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EAN : 9782335054071
©Ligaran 2015
Avant-propos
Ce n’est jamais sans un cruel serrement de cœur, que l’on conduit un ami à sa demeure dernière ; bien plus cruel encore est celui que l’on ressent, lorsque, sur le bord de la tombe qui va se refermer sur l’homme que l’on aimait, on est appelé à lui adresser le suprême adieu, au nom d’une compagnie à laquelle il appartenait. En pareil moment, la douleur de l’éternelle séparation domine tout ; à peine est-il possible de dire en quelques courtes phrases l’estime que l’on avait vouée à l’homme désormais perdu pour la science ; on passe tristement sur les qualités de l’esprit, parce que l’on comprend qu’en face de la mort, ce sont les qualités de ce cœur qui ne bat plus, qu’il est juste de mettre en saillie. Cette contrainte de convenance, j’en ai souffert devant le cercueil d’Ampère ; on ne s’étonnera donc pas que j’éprouve une joie que je ne saurais cacher, lorsqu’il m’est enfin permis de parler à l’aise du savant et de l’ami qui m’a devancé au tombeau.
Quelle nature d’élite ! quel esprit fin et sagace ! quel cœur d’or !
Depuis bien des années déjà, nous étions unis par les liens d’une franche et solide amitié, sur laquelle ni le temps ni l’éloignement ne pouvait rien. De loin, comme de près, chacun de nous suivait avec un intérêt cordial, les travaux de l’ami absent, applaudissant aux heureux résultats obtenus, lui, rarement et pour cause, moi, bien souvent, et pour cause encore ! Hélas ! pourquoi faut-il que je sois aujourd’hui réduit à ne plus glorifier que des succès passés et dont le cours est à jamais arrêté !
Ampère appartenait à cette école profondément loyale, qui veut se rendre compte des découvertes d’autrui, et qui ne recule jamais devant un travail long et pénible, pour conquérir le droit de parler hautement et en connaissance de cause de ce que tant d’autres, par légèreté, par indifférence ou par paresse, se laissent aller à décrier ou même à nier à tout hasard. Ne vivons-nous pas dans un pays où les négateurs résolus sont en grande majorité, et ont plus de chance d’être écoutés que les timides affirmateurs ?
Ampère le savait à merveille, et honnête de cœur, comme il l’était, il se révoltait contre cette tendance déplorable. Joignez à cela une curiosité fiévreuse qui le poussait invinciblement à se rendre compte des mystères scientifiques dont les autres n’avaient aucun souci, parce qu’ils ne se sentaient pas, comme lui, capables de les pénétrer, et vous aurez le dernier mot de la vie scientifique d’Ampère, vie trop courte, hélas !
J’ai parfois entendu reprocher à cet homme éminent, l’éparpillement de ses efforts sur les sujets d’étude les plus disparates. Blâme ridicule des impuissants que la virilité d’autrui exaspère !
Oui ! c’est vrai ! bien des sujets divers ont tour à tour captivé l’esprit, rempli les veilles d’Ampère ; mais osez dire quel est celui des sujets abordés par lui, sur lequel il n’ait pas enfoncé un coup de griffe digne d’un lion ! Eunuques contempteurs, tâchez donc de l’imiter, au lieu de lui imputer à défaut ce qui chez lui fut une qualité merveilleuse !
Je n’ai pas le dessein d’énumérer ici toutes les sciences qu’Ampère a glorieusement cultivées, et non pas effleurées, ainsi qu’on voudrait le faire croire à la foule niaise qui ne vit que de jugements tout faits, qu’elle s’approprie à si bon marché. Je ne dois m’occuper ici que des études égyptiennes.
Les études égyptiennes ! beau sujet, naguère, de dédains et de sarcasmes ; car il n’y a encore que bien peu d’années que sarcasmes et dédains ont tourné à la honte des imprudents qui les mettaient en œuvre pour étouffer une des plus splendides découvertes de la science française. Ah ! si le déchiffrement des hiéroglyphes eût été la propriété d’un Allemand ou d’un Anglais, on l’eût exalté sans aucun doute ! Mais d’un Français, fi donc !
