Un Marin à terre
212 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Un Marin à terre , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
212 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Il existe d'innombrables quêtes du père, de non moins innombrables cultes de l'image du père, et des travaux très exégètes sur le souvenir du père... je vais apporter ma petite pierre à l'édifice : j'entreprends aujourd'hui d'écrire le roman qui va faire de mon père disparu le personnage qu'il mérite. Je ne cherche pas à connaître la vérité, je serai contrainte d'inventer car tous ceux qui le connurent ont disparu, seul Javier, son frère aîné, s'il vit encore, ce dont je doute, pourrait témoigner de choses vraies, et alors je pourrais enjamber les ponts entre les époques, choisir et ordonner les faits pour établir une vérité, biaisée mais plausible. » Successivement berger, évadé de France, prisonnier des franquistes, marin, ouvrier... Amant, mari, accessoirement père de famille... disparu de la circulation un beau jour de 1982... de la France à l'Argentine, via l'Espagne et l'Indochine, Pablo Guttiérez constitue une véritable énigme. Marie Guttiérez et son compagnon, Daniel Cordon, mènent une enquête qui les conduit du Pays Basque en Argentine à la recherche de cet homme insaisissable. Une véritable quête où l'on retrouve le goût de l'auteur pour le roman choral.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 mars 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342160161
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un Marin à terre
Marie-Claire Mir
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Un Marin à terre

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet : http://marieclaire-mir.com
 
«  Si seulement on était un Indien, tout de suite d’attaque, et sur un cheval au galop, incliné au vent, qu’on tremblait sans cesse sur le sol tremblant, jusqu’à en laisser les éperons, car il n’y avait pas d’éperons, jusqu’à lancer les rênes au loin, car il n’y avait pas de rênes, et qu’on voyait la terre devant soi, lande toute moissonnée, l’encolure et la tête du cheval disparues . »
Franz Kafka, « Désir de devenir un Indien », Considération
 
 
«  Rien ne se perd tout à fait de ce qui semblait périr, car d’un corps la nature refait un autre corps, n’en laissant naître aucun sans le secours des autres.  »
Lucrèce, De la nature
 
Mes amours, je vais vous faire vivre une histoire à laquelle vous aurez du mal à croire…
Le Roman de Marie
I. Une vie énigmatique
C’est plus fort que moi, il faut que j’invente.
Ma mère louait mes talents d’affabulatrice. Elle disait : « Tu mens comme tu respires. » En voici la preuve la plus récente.
Depuis quelque temps, je fais des recherches dans les archives de la commune et du département. Un jour, à la médiathèque, j’ai consulté un gros ouvrage sur l’histoire de notre commune au xix e siècle. Rempli de photos. Je me suis attardée sur celles du port, au moment de l’accostage des bateaux chargés de sardines qui étaient salées sur place : des femmes viennent chercher le poisson qu’elles porteront dans un grand panier – on en voit certaines avec le panier sur la tête – jusqu’à la conserverie. Sur une photo datée de 1886 dont la légende affiche « La pêche à la sardine au Port », je crois reconnaître Magdalena, ma grand-mère : elle pose, le visage ouvert, oui c’est bien elle, elle a tourné furtivement la tête vers un photographe indiscret qui l’a surprise à s’essuyer les mains sur son tablier après s’être mouchée sans doute – elle faisait souvent le geste de se moucher d’un revers de la main –, les paniers sont alignés tout autour, prêts à être emportés à bout de bras sur la tête, le débarquement a eu lieu, les sardines ont été salées, il faut les apporter à la conserverie. J’ai beau savoir que mes grands-parents sont arrivés plus tard ici, au début du xx e  siècle, c’est plus fort que moi, l’illusion est totale et j’en éprouve une très grande émotion. J’ai lu qu’à l’époque où ma grand-mère travaillait à la sardinerie, il y avait encore des porteuses payées au kilo de sardines acheminées depuis le port jusqu’à la conserverie. Mais à son époque, la mécanisation était déjà à l’œuvre. Magdalena n’était pas porteuse mais ouvrière à la conserverie, ouvrière à la chaîne, elle rangeait les sardines dans les boîtes, comme dans le roman de Simone de Beauvoir, Les Belles Images , dont j’ai adapté les dialogues pour un spectacle, l’un des personnages se dit attristé par une émission de télévision qui montre des jeunes filles déposant toute la journée des ronds de carottes sur des harengs… J’imagine le tapis qui défile avec les boîtes de conserve… Ces jeunes filles n’ont pas l’air content, dit ce personnage dont j’ai oublié le nom. Ma grand-mère non plus n’avait pas l’air très épanouie lorsqu’elle rentrait de là-bas, à La Maison où j’ai passé bien des vacances scolaires. Que restait-il dans sa mémoire, lorsqu’elle revenait de la conserverie, de l’autre côté du pont, que restait-il dans sa mémoire du canto jondo qu’elle aimait tant, qu’elle murmurait constamment, de façon obsessionnelle, et qui était sans doute pour elle le dernier vestige de son Aragon natal… Toute une vie à murmurer le chant profond, la palpitation de son cœur enfouie dans la paille de la vie quotidienne, comme une petite bête qui se cache et fouille pour qu’on l’oublie ; soleà du flamenco, loin du soleil de la joie, tristesse que ce chant, que cet oubli d’elle-même, femme courbée s’en allant ranger les sardines dans des boîtes, faisant irruption, soudain, dans cette immense friche qu’est ma page d’écriture.
Le gros ouvrage sur l’histoire de notre commune me projette dans le souvenir de ma grand-mère qui rentre fourbue du travail, traversant le couloir qui s’emplissait, dans son sillage, d’une odeur écœurante et sure de poisson mêlé de sueur. Peu à peu, la fiction se glisse dans les pages.
Pourtant ce n’est pas de ma grand-mère, Magdalena Guttiérez, dont je veux principalement parler. Je veux les convoquer tous, Elena, la petite sœur, Javier, le frère aîné, Jeannette, ma mère, et Mado, et Martin, les parents de Daniel… Par-dessus tout, c’est à Pablo, mon père, que je veux rendre hommage, car il ne restera rien de son aventure si je n’y mets pas mon grain de sel.
Je ne sais pas si j’écris à propos d’un vivant ou d’un mort, car, disparu, Pablo peut aussi bien être encore vivant, dangereusement vivant, alors il pourrait lire ce que j’écris, et je risque de le perdre définitivement.
Le contraste est cruel entre l’essentiel de la vie et le caractère fugace, quoiqu’objectif, de la trace absente. Entre l’essentiel en quelque sorte vital de la vie souvenue et le caractère non pas inessentiel, mais manifestement éphémère, de la trace, le statut définitivement fugace de cette trace, un contraste, donc, qu’il est difficile de décrire, voire d’évoquer, avec des mots, c’est un ressenti innommable, il peut sembler qu’aucun mot ne parviendra à nommer le désespoir de penser que ce qui fut n’est plus.
Dans l’esprit, le volume du souvenir est inversement proportionnel à ce qui reste du souvenu. Et c’est ce sentiment de disproportion qui provoque la tristesse – peut-être le regret – et qui accentue la conviction de l’injustice.
Voilà pourquoi il me faut inventer. Dès que je me souviens d’un bout d’histoire, je tire un fil et je brode, activement. Dès que je connais le sujet de l’histoire qui va m’occuper jusqu’à en faire un livre, tout devient matière à inventer : un mot, un son, une anecdote, une personne, une phrase lue, je fais feu de tout bois, le monde entier entre dans le livre futur.
 
