Sur les traces de Kéraban
258 pages
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Sur les traces de Kéraban , livre ebook

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Description

« Il y a deux ans je n'avais jamais entendu parler de Kéraban-le-Têtu. Capitaine Nemo, Michel Strogoff, Philéas Fogg, d'accord, mais Kéraban ? Et aujourd'hui je suis en train de rentrer complètement dans la peau du personnage. En traversant ce paysage de champs à perte de vue, vide d'humanité, je me pose des questions sur l'allure de ses chevaux, sur les sujets de conversation entre lui et Van Mitten, et je m'imagine dans la chaise de poste lancée au galop sur le même chemin que j'emprunte ce matin. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 mai 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342005806
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sur les traces de Kéraban
Carole Pither
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Sur les traces de Kéraban
 
 
 
Pour Yannis et Costa
 
 
 
Mais c’est à elle, en somme, que nous devons d’être embarqués dans une pareille aventure ! Courir jour et nuit en chaise de poste, risquer de s’embourber dans les marécages ou de se rôtir dans des provinces en combustion, franchement, c’est trop, c’est beaucoup trop !
Kéraban-le-Têtu, Jules Verne, 1883
 
 
 
Préface
 
 
 
Kéraban-le-Têtu n’est certes pas le roman le plus célèbre de Jules Verne. Il apparaît en 1883 1 au milieu de sa production, le vingt-quatrième de ses soixante Voyages extraordinaires. L’écrivain en a tiré une pièce de théâtre, sans doute écrite en même temps que le roman.
 
La pièce connut un échec retentissant – moins de cinquante représentations – dû à la réprobation de Dennery, l’adaptateur évincé, à la faiblesse des décors et de la distribution, et surtout au manque de féeries attendues, qui firent le bonheur des précédents spectacles verniens, Le Tour du Monde en 80 jours, Michel Strogoff et Les Enfants du capitaine Grant – comme l’explique Robert Pourvoyeur en présentant le texte inédit de cette pièce 2 .
 
À vrai dire, le public du temps, considérant Verne comme un romancier scientifique, comprenait mal le ridicule entêtement de Kéraban qui refuse les progrès modernes de la locomotion – du chemin de fer au bateau à vapeur – pour se contenter de la chaise de poste ? Étrange incompréhension des spectateurs, car le dramaturge – et le romancier – démontrait les grotesques conséquences du rejet de toute modernité et voulait, cette fois, vanter la science qui « sauve continuellement la situation 3  », après avoir eu le courage de discourir sur ses dangers dans l’étonnant Voyage à travers l’impossible 4 .

Kéraban, l’histoire plaisante de ce Turc plus têtu qu’un Breton, reste un très bon roman. Les péripéties rencontrées en chemin existent toujours dans ces contrées instables où Carole Pither a, elle aussi, connu les siennes… en voulant suivre les traces de l’entêté Kéraban qui préfère accomplir le tour de la mer Noire, au risque d’y perdre la vie, plutôt que de payer une nouvelle et infime taxe pour traverser le Bosphore. Son ami Van Mitten, négociant en tabac, l’accompagne pendant ce périple aventureux.
* * *
Depuis plus d’un siècle, les lecteurs de ce roman n’y ont rien trouvé d’autre à dire 5 . Or, les biographes nous apprennent que Jules Verne vivait alors un drame familial. Son fils Michel, adolescent caractériel, émancipé à 19 ans, avait suivi en 1880 une jeune actrice, Thérèse Taton dite Dugazon, dans ses tournées et vivait avec elle, à Nîmes, en concubinage réprouvé par l’écrivain. En 1883, la vie du jeune couple se complique. Michel Verne ne se contente plus de Thérèse et fait la cour à une jolie Nîmoise, Jeanne Reboul, âgée de seize ans. Le voilà, à 22 ans, quasi bigame, même s’il n’est pas encore marié !
 
Honorine Verne, née Viane, plus indulgente que son mari, pardonne les frasques de son fils volage. Jules Verne enrage et, têtu comme Kéraban, s’insurge contre son fils et son épouse. Il ne voit plus qu’une issue : « Michel], écrit-il à Hetzel, va droit à la maison de fous par la route de la misère et de la honte ». Dans Kéraban, Van Mitten constate : « En Hollande, où l’on n’a qu’une femme, il est quelquefois bien difficile d’avoir raison dans son ménage ! » (I, chap. I), et pourtant, dit-il plus loin – comme Verne ? : « Je cédais sur tout pour n’avoir de querelle sur rien. » (I, chap. XII).
 
En écrivant Kéraban , le romancier exprime sa réprobation par de nombreuses allusions à ce conflit familial. La misogamie de l’auteur, déjà connue, s’y affiche et s’associe à une misogynie, envers sa femme tout au moins. Dès le début, quand Kéraban rappelle au négociant son mariage avec « Mme Van » : « Il y a si longtemps déjà, répond le Hollandais, que c’est à peine si je me souviens ! » Entre Van – réduction volontaire du nom de Van Mitten – et V(i)an(e), il n’y a que deux voyelles de moins. Ce dédain paraît plus une pique contre Mme Verne que contre Mme Van Mitten.
* * *
Comme souvent dans l’œuvre vernienne, deux personnages incarnent les deux facettes de la personnalité de Michel Verne. Van Mitten représente la lâcheté et l’inconstance de son fils. Ahmet, le fils adoptif de Kéraban, devient un Michel idéalisé, un garçon obéissant, ne contrariant pas son père aussi têtu qu’il soit ; bref, un fils tel que Jules le voudrait. Un passage définit ce Michel agréable et conciliant :
 
« Un charmant garçon ! Il déteste les affaires, par exemple, un peu artiste, un peu poète, mais charmant… charmant ! Il ne ressemble point à son oncle et lui obéit sans broncher. » (I, chap. III)
 
Sauf la dernière phrase, ces mots dépeignent à merveille le « charmant Michel » décrit par la famille Verne. Ce Michel-Ahmet veut épouser Amasia qui n’a pas encore « ses dix-sept ans », comme Jeanne Reboul en 1883.
 
