Tue-la-Mort
602 pages
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Tue-la-Mort , livre ebook

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Description


Gaston Leroux
(1868-1927)



"Ce jour-là, l’express du Dauphiné était en retard d’une heure et demie. Les voyageurs qui en étaient descendus se précipitaient dans la cour de la gare pour y prendre la diligence qui faisait le service entre cette dernière station et les chemins de fer du Sud. Le conducteur, le bonhomme Rango, dont la face s’illuminait de tout l’alcool consommé pour charmer les loisirs d’une longue attente, les avertit :

– Mes braves gens, nous manquerons sûrement la correspondance du Sud et vous serez obligés de coucher à l’auberge du Petit-Chaperon-Rouge.

Ceci posé, il se cligna de l’œil à lui-même, exprimant ainsi son intime satisfaction de l’effet qu’il n’avait point manqué de produire ; de fait, pendant que, retourné vers ses bêtes impatientes qui agitaient leurs sonnailles, le conducteur semblait ne s’apercevoir de rien, il y avait derrière lui des protestations et de la consternation.

L’auberge du Petit-Chaperon-Rouge était bien connue dans la région frontière des Alpes où la légende lui avait fait une réputation redoutable. Dans les veillées, au fond des chaumières, on racontait, à son propos, des histoires qui donnaient le frisson : des voyageurs y avaient passé la nuit que l’on n’avait jamais revus !

Tantôt toute retentissante de mystérieuses ripailles, tantôt aussi fermée qu’un tombeau, elle se dressait comme une énigme à la sortie du bourg d’Ena (la Haine) sur le bord de la route qui longe les eaux souvent torrentueuses de la Bigiou, et non loin de l’endroit où cette rivière se jette dans les lugubres marécages de l’étang de San.

Quant à l’aubergiste, c’était maître Tullamore, surnommé à vingt lieues à la ronde Tue-la-Mort, parce que, contrebandier d’une audace incomparable, il échappait aux pires dangers."


Maître Tullamore, surnommé Tue-la-Mort, est le propriétaire d'une auberge : "Le Petit-Chaperon-Rouge". Il y vit avec sa fille Canzonette et tire ses richesses de la contrebande, ce qui fait enrager le secrétaire de mairie M. Graissessac et le douanier Filippi... Arrive à l'auberge, un mystérieux prêtre...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782374637358
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tue-la-Mort
 
 
Gaston Leroux
 
 
Juillet 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-735-8
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 735
PREMIER ÉPISODE
L’auberge du Petit Chaperon Rouge
 
I
La diligence d’Ena
 
Ce jour-là, l’express du Dauphiné était en retard d’une heure et demie. Les voyageurs qui en étaient descendus se précipitaient dans la cour de la gare pour y prendre la diligence qui faisait le service entre cette dernière station et les chemins de fer du Sud. Le conducteur, le bonhomme Rango, dont la face s’illuminait de tout l’alcool consommé pour charmer les loisirs d’une longue attente, les avertit :
– Mes braves gens, nous manquerons sûrement la correspondance du Sud et vous serez obligés de coucher à l’auberge du Petit-Chaperon-Rouge.
Ceci posé, il se cligna de l’œil à lui-même, exprimant ainsi son intime satisfaction de l’effet qu’il n’avait point manqué de produire ; de fait, pendant que, retourné vers ses bêtes impatientes qui agitaient leurs sonnailles, le conducteur semblait ne s’apercevoir de rien, il y avait derrière lui des protestations et de la consternation.
L’auberge du Petit-Chaperon-Rouge était bien connue dans la région frontière des Alpes où la légende lui avait fait une réputation redoutable. Dans les veillées, au fond des chaumières, on racontait, à son propos, des histoires qui donnaient le frisson : des voyageurs y avaient passé la nuit que l’on n’avait jamais revus !
Tantôt toute retentissante de mystérieuses ripailles, tantôt aussi fermée qu’un tombeau, elle se dressait comme une énigme à la sortie du bourg d’Ena (la Haine) sur le bord de la route qui longe les eaux souvent torrentueuses de la Bigiou, et non loin de l’endroit où cette rivière se jette dans les lugubres marécages de l’étang de San.
Quant à l’aubergiste, c’était maître Tullamore, surnommé à vingt lieues à la ronde Tue-la-Mort, parce que, contrebandier d’une audace incomparable, il échappait aux pires dangers. On racontait beaucoup de choses sur son compte : qu’il commandait à une véritable troupe de brigands ; certains, comme le secrétaire de la mairie, « Monsieur » Graissessac, le chargeaient dans le particulier de tous les méfaits qui se passaient dans le canton ; d’autres prétendaient que Tue-la-Mort était incapable de commettre un crime, et qu’il suffisait de le voir se promener, dans les rues d’Ena, donnant la main à sa petite Canzonette, une fillette d’une dizaine d’années que tous avaient surnommée le Petit Chaperon Rouge en corrélation avec l’enseigne de l’auberge, pour être assuré que cet homme-là n’était point un assassin...
Quoi qu’il en pût être de toutes ces histoires, la perspective de passer la nuit sous le toit de Tue-la-Mort avait mis en rumeur la troupe des voyageurs. Cependant un jeune prêtre que personne ne connaissait et à qui nul n’avait « l’idée » d’adresser la parole, tant sa figure était rébarbative et son aspect peu « engageant », grimpa, sans rien dire, sur l’impériale où il s’assit sur la dernière banquette. Alors chacun prit place et Rango ayant allongé un coup de fouet à ses bêtes, l’équipage démarra dans un grand tintinnabulement.
Tout de suite, à l’intérieur comme à l’impériale, on ne s’entretint que de l’auberge du Petit-Chaperon-Rouge, ce qui se faisait généralement avec prudence car l’inimitié de Tue-la-Mort n’était point chose désirable.
Seul ce diable de Filippi osait tenir des propos pleins de superbe. Il n’y en avait que pour lui dans la diligence. C’était un petit sergent douanier, enfant du pays, mince et léger et souple comme une branche de sureau, qui avait juré de prendre Tue-la-Mort en flagrant délit de contrebande mais à qui l’aubergiste avait joué cent tours de sa façon ce qui, jusqu’alors, avait empêché notre homme de tenir son serment, de quoi il enrageait.
Les voyageurs écoutaient Filippi en hochant la tête ; pour un qui ricanait d’un air entendu, s’amusant de l’irritation du douanier contre un homme qui l’avait toujours roulé et contre une petite fille qui lui avait fait voir bien du chemin, les autres se gardaient de faire les malins.
– Visage d’âne ! grogna Filippi entre ses dents à l’adresse du rieur, un épais marchand de bestiaux qui n’ignorait rien de toutes les histoires d’Ena.
– Ça ne sert à rien de faire l’estrambalat (le malin), soupira une vieille femme sous son antique « couiffa », bonnet rond qui n’était plus de mode depuis plus d’un demi-siècle... et dans un dialecte archaïque qui n’avait plus cours qu’au pays d’Ena et dans la haute montagne... Tu pourrais bien te penti (repentir) ! Il y a des choses dont on ne doit pas rire... Tout de même, d’où ça vient-il, ce Tue-la-Mort ?
– Du diable ! répliqua net Filippi, et il y retournera !... je m’en charge !...
– Paraît que c’est un Corse ! fit entendre un voyageur de commerce. Moi, je vous dis ce qu’on raconte à la table d’hôte... Il se serait réfugié sur le continent à la suite de quelque affreux drame de famille. Traqué par la police, il aurait passé un mauvais quart d’heure s’il n’avait été sauvé par une petite troupe de contrebandiers dont, pour vivre, il partageait bientôt les exploits et dont il ne tardait pas à devenir le chef !
– On le prétend très malin, susurra timidement une voix dans le fond de la voiture. Depuis qu’il est aubergiste, il aurait mêlé à son affaire de contrebande toute une entreprise de rouliers !
– On le dit très riche ! reprit la vieille. Est-ce vrai, monsieur ?
– Pour riche, il l’est ! déclara Filippi, péremptoire ; sous des prête-noms, il a acheté pas mal de terres dans la commune. Mais Mandrin aussi était riche ! et il a mal fini ! Bouai ! bouai ! (Pouah ! pouah !)
– On dit, continua la vieille, qui était encore plus curieuse que peureuse, qu’il possède dans la montagne une vraie caverne d’Ali-Baba comme dans les contes de fées !...
– Pour des souterrains, ça n’est pas ce qui manque dans le pays, exposa Filippi d’un air sentencieux... Les « barbets » (anciens brigands des Alpes) en ont jadis creusé plus que nous n’en découvrirons jamais et Tue-la-Mort est un vrai garri (rat) mais Bouai ! bouai ! qui vivra verra ! Un jour luira où chacun pourra crier : Lou garri es en l’estoupa ! (le rat est dans l’étoupe... pour dire dans le pétrin).
À ce moment, la diligence arrivait au relais de Tina et les conversations se turent instantanément, car quelqu’un avait crié : « Tibério et la Chiffa ! »
C’était, en effet, le forgeron des Quatre-Chemins et sa femme, la plus belle fille des Alpes, qui ne craignait rien, disait-on, ni les gendarmes, ni les douaniers, ni surtout les amoureux... et que la légende mêlait à toutes les expéditions de Tue-la-Mort avec son mari... Elle jeta un regard noir dans la diligence et grimpa, leste, sur l’impériale, découvrant une jambe admirable.
Personne ne descendait. On allait repartir. On était trop pressé. Il n’y eut que Rango pour prendre le temps de vider un petit verre de blanche (eau-de-vie du pays) que Tibério lui offrit et dont le conducteur n’avait certainement pas besoin. Mais Rango avait pour accoutumé de dire que le plaisir de boire ne commençait à être appréciable que lorsqu’on n’avait plus soif. Autrement on ne fait que répondre à un besoin brutal de la nature, ce qui vous rabaisse au rang de l’animal.
La diligence repartit. Filippi voulut reprendre ses histoires, mais on se détourna de lui et même on le pria de se taire.
– Vous nous avez assez parlé de ce qui ne nous regarde point ! exprima la vieille.
Et chacun lui donna raison. Il semblait que la présence de Tibério et de la Chiffa, là-haut, pesât sur tous.
C’était un rude homme que ce Tibério, avec une belle barbe en or qui s’étalait en éventail sur un torse d’airain. Dans sa forge des Quatre-Chemins qui dominait la vallée, il tapait dur sur son enclume ; et alors les contrebandiers savaient ce que leur commandait l’&#

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