Ma Mère : Mon analyse et la sienne
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Ma Mère : Mon analyse et la sienne , livre ebook

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Description

« Voilà la mère que j’ai eue, la mère qui a fini par tant dépendre de moi. Imprévisible, obstinée, têtue, incernable, méfiante, manipulatrice, exigeante, quelque peu sorcière, soucieuse de tout contrôler, de tout maîtriser. Je mettais ces caractéristiques sur le compte du danger qu’elle devait ressentir à être d’une autre culture, d’un autre âge, d’un tout autre monde que celui dans lequel nous vivions. Avec, comme corollaire, la crainte de ne pas pouvoir protéger ses enfants, ces enfants qui ont toujours été pour elle rien de moins qu’une partie d’elle-même. » Aldo Naouri explore le lien mère-fils et raconte comment la figure maternelle qui nous accompagne aux premiers jours de notre vie nous façonne, nous construit, nous marque de son empreinte. Ce livre est celui d’un auteur qui conjugue le regard de l’analyste et le talent de l’écrivain. Aldo Naouri, célèbre pédiatre, a notamment publié Les Filles et leurs Mères, Éduquer ses enfants, Les Pères et les Mères, L’enfant bien portant ou encore Entendre l’enfant, qui ont tous connu un immense succès auprès du public. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 mai 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738155641
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Chez Odile Jacob  (tous ces titres sont disponibles en version numérique)
De l’inceste (avec Françoise Héritier et Boris Cyrulnik), « Opus », 1994.
Le Couple et l’Enfant , 1995.
Les Filles et leurs Mères , 1998.
Questions d’enfants (avec Brigitte Thévenot), 1999.
Réponses de pédiatre , 2000.
Parier sur l’enfant , « Poches Odile Jacob », 2001.
Les Pères et les Mères , 2004.
Les mères juives n’existent pas… mais alors, qu’est-ce qui existe ? (avec Sylvie Angel et Philippe Gutton), 2005.
Adultères , 2006.
Éduquer ses enfants. L’urgence aujourd’hui , 2008.
L’enfant bien portant. Les fondamentaux , 2010.
Les belles-mères, les beaux-pères, leurs brus et leurs gendres , 2011.
Prendre la vie à pleines mains , 2013.
Les Couples et leur Argent , 2015.
Trois grandes questions autour de la famille , 2017.
Entendre l’enfant , 2017.
Des bouts d’existence , 2019.
Aux éditions du Seuil
L’enfant porté , 1982.
Une place pour le père , 1985.
Parier sur l’enfant , 1988.
L’enfant bien portant , 1993 ; rééditions 1997, 1999 et 2004.
 

Aldo Naouri est le coauteur de l’émission de télévision en six épisodes Questions d’enfants , qui a été diffusée en prime time sur France 3 le samedi soir, six semaines de suite, en octobre 1999, ainsi que sur de nombreuses autres chaînes.
 
www.aldonaouri.com
© O DILE J ACOB , MAI  2021 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5564-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour et à Jeanne, mon épouse, in memoriam.
I. Hésitation