Je me suis longtemps demandé pourquoi je devrais écrire à propos de mon père, Pablo Guttiérez. J’ai longtemps hésité avant d’entreprendre le récit de sa vie. Je savais qu’il me faudrait faire beaucoup de recherches, à vrai dire je ne savais rien, sauf qu’il me faudrait remplir des blancs, des tas de trous dans les histoires que j’avais entendues, oubliées, négligées, de vagues échos d’une existence héroïque dont je n’avais connu que le long crépuscule et qui, pour tout dire, ne m’intéressait pas vraiment.
Et puis, il n’y a pas très longtemps, à force de fouiller et de compiler, j’ai acquis l’intime conviction que Daniel est mon demi-frère…
Je ne lui en ai rien dit, bien entendu, d’autant que je n’ai aucune preuve, je ne sais pas si c’est vrai, l’important c’est que j’y croie. L’hypothèse est suffisamment bouleversante pour que je me mette au travail, enfin.
Pendant que Daniel est en mission, je vais en profiter pour tenter de retrouver le fil, de retrouver l’histoire. C’est bien qu’il soit parti, et je suis très heureuse de l’y avoir encouragé, la commande du Musée basque pour l’exposition Euskaldunak Argentinan 1 a été providentielle, et j’ai insisté pour qu’il aille là-bas, en Argentine, faire ce reportage. J’ai bien cru qu’il ne partirait pas. Les reportages ne le passionnent plus autant qu’avant, et comme je ne voulais pas partir avec lui, j’ai trop peur des voyages en avion désormais, il a beaucoup hésité avant d’accepter la mission. Ce qui a achevé de le convaincre, c’est cette autre mission que je lui ai donnée, celle de retrouver la trace de mon père, qui, lorsqu’il a disparu, est parti, j’en suis quasiment certaine, rejoindre son frère Javier en Argentine. Cette petite enquête allait mettre du piquant dans son voyage, il a vite cédé. Comme de vieux enfants que nous sommes, nous avons scellé un pacte, nous nous sommes promis d’écrire, chacun de notre côté, de ne pas communiquer pendant un mois, d’écrire un récit que nous nous lirons à son retour, pour moi le récit de la vie de mon père Pablo, et pour lui celui de sa quête de Pablo dans le sillage de Javier.
 
Ce que je crois savoir de la vie de celui qui fut mon père, et que j’appellerai dans ce livre Pablo Guttiérez, fils de Paolo et Magdalena Guttiérez, peut se formuler dans un premier temps sous forme d’énumération de rôles. À partir de son âge adulte, c’est-à-dire juste après le certificat d’études qu’il était fier d’avoir obtenu, et qui lui servait de jauge pour déplorer mes piètres connaissances en géographie, il fut successivement :
- berger ;
- évadé de France ;
- prisonnier au camp de Miranda del Ebro ;
- libéré contre un sac de farine ;
- enrôlé dans la marine nationale à Casablanca ;
- quartier-maître à bord de plusieurs croiseurs ;
- formateur au centre de formation de M. ;
- amant, mais cela reste à vérifier, de Mado ;
- marié à ma mère, Jeannette ;
- combattant en Indochine ;
- accessoirement père de famille ;
- ouvrier spécialisé dans une usine automobile de la région parisienne ;
- disparu de la circulation un beau jour de 1982.
On ne l’a jamais revu, on n’a plus jamais entendu parler de lui. Je formule l’hypothèse, apparemment chimérique mais plausible d’après me

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents