Verena
126 pages
Français

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Verena , livre ebook

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Description

Une jeune femme, un peu étrange, dont la beauté fascine tous ceux qui s'approchent d'elle, croit avoir trouvé l'amour de sa vie en la personne d'un professeur universitaire, homme bien, beau lui aussi, généreux, loyal. La vie va pourtant brutalement les séparer.
Vingt ans passe quand un jour, ils se retrouvent, comme deux inconnus. Lui est devenu aveugle ; elle a changé de nom, suite à un mariage désastreux...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 janvier 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332677464
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-67744-0

© Edilivre, 2014
Verena
 
Sa mère est décédée loin de chez elle, à Cagliari, en Sardaigne.
Le circuit méditerranéen que le Club Med lui avait proposé, elle voulait l’effectuer en compagnie de son ultime ami, Rolf Richter, un sexagénaire d’origine allemande, ingénieur informaticien à la retraite.
Après leur départ, Verena reçut quelques cartes postales de Sassari, de Cabras, de Capoterra. On y voyait des immenses plages flavescentes, des contreforts et des strates tourmentées de montagnes couleur lilas, des gargotes ornées de coquilles et d’alcarazas, les célèbres ruines de Nuraghe Losa entourées de splendides magnolias, des relais en pierre d’une blancheur aveuglante. Des inscriptions alambiquées en sarde les accompagnaient.
Et puis s’installa un long silence. Il dura deux semaines et fut rompu par un coup de téléphone à l’aube. Rolf Richter lui communiqua une lugubre nouvelle. Lors d’une conversation fleuve, il dissuada Verena de prendre l’avion, l’assurant que les services funèbres se chargeraient des formalités nécessaires et qu’il veillerait sur le corps lors du transfert.
Verena savait sa mère très malade, le cancer des poumons la rongeant inexorablement depuis trois ans. Elle s’attendait à l’approche de cette mort qui ne voulait pas dire son nom, car cette femme quinquagénaire s’accrochait à la vie avec une opiniâtreté désespérée. Après avoir terminé une séance de chimiothérapie, elle se rendait, malgré la grande fatigue, à l’institut de beauté pour une autre séance, celle d’un habile maquillage, censé atténuer le bleu céruléen de ses joues creuses et la pâleur crayeuse de son front. Elle abandonnait l’élégance classique de ses tailleurs d’autrefois. Désormais, elle portait un blue-jean délavé à la mode, un chandail bigarré au col roulé haut que portent d’ordinaire les lycéens, et un keffieh.
La maladie lui rendit une confuse apparence de sa jeunesse disparue. Sa taille redevint aussi svelte que celle d’une jeune fille. Sa voix de poitrine, jadis retentissante, impérieuse, se mua en une sonorité grêle et murmurante. Pour remédier à la perte de ses cheveux, autrefois abondants, d’un blond foncé, avec un éclat doré, elle choisissait maintenant dans une boutique spécialisée rue Réaumur des perruques à la gamine, des coiffures des plus ébouriffées et fantaisistes. Elle continuait à déjeuner avec Rolf dans leur brasserie préférée, La Belle Alsacienne , à suivre les jeux télévisés, sa distraction favorite, à fréquenter le cercle du bridge et à surfer sur Internet à la recherche de vacances à bas prix. Son ami Rolf admirait son stoïcisme et sa rage de vivre.
Quant à Verena, ce faux regain de jeunesse, ce blue-jean fripé, ce keffieh, ils l’effrayaient plus que le teint livide de sa mère ou les syncopes répétées qui nécessitaient parfois l’arrivée du Samu. Elle ne reconnaissait plus en cet être sans âge, constamment remuant, énervé, irascible, dont l’aspect semblait hésiter entre celui d’une jeune femme cacochyme et d’une vieille épuisée, une femme aux formes autrefois opulentes et gracieuses, toujours serrée dans ses tailleurs classiques.
Après la conversation nocturne avec Rolf, Verena passa le reste de la nuit figée dans son lit. Elle ne pleurait pas, mais de temps à autre quelque chose comme un étouffement la prenait à la gorge. Elle songeait à sa mère qu’elle avait peu connue, passant son enfance dans le Nord, à Cysoing, chez sa grand-mère maternelle, et son adolescence dans un pensionnat pour jeunes filles à Lille. En vain cherchait-elle une image tant soit peu réconfortante de la disparue. Une autre, de manière sournoise, revenait sans cesse. Elle voyait sa mère allongée à plat ventre sur le canapé, tapissé d’un velours couleur perse, dans l’appartement de son ami (le sien, elle l’avait vendu il y a belle lurette), le téléphone portable ou le baladeur dans les mains, oreillettes plantées sur sa perruque, une tasse de muesli posée sur le guéridon à côté. Elle se délectait de la dernière nouveauté d’un rappeur en vogue, déclarant que ce rhapsode faubourien était un pur génie, comme l’étaient les idoles de sa jeunesse, Duke Ellington ou John Coltrane.
* *       *
Bien que dans son état civil elle portât le prénom de Véronique, sa mère l’appelait Verena. À douze ans, elle apprit la raison du changement de prénom, et avec lui l’histoire peu ordinaire de sa famille.
