Identité et violence
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Description

Le monde semble redevenir une fédération de « cultures », de « civilisations » où chacun est sommé de se ranger. Faut-il s’y résigner ? N’avons-nous d’autre choix que de nous enfermer dans une identité close ?Remettant en cause l’idée de Moyen-Orient et d’Occident monolithiques, rompant avec la logique de l’affrontement entre blocs, revendiquant ses racines indiennes comme ce qu’il doit à la culture des pays occidentaux où il travaille, Amartya Sen dénonce les illusions qui entourent pour lui la notion d’identité aujourd’hui. La liberté qu’a chacun de se construire par-delà les blocs, grâce à la multiplicité de ses appartenances, est peut-être le seul recours contre la violence.« Critiquant les tendances actuelles au communautarisme, Amartya Sen rappelle à quel point l’identité moderne est complexe et multidimensionnelle. » Francis Fukuyama« Une rare synthèse d’intelligence et d’implication personnelle. Un livre qui nous sauve des théories militaristes, de la “guerre des civilisations”. » Nadine GordimerPrix Nobel d’économie 1998, Amartya Sen est l’un des intellectuels indiens les plus connus et les plus respectés au monde. Il a longtemps présidé Trinity College, à Cambridge, en Angleterre, avant de devenir professeur à l’Université Harvard. Il a notamment publié Un nouveau modèle économique et Rationalité et liberté en économie, ainsi que L’Inde. Histoire, culture et identité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2007
Nombre de lectures 12
EAN13 9782738192370
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Amartya Sen
Identité et violence
L’illusion du destin
Traduit de l’anglais par Sylvie Kleiman-Lafon
© Amartya Sen, 2006
Pour la traduction française : © Odile Jacob, mai 2007 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-9237-0
www.odilejacob.fr
Table

Prologue
Préface
CHAPITRE 1. La violence de l’illusion
La reconnaissance d’affiliations concurrentielles
Contraintes et libertés
Convaincre les autres
Le déni du choix et de la responsabilité
L’incarcération civilisationnelle
Plus qu’une fédération de religions
Les musulmans et la diversité intellectuelle
Le brasier de la confusion
CHAPITRE 2. Donner un sens à notre identité
Le mépris de l’identité et l’idiot rationnel
Affiliations plurielles et contexte social
Identités contrastées et non contrastées
Choix et contraintes
L’identité communautaire et la possibilité de choisir
Raison et priorités
CHAPITRE 3. L’enfermement civilisationnel
Visions singulières et illusion de profondeur
Les deux problèmes de l’explication civilisationnelle
De l’Inde comme civilisation hindoue
Sur la soi-disant unicité des valeurs occidentales
Les racines mondiales de la démocratie
La science occidentale et l’histoire mondiale
Abstractions hâtives et histoire floue
CHAPITRE 4. Affiliations et histoire musulmane
Identité religieuse et variations culturelles
Tolérance et diversité au sein du monde musulman
Questions non religieuses et priorités diverses
Sciences, mathématiques et histoire des idées
Identités plurielles et politique contemporaine
Lutte contre le terrorisme et perception de l’identité
Terrorisme et religion
Richesse des identités musulmanes
CHAPITRE 5. L’Occident et ses ennemis
Dialectique de l’esprit colonisé
Les valeurs de l’Asie et autres questions
Colonialisme et Afrique
Le fondamentalisme et la centralité de l’Occident
CHAPITRE 6. Culture et captivité
Vérités fantasmées et vraies politiques
La Corée et le Ghana
L’expérience japonaise et la politique publique
La culture au sens large
Le multiculturalisme et la liberté culturelle
Écoles, raison et foi
CHAPITRE 7. Voix et mondialisation
Voix, vérité et débat public
Voix, critiques et solidarité mondiale
Solidarité intellectuelle
Le local contre le mondial
Mondialisation économique et inégalités
Pauvreté mondiale et équité mondiale
Une plus grande justice est-elle possible ?
Exclusions et compromissions
Pauvreté, violence et sentiment d’injustice
Identité et prise de conscience
CHAPITRE 8. Multiculturalisme et liberté
Les réussites de la Grande-Bretagne
Les problèmes du monoculturalisme pluriel
La raison avant tout
Les arguments de Gandhi
CHAPITRE 9. La liberté de penser
Une violence cultivée
Le versant dur de la théorie
L’illusion solitariste et ses conséquences
Le rôle des voix mondiales
Un monde possible
Notes
Du même auteur
À Antara, Nandana, Indrani et Kabi
dans l’espoir que notre monde
soit moins emprisonné dans l’illusion.
 
