrait

La scène, la foule, les applaudissements. Rarement, de ma jeune existence, je me suis senti aussi vivant. Les minutes qui viennent de s’écouler, ont pour moi la signification d’un rêve accompli. Un rêve, qui aussi loin que me ramènent mes souvenirs, a toujours été présent dans mon esprit. En montant sur scène cette nuit, je me suis revu quelques années auparavant, dans la cour familiale, à donner des concerts imaginaires. Sauf que cette fois, la prestation était bien réelle, le public enjaillé remplaçant mes jouets et les applaudissements prenant la place du silence. Il s’agit certes de l’une des plus petites salles de la ville, et juste de la première partie de Lil Sister, l’étoile montante du rap de Babi, n’empêche qu’en terminant mon set, j’ai rendu le micro au maître de cérémonie, le cœur rempli de fierté.

Je regagne les coulisses, sous les applaudissements du public. Mes jambes tremblent encore d’adrénaline. De part et d'autre, je reçois des félicitations. Mes dernières forces s’épuisent dans les remerciements et les poses devant les caméras. Biggy, mon manager, m'accueille avec le sourire.

― Wolfy, c’est incroyable ce que tu viens de faire. Si je ne te connaissais pas, on m’aurait dit que c’était ta première scène, je n’aurais pas cru.

― Ah ah, merci bro, je suis grave fan.

― C’est rien, je suis sûr que c’est le début d’une grande aventure.

― Je l’espère aussi. Dit, il est quelle heure ?

― 20 heures, ne me dit pas que tu dois déjà rentrer. J’avais prévu te présenter à certaines personnes.

― Ah tu connais mes problèmes, tu sais bien que j’ai un couvre-feu, et que mes darons ne savent pas que je suis ici à jouer les artistes.

― A un moment faudra bien les mettre au courant, si tu veux vraiment réussir. C’est pas avec tes horaires de Cendrillon que tu pourras faire carrière. J’en ai marre de manager un demi-artiste. Ton comportement nous fait perdre des marchés, et j’ai l’impression de perdre mon temps. Bref fait signe quand tu arrives chez toi.

― D’accord bro, je réponds timidement.

En rentrant, les mots de Biggy résonnent encore dans ma tête. Ils réveillent une réalité que j'ai longtemps voulu ignorer. Celle de la double vie dans laquelle mon amour pour la musique m'a embarqué.

Mes parents n'ont jamais apprécié ma passion. Contraire aux projets qu'ils ont fait pour ma vie, ils voyaient en elle une voie sans avenir. Pour eux, ç'a toujours été les études ou rien. C'est donc dans leur dos que je me suis investi dans le rap. Attrapant mes études d'une main et la musique de l’autre, j'ai vécu ces dernières années, suspendu sur le fil de l'existence, dans un équilibre précaire digne des plus grands funambules. L'équilibre a tenu tant bien que mal, durant la période où j'étais inconnu du public. Sans être devenu une star, le succès de ma dernière chanson a braqué sur moi les projecteurs, me faisant trembler sur le fil.

Le taxi arrive à la maison quelques minutes avant le couvre-feu. Par chance, mes darons dorment déjà. Je n’aurais pas à me soumettre à l’habituel interrogatoire, qui à de nombreuses reprises a failli faire découvrir mon secret. Ces derniers mois, les questions se sont faites plus pesantes et la pression des parents sur mes épaules plus lourde. Mon redoublement en est la cause. À la rentrée, les mots de mon père ont été clairs :

― Je ne peux pas continuer à jeter l’argent par les fenêtres, si cette année, tu reprends encore ta classe, je payerai plus tes études. Et tu sais ce que ça signifie n'est-ce pas ?

À cette question, je suis resté silencieux. Mais je savais pertinemment que ne plus avoir ses études payées sous le toit de mon père signifiait ne plus rien recevoir de lui. En d’autres termes, il allait me couper les vivres.

Après ma douche, je retrouve la chaleur de mes draps, totalement épuisé. Dernier coup d’œil sur mon téléphone, j’ai reçu deux messages. Le premier est de Biggy, je l’ouvre.

“ Yo bro, encore bravo pour ta prestation d’aujourd’hui. Tu as tapé dans l’œil du promoteur de la tournée de Lil Sister. Il te veut sur toutes les dates de la tournée qui débute la semaine prochaine. C’est l’occasion ou jamais de rentrer dans le game, je veux ta réponse avant la fin de la semaine. Ton avenir et ta carrière se jouent là. Bonne nuit champion.”

Incroyable, le rêve continue. J’ouvre le second message des papillons dans le ventre. Il est de mon délégué d’amphi :

“ Hey, j’espère que tu vas bien, vu que tu as manqué les cours récemment, je voulais te prévenir que les examens sont prévus pour la semaine prochaine. Et aussi que le doyen voudrait te voir demain à la fin des cours ”

Merde, les papillons sont morts. Encore une fois, le chevauchement de mes deux vies ne me laisse aucun répit. Sous la force de la fatigue, je m’endors.

Le lendemain, une longue journée de cours me tend les bras. J’arrive à l’école à la première heure, le corps moins courbaturé que la veille. Dès mon entrée, j’ai droit à l’accueil que les gens de ma classe réservent à ceux qui sèchent souvent. Le pire est que certains savent que je suis dans la musique. L’attachement en est double. La tête ailleurs, les blagues de mes camarades de classe m’effleurent à peine la peau.

Mon esprit est occupé à chercher un moyen de jongler avec mes examens et la tournée de Lil Sister. Autant les dernières notes sont primordiales pour valider mon année, autant, je ne peux laisser filer cette opportunité de monter sur scène. J’ai beau chercher dans tous les sens, aucune des solutions qui me viennent, ne parvient à créer d’équilibre entre mes deux choix potentiels : laisser tomber les examens et prendre le risque de redoubler, ou laisser tomber la tournée et espérer qu’une chance pareille se repose, chose rare dans ce milieu. Surtout que les derniers messages de Biggy montrent son agacement. Mon cœur penche pour la première option, ma raison pour la seconde.

À la fin de la journée, je vais à l’administration pour répondre à la convocation du doyen. Il veut probablement me parler de mes nombreuses heures d’absence. Devant son bureau, je croise mon père.