La faiblesse de Van Mitten qui se sépare de sa femme pour se faire enlever par une autre permet à l’écrivain d’exprimer ses reproches. De façon fort transparente – pour les proches – V(an) M(itten), futur bigame, porte les mêmes initiales que M(ichel) V(erne) ; qui plus est, son prénom J(an) les complète en J.V.M. ou M.J.V. comme Michel se désignait : Michel Jules Verne.
 
Qui séduira Van Mitten, sinon cette nouvelle maîtresse dont Michel s’est entêté, Jeanne Reboul, sa Reboul, Saraboul dans le roman ? Impossible de la nommer plus clairement. En décrivant cette agressive captatrice, Verne se complaît à mettre dans le même sac la jeune Nîmoise et sa propre épouse, en multipliant les sous-entendus. Saraboul est une veuve, comme Honorine, traitée de « guêpe possédant un aiguillon redoutable » (II, chap. VII) ; son frère s’appelle Yanar, d’où l’on déduit son nom de jeune fille, Yan(ar), là encore visible évocation de celui d’Honorine, (v)Ian(e) ! Ah ! la famille !
 
Par le biais de ce roman, l’écrivain sommait son fils d’épouser sa concubine, Thérèse – ce qu’il finit par faire en 1884, sans doute par convenance et pour pouvoir divorcer ensuite.
 
Par ses phrases à double sens, Verne-Kéraban donne des ordres. Le télégramme, soi-disant venu de Hollande – et en français ! – lui permet de jouer sur les mots « décédée » et « décidée », mais surtout, sa femme étant « décidée à rejoindre son mari », le père enjoint à son fils de renoncer à l’emprise de « sa Reboul ». Il insiste : « Ce n’est pas la femme qu’il (te) faut ! » (II, chap. XV) ; tu seras « trop heureux de revenir à (ta) première femme, par peur de la seconde ! » (II, chap. XVI), entre autres gentillesses à l’intention de sa future belle-fille.
 
Aux craintes de Van Mitten : « Moi, bigame ! », Kéraban rétorque : « En Turquie, bigame, trigame, quadrugame ! C’est parfaitement permis ! » En Turquie, certes, mais en France ?
 
Michel ne quitte pas sa Reboul, il l’enlève et lui fait des enfants. Les parents de la jeune fille vont se plaindre auprès de Jules Verne de cette bigamie et d’enlèvement de mineure. L’écrivain les met à la porte. Michel Verne attend son divorce et se remarie en 1890 avant la naissance de son troisième fils.
 
On ignore si Jeanne Reboul a jamais lu Kéraban, pas plus sans doute qu’Honorine, sinon l’auteur n’aurait pas continué à mettre dans ses romans, où les veuves abondent, tant de remarques désobligeantes pour son épouse et qu’il restait à peu près le seul à comprendre.
 
L’écriture libérait Verne. Sa femme l’ennuie, son éditeur le bride, son fils l’angoisse. En les brocardant dans ses livres, l’écrivain supporte mieux les misères conjugales et familiales qui empoisonnent sa vie. Il finira par accepter sa nouvelle bru qui aura le mérite de lui donner des héritiers et d’apaiser son fils, le fantasque et charmant Michel, dont il ne cesse de s’inquiéter. À la fin de sa vie, en 1894, il déclare, désabusé, à son frère Paul :
 
« Michel ne fait rien, ne trouve rien à faire, m’a fait perdre 200 000 francs et a trois garçons, et toute leur éducation va retomber sur moi 6 . »
 
Pardonnons l’entêtement de Kéraban ; Verne tournait des idées noires en rédigeant son tour de la mer Noire…
Olivier Dumas
 
 
 
 
1
 
 
 
Je les ai à peine remarqués la première fois qu’on a traversé la ville : deux hommes, sûrement des retraités à en juger par leur âge respectable, assis à l’ombre sur la terrasse d’un café devant leur verre d’ouzo. Nous, la joyeuse bande d’aventuriers en puissance, nous sommes passés en parlant français haut et fort, comme font beaucoup de touristes. Fraîchement débarqués du bateau dans le petit port d’Igoumenitsa, on s’est arrêté pour prendre un verre. Il fallait tirer des chaises des autres tables vides autour car nous étions six. Je ne me rappelle plus du sujet de la conversation – la route à prendre peut-être, Istanbul probablement, et l’état mécanique des véhicules sans doute. Les deux Land Rover étaient garés devant nous, portant les inscriptions « France Culture » et « Sur les traces de Kéraban – le tour de la Mer Noire ». Quand nous sommes partis les deux hommes nous ont salués d’un hochement de tête. Je les ai revus, un mois et demi plus tard, toujours assis à la même table devant leurs verres d’ouzo. Je leur ai adressé un bonjour en grec, un des dix mots de la totalité de mon vocabulaire dans cette langue, et, étant très préoccupée par mes soucis à ce moment-là, je n’ai plus du tout fait attention à eux. Lors de mon troisi

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