Ousselle ou l'itinéraire d'une femme peu ordinaire , livre ebook

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D'Allemagne en Suisse, petite fille fuyant la guerre aux côtés de sa mère, enfance et adolescence tarabustées, puis, son diplôme d'institutrice en poche, la jeune femme est engagée à la cour du Roi Hussein de Jordanie pour s'occuper des petits Princes. Ensuite, Bogota, Lima, et de plus en plus loin dans la jungle amazonienne où elle survit tant bien que mal avec ses enfants. Drogue, terrorisme, invasions, tout y est, mais aussi amitié, entraide, partage et la nature emplie de poésie.
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Publié par

Date de parution

26 octobre 2012

Nombre de lectures

3

EAN13

9782312005331

Langue

Français

Ousselle ou l’itinéraire d’une femme peu ordinaire
Eveline Gaille
Ousselle ou l’itinéraire d’une femme peu ordinaire
Tiré d’une histoire vraie







Les éditions du net 70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux
Du même auteur

Une femme inventée
À tire d’ elles
La petite fille au ballon rouge (également paru sous le titre L’une et l’autre)
Au creux de la main (sur iBooks)

















© Les Éditions du Net, 2012 ISBN : 978-2-312-00533-1
Chapitre N° 1 Née fille
Je suis née fille le 19 décembre 1940 à Leipzig en pleine guerre mondiale. À la grande déception de ma mère : c’est un fils, qu’elle entendait élever. Elle l’aurait appelé « Mario ». Ce fut mon père qui, depuis le front, eut l’idée de me prénommer « Catherine ». Si ma mère avait eu le loisir de réfléchir plus loin que l’arrondi de son ventre, elle aurait sans doute opté pour « Hildegard » ou « Trudel »…
Ma mère est allemande.
Mon père, lui, était un méli-mélo de nationalités multiples, déjà euro dans le sang et gitan de surcroît.
Mes grands-parents maternels m’ont accueillie telle que j’étais. Tout joyeux, ils ont décrété que j’étais le bébé de Noël arrivé un peu en avance.
Mon père étant utilisé à la guerre, ma mère a dû faire face, seule, ruminant sa déconvenue. Non seulement, elle n’avait pas obtenu le fils dont elle avait rêvé nuit et jour, mais elle se trouvait également sans emploi ni mari. Même lors du mariage civil, mon paternel brillait par son absence, tandis qu’un casque militaire soigneusement astiqué reposait sur la chaise libre à côté de ma mère, représentant solennellement le fiancé qui faisait défaut. C’était un officier allemand qui les a ainsi mariés, ma mère et le casque, à la demande expresse de mon grand-père. Car à l’époque, ça ne se faisait pas de se promener dans la rue le ventre en avant sans un époux dans les parages.
Entre bombardements et incendies, on vaquait à nos occupations quotidiennes comme on pouvait. Il arrivait que mes grand-parents s’éclipsent durant la nuit, deux ombres dans la campagne, ils chapardaient quelques patates, des betteraves, un chou. Parfois, traversant un poulailler, ils dénichaient deux ou trois œufs, oubliés ça et là. Ils ramassaient du bois aussi. Pour alimenter le vieux fourneau sur lequel mijotait un fond de marmite et autour duquel on essayait de se réchauffer.
Et ma grand-mère, qui avait été choyée toute sa vie durant, se tenait dans la file, digne et droite, souvent des journées entières, pour récolter au bout du compte trois fois rien en échange de ses tickets de ravitaillement.
Cela s’appelait survivre.
Un beau jour, j’avais sûrement cinq ans puisque j’allais déjà au jardin d’enfants avec toujours la guerre à mes trousses, un avion est sorti du ciel. Il est tombé complètement aplati au milieu du parc public, juste en face de notre maison. Heureusement, les sirènes s’étaient mises à hurler avant. Comme ça, tout le monde a pu galoper à la cave ou ailleurs et personne n’est mort dans le parc. Sauf le pilote évidemment. Il avait dû cuire à grand feu dans l’immense gerbe de flammes qui se dressait et essayait encore de manger le ciel.
Ma mère criait et m’arrachait le bras en courant, car je me retournais sans cesse, retardant notre fuite vers un abri. Cette gigantesque langue de feu derrière moi me fascinait. J’ignorais à cet instant que l’incident resterait gravé dans ma tête et ressortirait la nuit rien que pour m’empêcher de dormir.
