Comment faire rire un paranoïaque ?
101 pages
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Description

Que se passe-t-il entre un psychanalyste et son patient ? Qu'est-ce que cette relation a de particulier ? Pourquoi, dans des cas trop nombreux la cure ne procure-t-elle aucun bienfait ? Pourquoi, bien souvent, est-elle le théâtre de détériorations persistantes ? « François Roustang excelle dans ce texte très polémique. » Corinne Ehrenberg, Esprit.« François Roustang : un hérétique particulièrement astucieux, des essais toujours surprenants et excitants pour l'esprit. Ce qu'il nous propose : un « gai savoir » de l'inconscient. Il y a donc urgence à le lire et à le relire. » Le Monde. Psychanalyste, François Roustang est sans doute celui qui, depuis vingt ans, s'interroge avec le plus de force critique sur le sens et les effets de l'analyse, dont le but doit être la guérison. Il est notamment l'auteur de Qu'est-ce que l'hypnose ? et de La Fin de la plainte.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2010
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738165589
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
aux éditions Odile Jacob
La Fin de la plainte , 2000.
FRANÇOIS ROUSTANG
COMMENT FAIRE RIRE UN PARANOÏAQUE ?
Retrouvez les Éditions Odile Jacob sur le site www.odilejacob.fr Nouveautés, catalogue, recherche par mots clefs, journal
© ÉDITIONS ODILE JACOB, 1996, MARS 2000
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN : 978-2-7381-6558-9
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Avant-propos

