Un seul bruit sur la terre d Espagne
328 pages
Français

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Un seul bruit sur la terre d'Espagne , livre ebook

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Description

« Devant moi, le village semblait totalement anéanti sous les brandons qui s’élevaient dans le ciel, poussés par la chaleur. Sous l’envolée crépusculaire de la nuée des cendres, la pente des collines alentour offrait une image délabrée et irréelle.
Tandis que j’écartais le pas de mon cheval d’un pauvre hère à demi calciné, les mains crispées sur une escopette écrasée, je pensais que c’était là, dans ce village qui semblait abandonné, que je devais trouver l’eau indispensable à l’homme et à sa monture. Si les puits n’avaient pas été empoisonnés... »

Grâce au détour de la fiction, Jacques ROBERT nous projette dans l'Espagne d’après guerre pour nous offrir une vision étonnante et singulière de l’Histoire.
Comme les pièces dispersées d’un puzzle, ces récits, au travers du retour des personnages, nous invitent à partager les aventures d’une famille confrontée aux conflits douloureux des XIXème et XXème siècles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2013
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332536037
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-53601-3

© Edilivre, 2017
Les tournesols à la triste figure
D’une pierre à l’autre, sautant comme un cabri ! Le car bâille de toutes ses tôles ; une abeille agrippe le rideau et remonte dans un pli du tissu, miroir aux alouettes, à la recherche d’une ouverture qui ne se présente pas. Égrenés derrière les collines, les clochers s’éloignent ; au fond de mes yeux l’image de leurs nids de cigogne, embroussaillée.
Terre fiévreuse d’Espagne ! Ton ciel lourd pèse sur mes épaules, j’y vois ton visage, marqué par la douleur.
Les peupliers dessinent une ligne de crête aux signes espacés ; tout près les tournesols affaissés semblent des pénitents de la miséricorde. Alignés le long de la route, ils protègent la haie mitée du champ. Ils intercèdent pour la foule des épis tombés sous la faux. Trois corbeaux accrochent leur bec à la paille couchée à terre.
Vaille que vaille la ferraille grogne, gémit, cogne, griffe et tourne, et grimpe et rogne, taillant son chemin parmi les champs rasés, les arbres rares, les relents d’engrais qu’exhalent des fermes d’élevage de porcs ou de poulets, au loin, isolées.
Au terme des cahots, je m’attends à voir surgir au sommet d’une colline sèche un gigantesque portail clouté de planches, dressé comme un gibet devant la ville et son rempart filant en contrebas. De lourds ventaux qui s’apprêtent à gémir pour n’accueillir que quelques-uns des voyageurs, livrant les autres en sacrifice au soleil.
Sur l’esplanade, un groupe d’hommes à demi dévêtus, efflanqués, le teint noir, le cheveu collé au crâne. Les échevins d’une cité aussi vite perdue que longuement cherchée : les assiégés d’une nouvelle Calais.
Tout à coup mes genoux me font mal, coincés contre le dos du siège devant moi. J’ai besoin d’espace !
Terre brûlante d’Espagne ! Les pierres se brisent sous ton soleil. La terre gangrène ses tranchées délaissées par les rigoles.
Le car, comme je le pressens dans les bribes d’un rêve, tombera en panne au pied de la dernière montée. Les bagages mal arrimés sur le dos, les plus courageux d’entre nous graviront la pente en ordre dispersé. La chaleur aura raison de nos jambes. Pèlerins égarés dans le siècle, nous finirons à genoux ce chemin de croix, l’os à vif sur le sol dur, parsemé d’éclats de silex.
Terre ardente d’Espagne ! Je lèche ton ventre lourd de souffrance. Et, dans la coulée de ma salive, j’offre à ta peau calleuse le sel de mes larmes.
Ta violence est un volcan qui n’est jamais serein. Le souffre qu’il exhume me saisit à la gorge. Je te sens fragile et forte, le dos cassé, les épaules solides. Longtemps, tu as poursuivi des chimères qui me faisaient peur. Je puise dans l’eau de tes ruisseaux un sang irrécusable. Je voudrais fouiller ton histoire, tenir quoi qu’il advienne un de tes cailloux dans ma main, me chauffer au soleil qu’ils ont emmagasiné. Tu as embrasé les mystères de plusieurs mondes et le globe a longtemps pris soin de tourner avec toi. La terre a su un long moment respirer dans ton ombre. Tu n’as pas toujours aimé tes rois mais tu t’es fait étriper pour les conserver. Ton corps est couvert de cicatrices mais une longue cape noire sait les effacer.
Pourquoi n’ai-je pas vécu cinq siècles pour mieux te connaître ?
Terre déchirée et riche. Là où il y a des hommes pour l’écrire.
Plaza Mayor
Dimanche à l’heure des tapas. La chasse est ouverte sur la Plaza Mayor. Des claquements secs comme des coups de feu agacent les pigeons. Quittant les toits de brique rouge en longues bandes noires affolées, les ailes brassant péniblement l’air lourd, ils se posent plus loin, souvent à l’angle opposé de la place.
Sous les arcades, les bodegas aux antres profonds regorgent d’une clientèle bruyante, affairée, qui se salue et s’interpelle. Les hommes le cheveu brillantiné, en costume sombre ; les femmes en robe claire, des éclats de peau rose, les fronts perlés. Midi passe doucement. Les longues terrasses s’étirent au soleil. De loin en loin, un châle violet ou mauve saisit un trait de vent. Les paroles lancées à la cantonade font régner une nonchalance heureuse et bienveillante. La place est profonde. Les consommateurs assis près de la voûte opposée semblent réduits à une image. Sur la ligne de crête d’une galerie où les gens endimanchés se pressent devant l’éventaire d’un marchand de timbres, le clocher de San Martin coupe le ciel bleu et impose benoîtement ses deux nids de cigogne.
