Brins de mémoire
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Brins de mémoire , livre ebook

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Description

J'ai écrit Brins de Mémoire pour que mon père disparu me revienne et j'y suis arrivée. Leur vie n'était pas conquête, elle était effritement et dispersion d'après Georges Pérec. Celle de mon père l'était également. La nouvelle mon père s'est tu est un baume ayant la douceur du pardon, une paix en devenir. Mais j'ai cru naïvement que j'en aurai fini avec la Shoah. Le juif est inéluctablement rivé à son judaïsme d'après Lévinas et mon père le savait intimement. Pendant des années il s'est caché sous un châle de prières non pas en adéquation avec le Père mais avec lui-même. Il émanait de cet homme un Silence qu'il nous était impossible de briser et j'ai eu la faiblesse de croire que j'étais la seule qui aurait pu le rompre. Il a préféré disparaître que de se laisser amadouer, laissant un silence vrombissant comme le train qui l'a emporté.Son comportement suicidaire a donné naissance à ma colère qui a nourri ma vie de femme. La nouvelle Mon père s'est tu est la recherche de celui qui s'est éclipsé. Je l'ai retrouvé avant mon propre départ. Rencontre affectueuse et enfin intelligible. Mon père n'a jamais été aussi vivant. Dorénavant je suis là à son chevet. Enchaînée à son souvenir, celle d'une humanité exclue, je peux enfin partager avec lui, cet absent-présent, des brins de mémoire. Décidément je n'en aurai jamais fini avec la Shoah.

Informations

Publié par
Date de parution 25 janvier 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304045475
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Brins de mémoire


Agnès Buisson

2016
ISBN:978-2-304-04547-5
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
DU MÊME AUTEUR
Dessine-moi un wagon , Éditions le Manuscrit, 2013
 
 
© Éditions Le Manuscrit, 2016
EAN : 9782304045468 
 
 
Merci Viviane, ton aide m’a été précieuse.
Merci Eveline, ta présence m’a rassurée.
À tous les miens, ma lumière…
Avant-propos
 

 
Le 16 juillet 1942,
L’auteur, comme Blanche neige ou la Belle au Bois Dormant,
S’est endormie au creux de la forêt.
En se réveillant, elle a trouvé des champs
Parsemés de ronces et de silence.
Mais la vie l’attendait.
Chacune de ses parcelles était un émerveillement.
Elle les a parcourues, en enfouissant l’innommée.
 
Devenue bien vieille, elle se souvient.
Elle donne à entendre à qui le veut bien,
Des « brins de mémoires » qu’elle partage
Avec institutrices, professeurs, amis,
Et enfants… le Sel de cette Terre.
Ces rencontres restent pour l’auteur,
L’une de ses dernières raisons de cheminer.
Mon père s’est tu…
 

 
Son silence devient de plus en plus ample et bouleversant, au fil des décennies. Il m’assourdit. Je le porte en moi, lourd.
Enfant, il n’était pas en mon pouvoir de le rompre. Adolescente, je l’ai enfoui. Adulte, je l’ai rayé de ma mémoire. Vieillissante, si parfois j’osais l’évoquer, immédiatement des paroles acerbes le tuaient, paroles de mon frère et de ma mère. Pour eux, il était insupportable de se remémorer ce Silence.
Mon père aussi loin que je me souvienne était Silence.
 
Il s’est fixé dans ma mémoire sous l’aspect d’un jeune homme, par le truchement d’une photo, une seule. Rien avant et si peu de chose après. Une photo prise au temps où il vivait à Varsovie. Jeune dandy au visage fin, aux yeux doux, aux cheveux noirs bouclés et, déjà, au sourire triste. Il portait alors redingote noire au col de velours, bottillons vernis, et canne en acajou à pommeau d’argent. Il revenait du service militaire. Là-bas, tantôt rabroué par les cosaques du Tsar, tantôt humilié par les officiers polonais, il avait appris à se taire et à prêter le dos pour y recevoir des coups. En ce temps-là, pas de mansuétude pour les jeunes juifs lettrés ou non. J’imagine que c’est à cette période qu’il s’est nimbé de silence.
Plus tard, mon père fraîchement libéré, immergé dans sa ville en plein changement, vouait une reconnaissance immense à la Providence. Sa joie l’avait rendu aveugle à l’air du temps où soufflait la haine du juif, alimentée par la paupérisation de l’après-guerre. Le retour dans l’imprimerie familiale, le mettant à l’abri du besoin et la rencontre avec ma mère dont il était tombé amoureux fou, lui apporta enfin le bonheur.
Mes parents se marièrent en 1920. Ma mère, aux idées libertaires, nourrie par la révolution d’Octobre, aimait à me dire qu’elle l’avait épousé sans amour mais pour sa distinction, son calme et sa beauté. Et aussi par opportunité. N’était-elle pas une orpheline, sans dot, promise à un avenir tout tracé : épouser un vieillard, ou un veuf, affublé d’une kyrielle de gosses ? À cela, elle préféra une alliance, entre pondération et contestation.
 
