Trophée des plumes 2022 - (Les épanchements d un fils éploré)
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Trophée des plumes 2022 - (Les épanchements d'un fils éploré) , livre ebook

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Description

LES ÉPANCHEMENTS D'UN FILS ÉPLORÉ ‘‘Mon Dieu, je te prie de veiller sur ma mère ! Eface ses ardoises de péché, aussi salées furent-elles. Amen.’’ Elle est partie ce matin de dimanche, jour de la fête des mères. Juste après la prière du fajr, la prière matutinale musulmane. Avec le chapelet en main, m’a-t-on dit. Sûrement qu'elle faisait des bénédictions pour mes frères et moi. Mes frères et moi ! Une vraie bande d'incapables. Pas un pour rattraper un autre. Chacun va son chemin convaincu d’être sur le meilleur des chemins. Il faut dire que nous n'avions rien fait pour qu'elle puisse penser autre chose sinon que nous n'étions nés que pour ‘‘échauffer son cœur’’, mettre sa bile à rude épreuve. Avec nous, elle en a vu des rudes. Ma maman était un peu visionnaire. Elle avait, comme les anciens le disent, un œil aveugle. Elle avait une conviction. Et, elle y croyait dur comme fer. Elle ne manquait pas de nous la rabâcher toutes les fois qu'elle le pouvait : _ Vous finirez par me mettre en terre, un jour. Ce jour-là avance au galop d'un cheval piqué par une folie furieuse. Nous avons réussi à le faire. À quoi? Bah, à la mettre en terre. Que la terre te soit légère, maman. Tu l'as dit. Tu vois ? Nous avons exaucée, ta parole. C’est à Man, dans la région des 18 montagnes, qu’elle a rendu l’âme. Comment arriverais-je désormais àtrouver l'équilibre.Je tangue, je vais à vau-l’eau ; je suis pareil à un esquif à la dérive. Comme c'est atroce. Maman a rendu l’âme’’.

Informations

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Date de parution 02 juin 2022
Nombre de lectures 30
Langue Français