Sa grand-mère Clotilde avait eu dans sa jeunesse un grave revers qui l’avait déshonorée aux yeux de ses proches. En 1942, alors que sa famille résidait dans une modeste maison près de Sarlat-la-Canéda, Clotilde fit connaissance d’un médecin allemand, quadragénaire et francophone. Avant la guerre, il avait fait ses études de médecine à Strasbourg. Ses rencontres furtives avec Clotilde durèrent quelques mois et furent brutalement interrompues sous la menace du père, résistant de première heure. Quand il apprit que sa fille attendait un enfant de ce schleu, il jura, furieux, qu’il l’étranglerait de ses propres mains. À la fin de leur dispute orageuse, il avait mis Clotilde à la porte, lui conseillant de ne pas remettre les pieds dans sa maison avant qu’elle n’eût de bons soins d’une faiseuse d’anges. Clotilde partit le jour même à Sarlat. Là, elle était hébergée par une parente éloignée qui déplorait la dureté de son père.
Clotilde s’efforça, tant qu’elle pouvait, de dissimuler sa délivrance toute proche, la grossesse et la naissance de l’enfant n’étant pas passées inaperçues. Des bonnes âmes voisines s’en souvinrent lors de la Libération. Plusieurs hommes armés vinrent la chercher à son domicile. Ils l’amenèrent sur la place du marché et la firent asseoir sur un haut tabouret au centre de la plate-forme de camion aux ridelles baissées. Quelques jours auparavant, on y transportait le fumier, et maintenant, s’en dégageait une forte odeur nauséabonde. On lui déchira la robe, de manière à mettre à nu son ventre arrondi. On y écrivit en lettres majuscules : PUTE BOCHE . Trois autres filles, un svastika tracé sur le front ou dans l’échancrure de la robe, se trouvaient à ses côtés. L’une d’elles, d’une trentaine d’années, tondue à ras, l’œil au beurre noir, le visage couvert de meurtrissures, tremblotait imperceptiblement. Plusieurs voix s’élevèrent joyeusement, proposant de pendre cette femme qu’on tenait pour informatrice de la Gestapo.
L’homme qui coupait les cheveux de Clotilde maniait avec maladresse de gros ciseaux qu’on utilisait d’ordinaire pour la tonte des moutons. De temps à autre, il jetait des mèches dorées dans l’air bleuté et, une fois tombées, il les écrasait du pied, en accompagnant ce geste d’un propos obscène et d’un gros rire méchant, au grand divertissement de la foule. Quand la tonte fut terminée, on promena les femmes, deux heures durant, sur le camion à travers la ville ; on laissa partir Clotilde à l’heure où la nuit déjà couvrait d’un noir velouté la ville endormie.
L’enfant, né prématurément, reçut au baptême le prénom Marie-Madeleine. Dans le proche voisinage de Clotilde, mais aussi dans une entreprise où elle travaillait comme visiteuse médicale, on traitait souvent sa fille, derrière son dos, de « bâtarde boche ». Le grand-père refusait de voir cette engeance maudite ; il vendit sa modeste propriété en viager et alla s’installer dans une maison de retraite à Saint-Junien. Il interdit à sa fille de le contacter. Après la mort de sa parente, Clotilde réussit à obtenir un travail dans la banlieue lilloise, à Faches-Thumesnil, et quitta pour toujours le pays périgourdin. Elle ne s’était jamais mariée.
Contrairement à sa mère, résignée, effacée, affichant toujours un air accablé et coupable, Marie-Madeleine, dès son enfance, se révolta contre cette situation. S’approchant des seize ans, elle se fit fièrement appeler à la façon allemande, Magdalena. Au collège, elle entonnait souvent devant ses copines ébahies une chanson de Trenet qu’elle avait modifiée, avec un air de défi, à sa manière : « Pauvre France, ce pays de décadence ! » Elle jurait qu’elle le quitterait pour aller vivre en Allemagne ou au Benelux. « Je ne suis pas française, moi ! Je suis allemande ! », répliquait-elle rageusement chaque fois où elle était obligée de remplir des formulaires administratifs.
À l’âge adulte, cette révolte prit un nouveau virage. Marie-Madeleine demanda à plusieurs reprises et sans succès aucun le changement de son état civil. Quand elle eut dix-huit ans, le cancer du sein frappa Clotilde. Marie-Madeleine arracha à la mourante le nom de son père. Après les obsèques, elle contacta l’ambassade d’Allemagne et une société caritative, basée en Thuringe, qui venait en aide aux enfants français, nés pendant la guerre d’un père allemand. Déployant une énergie à toute épreuve, elle put se procurer les coordonnées de son géniteur. Il vivait près de Bochum et y exerçait la profession de médecin généraliste.
Marie-Madeleine lui adressa une lettre, signée votre fille Magdalena . Une semaine plus tard, elle reçut une réponse qui dépassait dix pages. Le père allemand se disait fou de joie de retrouver sa fille française. Il lui proposa de venir chez lui le plus vite possible. Son geste quasi paternel toucha Marie-Madeleine par sa délicatesse : le père glissa dans l’enveloppe, en toute illégalité, plusieurs billets de grosses coupures pour les frais de voyage.
Elle partit pour l’Allemagne le jour même où elle avait reçu le visa. Elle s’imaginait, d’après quelques aveux de sa mère, trouver un bel homme bien bâti, d’une prestance sportive, courtois, parfaitement francophone…
Elle vit un vieillard obèse, aux yeux incolores et aux joues flasques que sillonnaient maint

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