Tu étais mon fils
174 pages
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Description

Professeur de français dans un lycée du Mans, Dan Lécuyer n’éprouve plus aucun sentiment pour son fils Ethan depuis la disparition soudaine de la femme de leurs vies, quatre mois auparavant. Le premier sombre dans la dérive et le repli sur soi, tandis que le second se noie dans un désespoir pudique, impuissant face à l’insoutenable effacement de son père. Les plaies s’ouvrent et risquent la béance, des secrets se révèlent et éclairent le naufrage d’une lumière de plus en plus noire... L’un et l’autre en réchapperont-ils ?... La paternité demeure un sentiment généralement nimbé de non-dits et de retenue. Dès lors, parler de sa faillite et de son inéluctable ruine revient à envisager l’enfance dans ce qu’elle peut avoir de plus douloureux, de plus abandonné. Par ce voyage au plus près d’une conscience masculine en rupture de lien, l'auteur nous convie implicitement à explorer ce qu’il en est de notre propre filiation et du soin que nous lui apportons. On ne sort pas indemne de la plongée dans ce drame familial, à la lucidité cruelle et à l’audace glaçante.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 octobre 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748389180
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tu étais mon fils
Frédéric Saène
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Tu étais mon fils
 
 
 
À Romain, Noémie, Théo, Éliott et Crevette
 
Parce que l’amour que je vous porte n’a d’égal que l’intensité du bonheur que vos vies me procurent
 
 
 
Il y a toujours, dans notre enfance, un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir
Graham Greene
 
 
 
Pour joindre l’auteur :
f.saene@gmail.com
 
 
 
1
 
 
 
Tout a commencé par un coup de fil a priori anodin, il y a de cela quatre mois. C’était la récréation des élèves et je prenais le café avec quelques collègues.
— Dan, ton fils au téléphone !
J’ai saisi le combiné que me tendait Léa.
— Salut Ethan, c’est papa ! Qu’est ce qui t’amène, mon grand ? Tu as bien dormi ?
— Oui.
— C’est maman qui t’a dit de m’appeler ?
— Non.
— Pourquoi tu m’appelles, alors ? Tu voulais me dire quelque chose ?
— Oui.
— Et quoi donc ?
— Maman bouge pas.
— Comment ça, maman bouge pas ? Elle dort encore, la coquine ?
— Nan.
— Ah bon ?! Et elle est où, là ?
— Dans ma chambre.
— Elle s’est rendormie dans ton lit ?! Alors il faut que tu lui fasses un gros câlin pour qu’elle se réveille, mon bonhomme !
— Elle dort pas, elle est par terre et ses yeux sont ouverts.
 
 
 
2
 
 
 