Mon père travaillait donc dans l’entreprise familiale, dont il était à la fois le pilier et l’homme à tout faire et dont le salaire dépendait du bon vouloir du père. Le silence dans lequel il se murait déjà, équivalait à un acquiescement. Bien sûr, ma mère qui supportait mal cette soumission à l’autorité paternelle, ne se gênait pas pour lui en faire griefs.
J’imagine mon père, foulant les pavés de Varsovie après une journée de travail pour un salaire de misère, nourri par les promesses de son père. Je l’imagine angoissé à l’idée d’affronter sa femme qui ne manquera pas lui asséner des reproches. « Fils de bourgeois, incapable de nous nourrir correctement. T’as pensé au bébé qui va venir ? »
Je l’imagine le lendemain matin à l’aube dans l’imprimerie, quémandant une augmentation :
Comment un fils peut-il être aussi ingrat ? Tu oublies tes sœurs au « Gymnasium », ton frère dans une « Yeshiva [1]  », ta mère malade et ton vieux père…
Penaud, mon père retournait aux machines. Les livres en yiddish, en russe, en polonais, en allemand, en hébreu même, sortaient des rotatives, sous les yeux du fils aîné habité par le sentiment de n’être rien.
 
Après la naissance de leur fils, ma mère fut obligée – au grand dam de la belle-famille – de reprendre son ancien métier de modiste. La honte s’abattit sur son époux. Comment ce fils de riches, n’était même pas capable de subvenir aux besoins des siens !
Parfois à bout, il lui arrivait de quitter l’imprimerie sur un coup de tête pour se faire embaucher ailleurs. Mais vite rattrapé par le « qu’en dira-t-on » et la violence du patriarche, il finissait toujours par réintégrer le giron familial.
 
Il fallait survivre en tant que Juif à Varsovie où l’atmosphère devenait de plus en plus délétère. Passer inaperçu, ne pas se hasarder à prendre un tramway bourré de polonais, ne plus fréquenter l’opéra, accepter de vivre dans un appartement devenu exigu, débordant de cousins, d’oncles et tantes et je ne sais qui encore, tout un peuple fuyant les shtettels [2]  et leurs pogroms. Insupportable vie. Mais mon père continuait à rester sourd à tout, aveugle même.
 
Ma mère, quant à elle, voulait émigrer à Paris. Ses frères y étaient déjà. Elle tannait mon père jusqu’à le menacer de le quitter, ce dont elle était capable. Comment choisir entre l’imprimerie et sa famille d’une part et d’autre part sa femme et son enfant qu’il aimait par-dessus tout ?
On lui imposait la France, au fond c’était un moindre mal. Il en connaissait les droits de l’homme et se souvenait de la parole du Talmud : « Être heureux comme Dieu en France ». Mais de là, à envisager de tout laisser et partir vers l’inconnu… Aussi continuait-il à travailler sans laisser rien paraître, angoissé à l’idée d’être abandonné. En apnée.
Un jour, il accompagna sa belle-mère à Dantzig, port sur la Baltique d’où partaient les émigrés vers un monde meilleur . Laisse-moi l’imaginer, là sur le quai, regardant le paquebot se perdre dans les brumes du Nord.
Pourquoi émigrerait-il ? Qu’avait-il de commun avec ces pauvres gens, des bolcheviques, des communistes, des bundistes, des sionnistes, des illuminés en quelque sorte ? Dans l’amnésie du quotidien, il minimisait la montée de l’antisémitisme, ignorant le fossé se creusant entre son peuple et son pays la Pologne, pays aimé comme un enfant battu, attaché à son tortionnaire.
Là, sur le quai, il a froid. Il remonte le col de sa redingote, allume une cigarette et à cet instant, voit un inconnu s’approcher.
Si tu veux il me reste un billet et un visa pour la France. Une affaire…
Je sais que mon père confiant les a achetés sur un coup de tête. Laisse-moi espérer qu’il venait de faire le bon choix, celui du cœur…
Le lendemain à l’aube, il a pris la mer. Je le vois, appuyé sur le bastingage regardant sa terre s’éloigner. Il venait d’ériger un mur entre lui et sa famille, conscient de ne plus jamais la revoir. C’est alors qu’il s’est laissé envahir, habité même par le Silence, dense comme les brouillards givrants du Nord, douloureux comme une culpabilité incompressible.
Ce départ ressemblait certes à une fugue, à une fuite même. Mais ce n’était pas faute d’en avoir parlé à son père qui ne voulait rien entendre.
Comment un fils aîné pouvait-il les abandonner à l’indigence ? N’était-il pas l’orthostate du clan familial ?
Mon grand-père à bout d’arguments, l’avait menacé d’opprobre, l’avait damn

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