Extrait

LES ÉPANCHEMENTS D'UN FILS ÉPLORÉ
‘‘Mon Dieu, je te prie de veiller sur ma mère ! Eface ses ardoises de péché, aussi salées Furent-elles. Amen.’’
Elle est partie ce matin de dimanche, jour de la fête des mères. Juste après la prière du fajr, la prière matutinale musulmane. Avec le chapelet en main, m’a-t-on dit. Sûrement qu'elle faisait des bénédictions pour mes frères et moi. Mes frères et moi ! Une vraie bande d'incapables. Pas un pour rattraper un autre. Chacun va son chemin convaincu d’être sur le meilleur des chemins. Il faut dire que nous n'avions rien fait pour qu'elle puisse penser autre chose sinon que nous n'étions nés que pour ‘‘échauffer son cœur’’, mettre sa bile à rude épreuve. Avec nous, elle en a vu des rudes.
Ma maman était un peu visionnaire. Elle avait, comme les anciens le disent, un œil aveugle. Elle avait une conviction. Et, elle y croyait dur comme fer. Elle ne manquait pas de nous la rabâcher toutes les fois qu'elle le pouvait :
_ Vous finirez par me mettre en terre, un jour. Ce jour-là avance au galop d'un cheval piqué par une folie furieuse.
Nous avons réussi à le faire. À quoi ? Bah, à la mettre en terre. Que la terre te soit légère, maman. Tu l'as dit. Tu vois ? Nous avons exaucée, ta parole.
C’est à Man, dans la région des 18 montagnes, qu’elle a rendu l’âme. Comment arriverais-je désormais àtrouver l'équilibre.Je tangue, je vais à vau-l’eau ; je suis pareil à un esquif à la dérive.Comme c'est atroce. Maman a rendu l’âme’’. Comme c'est étrange d'écrire une phrase pareille. Déjà qu'elle est partie et elle me manque déjà. C'est la vie qui se dérobe sous mes pieds. J'ai le vertige.
Moi, j'étais à Bouaké, dans la région du gbêkê. C'est mon papa qui m'a appelé tôt ce matin-là. Lorsque mon téléphone a sonné, j’ai raccroché. Non. Je n'ai pas raccroché, j'ai coupé. J'ai pensé qu'il voulait encore me soutirer de l'argent. N'annoncer qu'une épée était sur le point de trancher le fil de sa vie. Qu'il lui fallait de l'argent dans les secondes qui suivent. Que sa vie en dépendait. Qu'il me fatigue ce vieux, m’étais-je dit ! J'en ai ma claque de ces demandes d'argent intempestive. Qu'est-ce qu'il croit ? Que je roule sur l’or ? Tout de même !
Je me résolus à le rappeler. J'avais un vilain pressentiment. Je le rappelai. Il décrocha :
_ Inalilahi…
Ça ne sentait pas bon. Un affreux haut-le-cœur faillit me faire dégueuler. J'étais confus. Déboussolé. Je savais qu'un orage de deuil avait crevé sur la famille. Il avait dit la formule sacramentelle. De qui cela pouvait s'agir : un cousin, une nièce, un frère… Je pouvais encaisser. Du moins, je croyais pouvoir encaisser. J’avais surévalué le blindage de mon coffre. Erreur.
Il avait dit le nom de lamorte. Mais, mon esprit, dans le déni, avait opéré une sorte de scotomisation. Je n'en croyais rien. Je ne voulais pas croire ce que mes oreilles avaient capté.
Il savait que je n'avais rien compris. Il savait que le choc avait été trop. Que mon esprit envisageait, soupesait et se préparait à résister au choc qui allait fondre sur moi. Inéluctablement.
Il avait, je crois, repris :
_Château– c’est ainsi qu’il m’appelle –, ta maman vient de mourir. Tu m'entends ?...
Je n’entendais plus rien. J’en avais suffisamment entendu. Il parlait. Je n'y comprenais rien. Il venait de m'apprendre le décès de ma maman. Ça m'a assommé. J'étais comme les morceaux d'un serpent coupé qui se cherche pour se reconnecter. Pour pouvoir sentir à nouveau. En vain. J'étais un boxeur qui venait de prendre un uppercut imprévu alors qu'il menait au poing. Mon âme, abattue, tomba au tapis. Knock-out !
Je ne vais pas vous mentir. À quoi bon ? D'ailleurs, elle n'a jamais aimé le mensonge. Elle a toujours été droite dans ses bottes. Elle était pour que la vérité soit dite en toutes circonstances. Débiter des sornettes ! Elle en avait horreur. Non. Ça ne ferait que l'affliger encore plus de là où elle était, maintenant. Je vais vous dire la vérité. Aussi cruelle qu'elle soit.
Elle n'était pas du tout facile à vivre, ma maman. Elle était râleuse, querelleuse, bagarreuse,... qui se frottait à elle était sûre qu'y laisser plus que des plumes. Mon éducation s'est faite à la dure, à la militaire, avec le bâton. Pas de carottes. On dirait, pour des besoins de style, d'elle qu'elle avait une forte personnalité. Il parait que j'ai tout "copié -collé" sur elle.
Cependant, pouvait aussi être cool. Elle était gentille. C’était la femme la plus humaine que j'aie jamais rencontré. Elle était d'une générosité de cœur et d'âme qui forçait le respect. Apprendre son décès m'a fait un vrai choc. Nul n'est éternel. Je le sais. Elle n'était pas
immortelle. Ça aussi, je le sais. Mais, je ne m'attendais pas à ça. En tout cas, pas aussi soudainement. Un coup d’une telle puissance. Et une manière aussi inattendue. Et puis, elle n'était pas aussi âgée que çà. La petite cinquantaine. Cinquante ans ! Ce n'est pas un âge pour mourir. Pas même un âge pour aller en maison de repos.
Cela fait quelques mois que nous ne nous sommes pas revus. Mais, je l'appelais chaque dimanche soir. La semaine dernière, elle m'a donné de ses nouvelles. C'était les mêmes refrains. Rien de vraiment alarmant : insomnie, fatigue,... et les genoux qui lui faisaient souffrir.
Après l’appel de mon papa, j'ai sauté dans le premier car. L'enterrement était prévu à 16 heures. Il me fallait à tout prix assister aux funérailles de maman. On ne pouvait pas mettre maman en terre sans que je ne sois là. Ça doit être moi qui la pose dans le trou de la tranchée qui doit lui servir de dernière demeure. Mes mains doivent être les dernières qui la touchent. Je dois être celui qui doit mettre les feuilles fraîches sur son linceul, les premières planches qui la recouvrent. La première pelletée, ça doit être de mes mains.
C’était comme si le chauffeur m’avait entendu. Le car allait à vive allure. Normalement, je devais être à l'heure pour les funérailles. Normalement. Et puis, soudain…
Soudain, le car s’est mis à tousser. Le moteur râla et s'arrêta. Le moteur était hors-service : le car n’était plus en état de marche. Il nous fallait attendre un nouveau véhicule qui viendrait de la capitale. C’était fichu. Je ne la verrai plus. Je commençai, énervé, à hausser la voix sur le chauffeur.
Le chauffeur me regardait silencieux. Il ne répondait rien. Il avait juste la tête baissée. Des filets de larmes perlèrent sur mes joues. Je me mis à rire. Quoi ? J'allais donc rater… Je ne verrai donc pas le corps de ma mère. C'était impensable. Je souriais comme un crétin sous anxiolytique. Et dans ce sourire coulait l'ardent soleil du Mandingue rissolant le fleuve djolibaau Mali.
J'enlevai mes chaussures et me mis à courir. Je devais assister aux funérailles de maman.
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