Sous le choc de l’explosion, quelques bâtiments s’étaient écroulés et toutes les vitres du quartier étaient parties en éclats. Mais la vieille armoire que ma grand-mère gardait sur notre balcon tenait encore debout, malgré sa porte arrachée et ses vitres brisées. Heureusement, car ma grand-mère avait la manie de cacher des pommes sur le haut du meuble. On les a tout de suite mangées, elles étaient encore chaudes, presque cuites. Je trouvais cela délicieux. Et quand j’ai suggéré, gonflée d’espoir : « J’espère qu’un autre avion va tomber et cuire encore des pommes ! C’est si bon ! », ma mère a attrapé un fou rire.
Dans notre maison, nous avions désormais des fenêtres sans vitres en plein hiver. Pour fuir le froid et le vent glacial qui pénétrait dans les chambres, nous nous sommes réfugiés à la cave avec les possessions auxquelles on tenait le plus, entassées autour de nous. On cuisinait tant bien que mal sur de vieux réchauds. Les bougies se consumaient vite. Et il y avait souvent des coupures d’eau.
À ce rythme-là, ma mère perdait patience.
Elle décida de s’enfuir avec un convoi qui aidait les victimes de la guerre à rejoindre la zone américaine occupant l’autre côté de la frontière.
Mes grand-parents ont refusé de nous accompagner. Quitter la ville où ils avaient toujours vécu, c’était comme perdre tous leurs souvenirs à la fois et, sans passé à se mettre sous les yeux pour les jours à venir, ils auraient eu l’impression de ne plus très bien exister.
Mes grands-parents ne savaient plus rêver.
Chapitre N° 2 La fuite
- Dépêche-toi ! Avance ! Schnell, schnell ! lance ma mère à chaque pas.
Elle est nerveuse. Elle ne peut pas me tirer par la main. À cause de ses deux énormes valises qu’elle porte avec peine. Alors elle me bouscule, déplorant une fois de plus que je ne sois pas un garçon.
Nous parvenons quand même à la gare.
Les quais sont noirs de monde. Nous avançons péniblement, zigzagant entre les innombrables queues de voyageurs, quand soudain, un soldat russe se dresse devant nous et, sans me demander mon avis, m’arrache à la marée de fesses et de ventres dans laquelle je me débats, proche de l’asphyxie. Le brave homme a sans doute voulu par la même occasion me faire entrevoir le monde d’en haut.
Mais je ne le vois pas de cet œil. Je me tortille dans tous les sens pour essayer de me dégager, et crie :
- Méchant Russe ! Méchant soldat !
C’est le refrain à la mode.
Surpris, le soldat me repose à terre et se rabat sur ma mère. Sans un mot, néanmoins très fair-play, il lui prend ses bagages et nous ouvre le chemin dans la foule jusqu’à notre train ou plutôt l’ombre de celui-ci tellement il est détruit de partout.
Juchée sur nos deux valises, je serre contre moi mon nounours qui a failli rester sur le carrelage de la cuisine. Ma mère ne voulait pas que je l’emporte. « On est déjà trop chargées ! » gémissait-elle. Mais ce nounours, c’est mon frère, mon ami, je lui ai confié toute ma vie et même si je n’ai que cinq ans, ça fait un bail. C’est peut-être la guerre qui, à force d’animation et d’émotion, fait compter double ou quadruple les années qui passent. Pour finir, grâce à mes grand-parents intervenus en ma faveur, nous sommes parties, ma mère et moi, elle portant stoïquement ses deux malles et moi un sac sur le dos avec dans la poche extérieure toute la responsabilité des papiers administratifs, et bien sûr, mon nounours calé sous un bras. C’était l’essentiel.
Ma mère m’ordonne brusquement :
- Ne bouge surtout pas de là. Je reviens tout de suite !
Et sans autre explication, elle tourne les talons. Je la regarde qui s’éloigne, mais très vite, d’autres gens la couvrent. Je ne la vois plus.
Au bout d’un moment, le temps c’est long, surtout quand il faut attendre sans remuer. Je pêche un à un dans mon sac mes petits animaux en bois que je dispose sur les trois marches du wagon stationné juste en face de moi, exactement à la bonne hauteur. Je m’amuse bien. J’en oublie ma mère, certainement perdue dans la cohue à l’heure qu’il est.
Tout à coup, un bruit strident me vrille les tympans.
Quand je réalise que c’est le coup de sifflet qui annonce le départ du train à vapeur, il est trop tard. Les violentes trépidations secouent impitoyablement mes petits animaux qui perdent l’équilibre et tombent entre les rails. Au même instant, le train s’ébranle. Je me mets à pleurer. Lorsque le dernier wagon a enfin fini de passer, je me jette à plat ventre sur le quai et plonge les mains dans le vide. La tête en bas, je tends les bras, essaie d’agripper mes jouets. En vain.

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