Entendre monter la rumeur des siècles à Salamanque et retenir sa respiration. Tandis qu’une fanfare lance le feu roulant de ses tambours.
Drapeaux bleus. Drapeaux blancs. Les majorettes précédant la farandole. Bustiers bleus. Jupettes blanches. Genoux roses. C’est au tour des cuivres de donner de la voix. Aux étages les volets claquent. Aux fenêtres, des hommes agrippent les garde-corps et se penchent. Replets, de petite taille, pantalons noirs et chemises blanches. Ils sortent de leurs longs appartements sombres comme des termites réveillés par le tintamarre. Ils donnent l’impression d’avoir été cueillis par la musique dans le fond d’un placard obscur et de n’avoir pas vu le soleil depuis longtemps ! Plus haut, une femme, courbée, décharnée, dont l’âge dément la longue et vaporeuse robe blanche, s’appuie sur un fragile balcon en fer forgé et regarde fixement le centre de la place, là où fut un temps l’échafaud, le poteau où pendait le collier de fer. Poupée de son qui se tasse au soleil, comme attachée là par une enfant oublieuse.
Après une halte au centre, la fanfare, altière, triomphante, s’élance et entame le tour de la place. Cliquetis des chaussons, tintement des grelots, grondement des lourdes galoches sur les pavés. Les haltes sont nombreuses. Chaque café a le privilège d’une aubade. Les majorettes étonnamment disparates bousculent leur air emprunté dans le maniement de la canne de tambour-major. Elles sont là sans y être. Elles boudent peut-être. Elles n’ont du rythme qu’une conscience machinale et la forêt des bâtons ne se dresse pas toujours à l’unisson ! Personne n’a l’air de s’en préoccuper. Le rite se perpétue, simplement.
Le train de Madrid
Le train, formé de ses six wagons, s’était placé contre le quai. Tout d’abord, je n’avais pas remarqué l’homme, mais il était là. Il s’était précipité sur le ballast à la queue du train qu’il commença à frôler avec une nonchalance familière, étendant la main et la plaquant contre un tampon du wagon, répétant l’opération sur le deuxième, faisant le geste d’essuyer le métal. Il s’était alors arrêté et j’ai pensé qu’il allait profiter de la porte entrouverte pour grimper dans le train, mais il reprit sa déambulation, à contre-voie sur le ballast.
À quelques pas, j’ai pris le même chemin pour rejoindre l’autre quai où je n’avais rien à faire sinon satisfaire ma curiosité. L’espace d’une seconde, proche de l’homme, je m’aperçus qu’il s’agissait d’un vieillard. Grand bien que voûté, sec et nerveux, dégageant malgré son âge et sa pauvreté apparente une impression de vigueur et de force. Je crus déceler même de la fierté ou de l’orgueil. Et quelque chose d’indéfinissable. Son regard quand il croisa le mien me dévoila une sorte d’égarement. Un appel, un cri !
Intrigué, je ne cessais d’observer l’homme qui avait entrepris de sonder de sa canne le ballast de la voie. Il s’appliquait à l’enfoncer au travers du gravier avec une obstination pathétique. Ce type est fou ! pensai-je.
Puis il tourna autour du wagon et longea le train en direction de la locomotive, la canne toujours virevoltante frappait cette fois les roues, les essieux. Il n’était pas jusqu’aux marchepieds des portières qui recevaient ses coups de canne. Par moments, le geste devenait professionnel et l’homme s’arrêtait, à l’écoute du bruit métallique qu’il avait provoqué.
En raison de son âge, l’individu ne pouvait être confondu avec un employé de la gare. D’autant que sa tenue n’avait rien d’un vêtement de travail ; gilet noir serré avec sa double pointe effilochée sur l’écusson de la ceinture, pantalon de chanvre gris à fines rayures blanches, couvre-chef désuet de paysan ceint d’un ruban noir.
Abandonnant l’homme à son manège, j’avais rejoint le quai de départ pour m’asseoir sur un banc, le sac entre les jambes, le billet de train dans les mains quand s’approcha un employé des chemins de fer, sanglé dans un uniforme bleu tombant impeccablement. Par réflexe ou mû par une curiosité dont je n’avais pas encore conscience, je me levai alors qu’il allait passer devant moi et lui posai la question qui me vint à l’esprit, sans m’arrêter à son aspect provocateur.
– Le train partira-t-il à l’heure ?
– Sans aucun doute, Señor, répondit l’employé en plaçant sous son bras le calepin qu’il avait à la main. Il est prévu pour 10 h 55. Il partira à 10 h 55. Vous l’entendez ?… La machine commence à chauffer.
Il fit un signe dans la direction de la locomotive et accompagna sa parole d’un sourire. J’étais le seul passager en attente dans la petite gare sommeillante. L’employé ne semblait pas accaparé par des tâches très prenantes. Aussi restait-il devant moi à contempler le train de Madrid.
Sur ces entrefaites, remontant péniblement sur le quai, le vieillard réapparut à l’avant de la locomotive. Dès qu’il eut atteint le premier wagon, il recommença sa battue obsessionnelle. Il levait maintenant la tête devant les compartiments comme s’il était chargé d’en faire l’inspection. Il se redressait autant qu’il le pouvait pour plonger le regard sur les banquettes du train.
Le bonhomme était arrivé à notre hauteur quand je dis à l’employé :
– Vous avez là un sacré inspecteur qui m’a l’air de prendre son travail au sérieux…
L’employé se retourna a

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