Prologue
 
Il y a quelques années, alors que je rentrais en Angleterre après un bref séjour à l’étranger (j’étais à l’époque Master de Trinity College, à Cambridge), le douanier préposé au contrôle des passeports à Heathrow observa attentivement mon passeport indien et me posa une question éminemment philosophique. Voyant l’adresse que j’avais inscrite sur le formulaire d’immigration (Résidence du Master, Trinity College, Cambridge), il me demanda si le Master, qui me faisait visiblement bénéficier de sa généreuse hospitalité, était l’un de mes amis proches. Il me fallut un certain temps pour répondre car je n’étais pas tout à fait certain d’être l’un de mes propres amis. Après mûre réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion que je devais sans doute répondre oui, puisque j’étais souvent assez amical envers moi-même ; en outre, lorsqu’il m’arrivait de dire n’importe quoi, je pouvais immédiatement me rendre compte qu’avec un ami tel que moi, je n’avais point besoin d’ennemis. Comme il m’avait fallu un certain temps pour parvenir à cette intéressante conclusion, le douanier, soucieux de vérifier que mon séjour sur le sol britannique ne comportait aucune irrégularité, voulut connaître les raisons exactes de mon hésitation.
Ce dernier point fut rapidement éclairci, mais cette conversation me rappela – s’il en était besoin – que l’identité était une chose bien compliquée. Nous n’avons, bien sûr, pas grand mal à nous persuader qu’un objet est identique à lui-même. Wittgenstein a écrit qu’il « n’est pas meilleur exemple de proposition inutile » que de dire qu’une chose est identique à elle-même, mais il poursuit en affirmant que cette proposition, bien que parfaitement inutile, est néanmoins « liée à un certain jeu de l’imagination ».
Lorsque nous passons de l’idée d’ être identique à soi-même à celle de partager une identité avec d’autres individus appartenant à un groupe donné (et la notion d’identité sociale revêt bien souvent cette forme), l’affaire devient plus complexe. En effet, de nos jours, un grand nombre de questions politiques et sociales sont liées au fait que des identités disparates à l’intérieur de différents groupes expriment des revendications conflictuelles, puisque la conception que nous avons de notre identité influence de diverses façons nos pensées comme nos actions.
Les événements violents et les atrocités qui ont eu lieu ces dernières années ont ouvert une période d’extrême confusion et de terribles conflits. Cette confrontation globale est souvent perçue comme le corollaire des divisions religieuses et culturelles qui déchirent le monde. Ce dernier est en effet de plus en plus souvent vu, même implicitement, comme une fédération de religions et de civilisations. Sont ainsi laissées de côté toutes les autres perceptions que les gens ont d’eux-mêmes. Cette vision du monde est renforcée par l’idée étrange que les personnes ne peuvent se définir qu’en fonction d’un système de catégorisation unique et globalisant . La division du monde en termes de religion et de civilisation engendre une vision « solitariste » de l’identité humaine, par laquelle les êtres humains sont envisagés comme les membres d’un seul et unique groupe (défini par la religion ou la civilisation et non plus par l’ancienne appartenance à une nation ou une classe sociale).
Cette approche solitariste est le plus sûr moyen de ne pas comprendre la majeure partie de nos semblables. Dans la vie, nous nous percevons comme membres d’une grande diversité de groupes, et nous appartenons à chacun d’entre eux. Une même personne peut, sans qu’il y ait contradiction, être femme, citoyenne américaine, originaire des Caraïbes, d’ascendance africaine, chrétienne, libérale, végétarienne, marathonienne, historienne, enseignante, romancière, hétérosexuelle ; elle peut défendre les droits des homosexuels, aimer le théâtre, militer pour la défense de l’environnement, jouer au tennis, faire partie d’une formation de jazz et croire dur comme fer en l’existence d’une intelligence extraterrestre avec laquelle il est plus qu’urgent de communiquer (de préférence en anglais). Cette personne appartient simultanément à chacun de ces groupes, qui contribuent tous à forger son identité singulière. Aucune de ces catégories ne saurait définir cette personne dans sa totalité ni constituer sa seule et unique identité. Notre identité étant nécessairement plurielle, il nous appartient de décider de l’importance relative de ces différentes associations et affiliations dans un contexte donné.
Nous avons donc la responsabilité de nos choix et de nos raisonnements. La violence, en revanche, est encouragée par l’idée d’une identité forcément unique – et souvent belligérante – à laquelle nous sommes supposés appartenir et qui exige beaucoup de nous (parfois même des choses éminemment désagréables). Cette identité soi-disant unique, imposée, est souvent un élément déterminant dans l’art guerrier de fomenter l’affrontement sectaire.
Malheureusement, de nombreuses tentatives, au demeurant fort bien intentionnées, visant à faire cesser cette violence, sont elles-mêmes handicapées par ce qui est perçu comme une absence de choix dans la détermination de notre identité ; notre capacité à triompher de la violence peut, dès lors, s’en trouver grandement amoindrie. Lorsque la perspective d’une bonne entente entre les personnes est envisagée avant tout, comme c’est de plus en plus souvent le cas, en termes d’« amitiés entre les civilisations », de « dialogue entre les religions » ou de « relations d’amitié entre les communautés » – ce qui laisse dans l’ombre les mille et une manières que les gens ont d’interagir les uns avec les autres –, une véritable miniaturisation de l’être humain précède la mise en œuvre des programmes de paix.
L’humanité que nous partageons est sauvagement remise en question dès lors que tout ce qui divise le monde se trouve aggloméré en un système prétendu dominant de classification fondé sur la religion, la communauté, la culture, la nation ou la civilisation, traitant chacune de ces composantes comme le déter minant unique de notre approche de la guerre ou de la paix. Ce monde compartimenté par un déterminant unique est bien plus fermé que l’univers pluriel et diversifié dans lequel nous vivons. Il s’oppose non seulement à l’idée un peu démodée selon laquelle « tous les êtres humains se ressemblent » (idée quelque peu battue en brèche de nous jours, parfois non sans raison, car jugée bien trop naïve), mais aussi à celle, bien moins répandue mais bien plus réaliste, selon laquelle nous sommes tous divers et différents . Dans le monde contemporain, l’espoir de trouver une harmonie repose dans une large mesure sur une meilleure compréhension de la pluralité de notre identité et sur l’idée, enfin acceptée, que cette pluralité est transversale et s’oppose à la séparation nette entre les individus le long d’une ligne de démarcation infranchissable.
Les mauvaises intentions n’explique

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