Ampère avait été témoin maintes fois de cet inconcevable parti pris, qui faisait dénier à notre illustre Champollion la découverte qui a fait de son nom un nom impérissable ! À force de se heurter dans le monde à une incrédulité hautaine, Ampère comprit, avec sa finesse habituelle, que ce que l’on essayait de ridiculiser avec tant d’opiniâtreté, ne pouvait pas être d’une nullité absolue. Quelques hommes de savoir et de bonne foi, d’ailleurs, proclamaient hautement envers et contre tous, que Champollion avait fait preuve de génie, et que sa découverte était évidente comme la lumière du jour, pour quiconque se décidait à l’examiner d’un peu près. Dès lors, pour Ampère, le parti à prendre ne pouvait plus être le sujet de la moindre hésitation. – Je veux voir, par moi-même, ce qu’il y a au fond de ce débat étrange entre quelques individualités clairsemées et le vulgaire. Peut-être bien trouverai-je une fois de plus, que ce qui s’appelle légion n’est qu’une légion de mauvaise foi. – Voilà ce que se dit Ampère.
Entre une détermination adoptée par lui et l’exécution, il y avait, d’habitude, tout juste le temps rigoureusement nécessaire pour se mettre à l’œuvre. Les livres indispensables une fois rassemblés autour de lui, Ampère les dévora et se les assimila avec la sagacité qu’il apportait à tout ce qu’il entreprenait. En quelques semaines il savait à quoi s’en tenir ; sa conviction était faite, et si bien faite, qu’il n’eut plus qu’une pensée, plus qu’un désir : visiter la terre des Pharaons, et y recueillir de nouveaux matériaux, dignes d’entrer dans la construction du noble édifice dont il avait le droit maintenant de proclamer la splendeur.
Je viens de le dire, pour Ampère, le projet et l’exécution naissaient pour ainsi dire au même jour, à la même heure. Il partit donc et parcourut avec une curiosité infatigable cette vallée du Nil, si riche en monuments de tous les âges, que l’on peut, en quelque sorte, affirmer que jamais elle n’aura dit son dernier mot sur l’histoire de l’humanité.
Pendant bien des semaines, Ampère, accompagné d’un artiste de grand mérite, M. Durand, fouilla les recoins les plus obscurs des temples et des catacombes, relevant des textes ignorés, colligeant des myriades de notes qui devaient être les éléments d’un vaste dictionnaire de la langue égyptienne ; mais la maladie vint l’étreindre de sa griffe impitoyable, et faillit le condamner à ne revoir jamais cette France qu’il adorait !
Après des mois passés entre la vie et la mort, il aborda à Marseille ; puis il retrouva Paris et tous ceux qu’il aimait et qui le lui rendaient si bien.
Je le vois encore, faible, souffreteux, en proie à d’incessantes rechutes, et n’ayant pas le courage de renoncer au travail, de ne pas se livrer à la joie de compulser les trésors qu’il avait conquis au péril de sa vie, on peut le dire !
Je n’ai pas le moins du monde le dessein d’analyser les écrits égyptologiques d’Ampère. À Dieu ne plaise que j’essaye brutalement de les déflorer ! Qu’on lise donc les premières pages de ce livre charmant, et, je ne crains pas de l’affirmer, on ira jusqu’au bout sans s’en douter, et l’on trouvera, en fin de compte, que l’œuvre aurait dû être plus longue.
J’ai commencé par repousser de toutes mes forces le reproche que certains esprits adressent à la mémoire d’Ampère, et ne voilà-t-il pas que, fatalement, j’en viens moi-même à déplorer que cet illustre et savant ami ait aussi promptement quitté une étude pour laquelle il était prédestiné ?
Oui, je le confesse, dût-on m’accuser d’incohérence, je regrette qu’Ampère n’ait pas poussé plus profondément le sillon magistral qu’il avait ouvert sur le sol de la science égyptologique. Je le regretterais bien plus encore, si cet abandon ne nous avait valu d’autres livres pleins de talent et de charme, comme tous ceux qui tombaient de sa plume ardente.
Ampère, s’il l’avait voulu, aurait contribué puissamment à mettre à la portée de tous une science