Comment faire rire un paranoïaque ? Vous penserez sans doute que cette question est faite pour amuser 1 . Vous n’aurez pas tort puisque l’on ne s’amuse finalement que des choses sérieuses. Celle-là l’est plus que beaucoup d’autres ; vous allez vous en rendre compte d’ici peu. Mais il est essentiel qu’elle puisse vous faire au moins sourire, pour que vous vous y laissiez prendre. Elle est, en effet, au cœur de votre existence d’être humain dans cette culture et, avec plus d’évidence, au cœur de la pratique des psy en tous genres. Reste à savoir si votre gaieté ne va pas se tarir lorsque vous en soupçonnerez les conséquences, si elle ne va pas vous agacer lorsque vous constaterez combien elle vous implique. De ces réactions de défense nous pouvons toutefois nous consoler, car cette histoire de paranoïaque et de rire de paranoïaque court déjà depuis longtemps. Freud prétendait avoir « réussi là où le paranoïaque avait échoué ». Mais Groddeck écrivait à Ferenczi : « Espérons qu’il n’a pas désappris à rire. » Les deux compères, en bonne forme au début du siècle, pouvaient brandir leur indépendance d’esprit. Les choses s’étaient gâtées par la suite et, chacun à leur manière, ils avaient fait les frais de leur impertinence. Souhaitons qu’il n’en soit pas de même ici.
Pourquoi privilégier la figure du paranoïaque ? Parce qu’elle est emblématique de notre culture et qu’elle met donc sous nos yeux ce que l’on peut produire de plus raffiné dans le registre de la maladie mentale. La paranoïa se profile d’abord sous les traits de l’individu qui s’adore et qui écarte les miroirs incapables de lui renvoyer une forme avantageuse. Il voudrait qu’une thérapie le narcissise. C’est encore la paranoïa qui est à l’œuvre pour nous inculquer une folle passion de contrôle et de maîtrise. Que la vie ne nous déconcerte jamais : tel serait l’aboutissement de la cure. Enfin la paranoïa se retrouve à son acmé dans le besoin d’un leader qui aurait déterminé avant nous le savoir auquel nous pourrions nous confier. Et peu importe les dégâts opérés par une telle soumission. Nous sommes tous des paranoïaques en herbe qui se soutiennent du ressentiment ou de l’attente exaspérés d’une reconnaissance et d’un pouvoir, à moins que nous soyons déjà des paranoïaques exercés qui jouent du fouet dans le minable royaume qu’ils ont réussi à se forger. Dans ces conditions, si nous voulons nous soigner et aller à la racine du mal, il faut soigner le paranoïaque en nous.
Mais comment ? Par le rire. Mais de quel rire s’agit-il, il y en a tant de sortes ? Évidemment le rire de soi. Mais pourquoi serait-il une médecine ? Il pèse si lourd dans sa légèreté qu’il approche tout ce qui se meut pour en accentuer les contours, qu’il se coule dans nos réalités pour en animer toutes les parts, qu’il fortifie ce qui est faible et réduit la prétention. Il ne juge pas, il n’impose rien et se contente d’épouser ce qui est, en espérant le transformer peu à peu. Avec la paranoïa on avait tout le pire, avec le rire de soi tout le meilleur : la distance dans la proximité, la tolérance par réalisme, la finitude sans le désespoir, l’horreur avec l’humanité, et aussi l’incertitude qui aiguise l’attention, les hasards de l’étonnement, et la vie et la mort. Car le rire de soi ne possède rien, ne capte rien, ne s’affole de rien : il considère et s’amuse. J’en suis donc encore là ; on verra demain.
Mais comment faire rire de soi le paranoïaque ? Question sans réponse vraisemblable, car ce rire recèle pour lui le plus grand danger. Il suppose, en effet, que soient abolies les défenses édifiées pour tenir à distance une angoisse de dissolution. Au paranoïaque manquent des limites propres qui auraient dû remplir leur rôle sans qu’il ait à s’en soucier. C’est pourquoi il lui faut en emprunter qui seront artificielles et fatalement aliénantes. Il a besoin de prendre appui sur une force contraire, sur la force de son persécuteur, ou supposé tel, qui le protégera du risque de se répandre, qui tracera une frontière sur laquelle il pourra venir buter pour se redonner à chaque instant la certitude ou l’illusion d’exister dans un espace circonscrit. Sans ennemi il s’effondrerait.
L’entourage n’a pas su établir avec lui dans ses premiers temps des relations qui l’auraient rendu distinct et c’est pourquoi il a dû en appeler à des expédients. Comme la présence des autres le menace d’intrusion et leur absence de perte de lui-même, il construit des systèmes de pensée sans rapport avec la réalité et il fait tout pour les mettre en œuvre. Il est possédé par la haine de la vie, car ne disposant pas de limites propres, la vie ne peut que l’envahir ou lui manquer. Il devient lui-même une abstraction. C’est l’impossibilité de la distinction qui le conduit à la nécessité de la maîtrise. Incapable d’éprouver le sentiment premier de l’existence, il va se faire le garant de la vérité. Il ne peut jamais avoir tort. N’étant jamais à la bonne distance, il ne peut pas jouer avec l’accueil et le refus ou rythmer les avancées et les reculs. Pour lui il n’y aura jamais avec les humains d’autre choix que la reddition ou le triomphe. Bref il n’est pas un individu différencié dans et par le rapport aux autres.
Comment serait-il possible de le faire rire de lui-même, si en mineur nous produisions les mêmes manières de nous défendre ? Nous avons l’air de nager dans un tel océan de certitudes concernant notre métier, sa pratique et ses théories que l’on ne voit pas par quelle fracture pourrait s’introduire le rire sur nous-mêmes. Pour que nous soyons capables de transmettre cette forme de rire, nous devons accepter un premier impératif qui pourrait se formuler ainsi : mettre en incertitude toute affirmation théorique. Le psychanalyste ou psychiatre ou psychothérapeute qui tiendrait quelque chose pour définitivement assuré dans l’ordre de la construction intellectuelle ne pourrait que faire le jeu du paranoïaque. Ce dernier se confine, en effet, dans le registre de l’abstraction, abstraction du système et abstraction de sa mise en œuvre. Pour ne jamais en sortir, il suscitera l’opposition en ce domaine. Un paranoïaque — et l’obsessionnel ou l’hystérique n’en sont souvent pas loin — cherchera, par exemple, à connaître ce que le psychothérapeute a pu dire ou écrire, il tentera de percevoir et il détectera aisément dans sa lucide folie ce que son thérapeute tient pour une évidence théorique. Et il attaquera ce point crucial, sûr d’atteindre l’interlocuteur dans sa fragilité. Si le thérapeute se trouve blessé par ces remarques, s’il manifeste quelque résistance que ce soit, même dans le silence, pour abriter son bien propre, le paranoïaque ne manquera pas d’en faire son profit en vue d’éloigner le risque de sa propre mise en question. Si, au contraire, le thérapeute peut se moquer de et en lui-même, et rire de ce qu’il défend en public, en privé ou par-devers lui, le paranoïaque entrera dans une angoisse nécessaire parce que s’effondreront alors ses protections : elles se supportaient de la résistance du thérapeute. Le rire tous azimuts de ce dernier à l’égard de ses propres convictions et certitudes apparaît donc comme la première condition de la levée des symptômes du paranoïaque. Ce à quoi le paranoïaque va se heurter, sans justement pouvoir s’y heurter, c’est à la passion de l’incroyance qui doit habiter le thérapeute. Non pas une incroyance défendue, mais une incroyance allègre, une incroyance en acte capable de défaire à chaque instant toute compréhension préalable. Il s’agirait, par exemple, non pas de brandir le non-sens généralisé comme un autre absolu, ce qui reconduirait la paranoïa, mais de démonter avec précaution les sens proposés et de rendre manifeste leur insuffisance.
Pour que vienne se faire entendre le rire du paranoïaque, il faudra répondre encore à un autre impératif corrélatif du premier. Si, en effet, le thérapeute ne donne aucun appui à la paranoïa, dans le même temps il devra rendre possible son exercice sous peine de voir le paranoïaque se disperser faute de contenant. Car il faut lui fournir une limite. Mais où la trouver ? Comme elle ne peut plus être située au-delà en surplomb, à l’instar de celle qu’il s’est forgée en catastrophe, elle devra bien être découverte en deçà. Mais quel est alors ce quelque chose qui va être proposé pour circonscrire, plus précisément pour effectuer une distinction qui ne puisse d’aucune façon se transformer en maîtrise ? Dans le cas contraire la paranoïa saisira l’occasion pour s’en nourrir. Si le paranoïaque doit rire, cela passe par le rire de soi du thérapeute ; mais ce rire doit fournir l’évidence que tout tient encore, quand, pour la tête, plus rien ne tient.
Il faut que ce soit un appui sans appui, un fondement ininstituable, une assurance qui résiste aux critiques les plus radicales, mais surtout qui échappe à toute prise. Ce sera sans doute quelque chose d’élémentaire reçu sans réflexion po

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