On en croise, des souffrances humaines, dans la vie. On se demande ce que l’on ressentirait si le sort nous désignait. On se dit qu’on a de la chance et qu’il faut en profiter et c’est vrai, il faut en profiter. On en profite, mal et peu mais on en profite quand même. Et quand ça nous arrive, les autres n’existent plus, il n’y a plus que des pantins qui gesticulent et font ce qu’ils peuvent pour essayer d’atténuer une souffrance qu’ils ne partagent pas et qu’ils ne partageront jamais. Et puis, cette souffrance, c’est tout ce qu’il nous reste alors. Elle prend toute la place et si elle disparaissait, ça serait le néant. Et moi, j’ai toujours eu peur du vide.
Le temps s’est arrêté ce mardi 10 mars 2012 à 10 h 04, pour moi et seulement pour moi. J’ai quitté ma vie quand la vie l’a quittée. Plus rien n’a de sens depuis, même si tu es là et que pour toi, tout continue. Différemment, mais tout continue quand même.
L’été est là mais il n’a rien de réjouissant cette année. Où est-elle ?… J’aimerais tant savoir si elle nous voit encore de cet ailleurs qui doit bien exister, quand même, peut-être… Ça m’aide un peu d’y croire, ou plutôt d’y penser…
Tu viens de rentrer ton vélo dans le garage, où je m’efforce de faire un peu de rangement. Tu te débrouilles de mieux en mieux, du haut de tes six ans.
— Je peux regarder le Roi Lion, papa, s’il te plaît ?
— Si tu veux, oui.
—  Yes, génial ! T’es un super papa !
Mais bordel, quand est-ce que tu vas arrêter de croire ça ? Je n’ai pas été capable de sauver ta mère ! Tu fais comme si tout était normal et tu crois que ça va aller, mais tu finiras bien par comprendre que ton père est devenu un pauvre naze qui n’a plus rien de commun avec ce qu’il était, que je ne saurai plus jamais me réjouir sincèrement de tes progrès, de tes élans, de tes réussites ! Que je ne saurai plus jamais te remonter le moral quand tu te feras larguer en te disant qu’une de perdue dix de retrouvées et que ton bonheur est devant toi et merde !!!
Je n’ai qu’une envie, là, maintenant : te donner les crêpes que ta grand-mère a préparées, les couvrir d’une couche de Nutella qui aurait fait bondir ta mère, t’installer dans le canapé devant la télé et partir. Quitter la maison et ne plus jamais y revenir. Laisser les autres s’occuper de toi, ceux qui peuvent encore croire que la vie vaut la peine d’être vécue et qu’il faut se battre pour son bonheur.
Je suis dans la cuisine depuis une bonne demi-heure maintenant, j’ai fumé quatre cigarettes et bu deux bières. Tu ne m’as pas appelé, je ne sais même pas si tu es devant la télé, finalement. Je passe dans le salon. Tu es installé dans le canapé et la télé est éteinte. Tu tiens le DVD entre tes mains et tu me regardes en souriant.
— Tu m’attends depuis tout à l’heure ?
— Oui, mais c’est pas grave.
J’allume la télé et je lance les aventures de Simba. Je n’ai même pas pitié de toi.
— Je t’amènerai les crêpes de mamie tout à l’heure, d’accord ?
Tu es déjà obnubilé par l’écran magique et tu ne me réponds pas. Je te laisse à ton monde imaginaire et je retourne dans la cuisine. J’ouvre une autre bière et je fume, je fume… Rien ne m’allège, j’étouffe de plus en plus…
Je repense encore et encore à ce jour maudit.
 
Je raccroche le téléphone et pars en courant, je perds l’équilibre et m’étale de tout mon long. Je me relève. Je cours, dévale les escaliers et sors du lycée, puis j’enfile mon casque et saute sur le scooter. Je traverse la ville sans m’arrêter et chute devant la maison en arrivant trop vite. J’ouvre la porte d’entrée et m’immobilise, comme si j’étais retenu par une toile de fils invisibles. J’arrête de respirer et tends l’oreille. Tu chantonnes dans ta chambre. Je monte lentement en espérant qu’au milieu de ta chanson douce, sa voix s’élèvera et me desserrera le cœur, pour qu’il n’explose pas avant que j’atteigne le palier. Rien. J’arrive devant ta chambre et pousse doucement la porte. Je suis en apnée. Tu joues aux légos à côté d’elle, étendue sur le sol. Je marque un temps d’arrêt quand tu me souris et je m’approche de vous. Je la prends dans mes bras et je lui demande doucement de se réveiller. Rien. Pas un mouvement. Je cherche son pouls mais sa peau est déjà froide et rien ne bat sous mes doigts tremblants, alors je comprends. Je pose ma joue contre la sienne et laisse mes larmes couler. Je reste immobile pendant de longues minutes, puis je desserre mon étreinte et tourne la tête vers toi. Tu es toujours à genoux mais tu ne joues plus. Tu me regardes fixement et je ne sais pas ce que tu comprends de ce qui se passe. Tu dois attendre que je te dise quelque chose, peut-être, que je te fournisse une explication rationnelle de ce qui ne l’est absolument pas dans mon esprit. Et là, subitement, en te regardant aussi intensément que tu me regardes, je te hais. Je te hais de n’avoir pas su la sauver, je te hais de ne pas m’avoir alerté plus tôt, de ne pas t’avoir appris à appeler les pompiers, d’être né, d’être là et d’être encore offert à la vie, je te hais de savoir à cet instant que mon amour est mort et que mon âme aussi, je te hais d’une force qui anesthésie paradoxalement mon envie de te voir disparaître, tellement je me sens soudainement détaché de ton existence !
 