Le rêve de ce petit matin-là était opaque, particulièrement opaque. Non pas que ses images se fussent évaporées ou qu’elles eussent été effilochées. Elles étaient nettes et précises. Autant que l’étaient mon vécu, mes perceptions, mes réflexions et même les propos que j’avais entendus. Formellement parlant tout cela était parfaitement clair et même admirablement ordonné. Pourtant, l’ensemble était opaque. Et ça m’embêtait beaucoup. Car, entraîné depuis déjà presque sept ans à leur exploitation, j’avais une expérience respectable des rêves et de leur abord. Qu’ils eussent été les gardiens de mon sommeil ou qu’ils eussent constitué l’abord sinon l’accomplissement d’un de mes désirs, ils étaient toujours, et je l’avais vérifié, la voie royale vers l’inconscient.
Si la dynamique de ma cure bénéficiait à ce point de ma sensibilité à leur endroit et de l’excellente mémoire que j’en avais, c’est parce que les rêves entraient dans le cadre de ma culture d’origine. Dans ma famille, on racontait ses rêves. Il était fréquent qu’au petit déjeuner l’un ou l’autre d’entre nous dise tout naturellement : « J’ai fait un drôle de rêve, ou un rêve étrange, cette nuit », avant de marquer un silence dans l’attente que les uns ou les autres l’autorisent à poursuivre en prononçant le rituel et propitiatoire kheir ou chalom , bienfait et salut, dans notre idiome qui mêlait allègrement l’arabe et l’hébreu. Si, pour une quelconque raison, le manque de temps ou l’indisponibilité des auditeurs, la formule ne venait pas, le rêveur se taisait – ce qui arrivait fréquemment à mes pauvres sœurs moins considérées en tout point que mes frères et surtout ma mère. Mais, si elle était prononcée, il racontait son rêve. Les présents se lançaient alors dans des interprétations dont la règle consistait à faire du rêve, quels qu’en aient été les termes, un augure nécessairement bon. Nous ne faisions que partager la passion que notre environnement sinon notre espèce a toujours marquée pour les rêves. Leurs survenues et leurs interprétations occupent une grande place dans nombre de cultures et d’épopées. Chez nous qui étions imbibés du texte de la Torah, elles devaient provenir des rêves dont on sait l’importance dans le destin de Joseph ou dans celui de Daniel. Le Talmud insiste sur leur caractère prédictif, les considérant comme des lettres à ouvrir et à déchiffrer. Il rapporte à ce propos le témoignage d’un homme qui avait poussé le scrupule jusqu’à consulter pour un de ses rêves les vingt et un oniromanciens de Jérusalem. Tout en relevant que les vingt et une interprétations qu’il en avait recueillies étaient toutes différentes, il n’en concédait pas moins qu’elles étaient toutes justes.
Les rêves pour ma mère, comme cela l’était dans la tradition antique, se devaient donc d’avoir ce caractère prédictif. Et si la prédiction se devait d’être favorable, c’était sans doute pour atténuer l’angoisse dans laquelle le rêve, avec son caractère étrange et toujours frappant, devait jeter le rêveur. Quitte à manier ou à déformer le matériel, elle excellait toujours à trouver d’excellents augures qu’elle traduisait alors en des formules dont elle seule avait le secret. Au point qu’elle était considérée comme une excellente oniromancienne et qu’elle était consultée par tout le voisinage. Avez-vous rêvé d’un mort ? C’est qu’il prie pour vous et qu’il vient vous avertir que sa prière va être exaucée. D’un ennemi ? C’est qu’il se repent et qu’il va venir rechercher votre amitié. Vous êtes-vous rêvé menacé et poursuivi ? C’est de fait que vous allez crouler sous les avantages et les bénéfices. Quand le rêve révélait un bon augure, on s’en félicitait. Quand son texte était plus sombre, on en inversait la teneur. Comme si l’important était toujours d’avoir systématiquement des lendemains chantants.
Tout cela n’empêchait pas ma mère d’aller se rassurer auprès de la vieille madame Montabry, une voisine espagnole qui s’aidait de cartes pour affiner son déchiffrement, ou de Mokrane, un cheikh arabe dans la banlieue du bled, qui, lui, usait de cailloux, de plumes de pigeon et de dés. Combien de fois n’ai-je pas tenté de dénoncer sa démarche en lui démontrant, citations à l’appui, qu’elle était de l’ordre d’une superstition condamnée par la Torah ! Elle restait sourde à mes propos même si je les lui faisais confirmer par Dany, le deuxième de mes frères, réputé pour sa culture religieuse. Sans doute considérait-elle que je ne pouvais pas imaginer le poids de sa situation. Veuve ! Le veuvage est la pire épreuve qui puisse se vivre. Perdre son partenaire, c’est perdre quatre-vingt-dix pour cent de ce soi qui avait été déposé en lui et les quatre-vingt-dix pour cent qu’il avait déposés en contrepartie dans ce même soi. C’est n’avoir plus que ce misérable reste de dix pour cent condamnant à la survie. Quand cette survie est assortie par surcroît de la charge d’une famille nombreuse dans des conditions d’extrême précarité, il est impossible de ne pas s’inquiéter de l’avenir et de négliger ces messages oniriques prétendus le prévoir.
J’ai eu un soir, vers la fin de sa vie, à écouter ma mère évoquer avec des sanglots l’énorme culpabilité qu’elle continuait de ressentir de la seule fois, oui de la seule fois, où elle n’a pas eu la présence d’esprit de donner au rêve qui lui était rapporté l’interprétation favorable qu’il aurait dû recevoir. « Ton père, malade, m’a réveillée cette nuit-là pour me raconter le rêve qu’il venait de faire : devant la porte de sa chambre il y avait un cercueil ouvert et une voix lui intimait l’ordre de s’y coucher parce que c’était sa place. Et moi, pleine de sommeil et alourdie par mon gros ventre – j’étais enceinte de toi –, au lieu de lui dire au moins “ kheir ou chalom” , puis d’insister sur le fait qu’il s’agissait de l’annonce de sa très proche guérison, je l’ai jeté du lit en criant “Bramino, ton père m’embête, laisse-lui ton lit et viens prendre sa place”. » Les sanglots ont redoublé avant qu’elle ajoute : « Il est mort deux jours après. »
On n’oublie pas une narration comme celle-là dans laquelle on voit se nouer cruellement les fils de plusieurs existences. Mon père, Youssif, « est mort deux jours après », à l’âge de trente-six ans. Je suis venu au monde deux mois après son décès. Bramino, diminutif de Abraham, c’était mon frère aîné, allait sur ses dix-sept ans. Après lui venait Dany, diminutif de Yehouda, qui avait douze ans. Puis dans l’ordre, Ghita qui avait dix ans, Chaoul huit ans, Viola quatre ans et Yolanda deux ans. Ma mère, Bouba, n’avait que trente-quatre ans et j’ai longtemps tenté d’imaginer, pour expliquer sa propension à toujours se sentir victime d’un sort contraire, l’état dans lequel elle avait dû être, bourrelée de culpabilité et écrasée par sa charge et la misère. Il m’est souvent arrivé de penser à mes grands frères, surtout l’aîné, qui devaient être accablés eux aussi par leur responsabilité. Nous vivions alors à Benghazi, en Libye, d’où nous avons été chassés vers l’Algérie, en juin 1942, en raison de notre nationalité française. Notre sort, en Algérie, a mis longtemps, très longtemps à s’améliorer.
C’est ce fond de vécu, centré sur l’importance que ma mère a toujours marquée à l’endroit des mots et des rêves, qui m’a permis de comprendre la facilité avec laquelle, dans notre relation riche, complexe mais faite d’estime réciproque, elle a admirablement saisi l’intérêt de la démarche psychanalytique que je lui ai dit un jour avoir entreprise.
Alors que, lui ayant décrit le cadre et la discipline de la cure, je n’avais pas de mots dans notre langue commune pour désigner la spécialité du praticien que je consultais, elle, l’analphabète, vint à mon secours en le désignant comme tbib ettasnit , médecin de l’écoute. Je la sentais

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