Ça fait maintenant quatre mois que je ressasse perpétuellement ce souvenir atroce. Même s’il était fugitif, je l’ai éprouvé, ce putain de sentiment ! Et ce qu’il en reste n’est malheureusement pas plus positif, loin s’en faut. Je sais bien que tu n’es objectivement responsable de rien, que tu es à plaindre et pas à blâmer, mais le mal est fait et le fait est là : je ne t’aime plus, je ne t’aimerai jamais plus, je le sens, je le sais… J’ai beau te regarder évoluer, je ne parviens plus à m’intéresser à toi. Je ne ressens plus rien de positif pour toi et je ne sais pas quoi faire de ça. J’ai voulu me faire croire, au début, après l’enterrement, que le temps arrangerait les choses, que la douleur finirait bien par s’apaiser et que je ressentirai à nouveau quelque chose pour toi, mais rien n’y a fait, je suis devenu un robot baby-sitter. Tout ce que je fais pour toi est devenu mécanique, sans affects, sans sens. Toi tu ne montres rien, je ne te vois pas flancher, ta vie continue de se dérouler comme avant, tu ne te rends visiblement pas compte que ça n’est pas une vie, que ça n’est plus la vie. Tu ne penses sûrement pas à vivre sans moi mais tu ne peux surtout pas vivre sans amour, alors il faut qu’il se passe quelque chose, on ne peut pas continuer comme ça. Et cette question qui me taraude de plus en plus depuis… Que faire de toi ?
La porte de la cuisine s’ouvre doucement.
— J’ai faim, papa.
Tu me souris. Tu lui ressembles tant quand tu souris que la seule envie qui me vienne est de t’écraser l’assiette de crêpes sur la tête.
— Retourne à la télé, il y a trop de fumée ici. Je t’amène des crêpes.
Tu me souris encore et tu refermes doucement la porte. Tu comptes tant sur moi que ça me dévore. Je voudrais la rejoindre mais je n’arriverais pas à t’emmener avec moi. Et cette foutue conscience morale qui m’interdit de te laisser ! À la fin de chaque journée, j’essaye de la noyer dans tout ce qui me tombe sous la main et dont le pourcentage d’alcool est, si possible, supérieur à 10, mais elle revient toujours, sans faillir, comme une vigie, un instinct de survie sans doute, qui complique tout et nous fait tant souffrir ! Je te prépare quatre crêpes et je te les amène. Je t’attache ta serviette autour du cou et pose le plateau sur tes genoux. Tu lâches Simba dix secondes et tu me souris encore.
— Merci.
Je me dirige à nouveau vers la cuisine.
— Papa ?
Je m’arrête et me retourne un peu vers toi. Je n’ai pas la force de te répondre mais je t’écoute.
— On pourra aller voir les lions demain ?
Je me retourne complètement et te dévisage.
— Hein, papa, on pourra ?
Bon sang, mais comment tu fais pour avoir encore ce genre d’envies ? Comment tu fais pour penser à autre chose qu’à mourir, toi ?
— Si tu veux, oui.
— Yes, génial ! Merci, papa !
Encore et toujours ce sourire rayonnant. Tu engouffres la première crêpe et on repart, toi dans la brousse et moi dans mon mouroir.
De nouveau la bière et la cigarette. On

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