Dans l'ombre du Corbusier

Noël Jouenne

Description

Le quartier de Firminy-Vert est un quartier singulier, ceint de quatre oeuvres attribuées à Le Corbusier. L'oeuvre de l'architecte, célébrée en vue de la faire accéder au rang du patrimoine mondial, laisse planer une ombre qui masque la perception des vies ordinaires du quartier. L'enquête ethnologique qui débuta au Corbusier, dernière unité d'habitation, s'est déplacée afin d'observer et d'écouter les locataires d'un habitat collectif ordinaire dont la vie s'estompe derrière le feu sacré du patrimoine Le Corbusier...

Sujets

• Sociologie urbaine
• Aménagement du territoire
• Anthropologie
• Urbanisme
• Ethnologie
• Civilisation

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 mai 2007
• Nombre de lectures: 43
• EAN13: 9782336277752
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Questions Contemporaines
Collection dirigée par J.P. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland

Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines » n’ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines » est d’offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective.
Dernières parutions
Jean-Jacques PROMPSY, Traité des corruptions , 2007.
Mohamad K. Salhab, Éducation et évolution des savoirs scientifiques , 2007.
P. LEPRETRE, B. URFER, Le principe de précaution. Une clef pour le futur , 2007.
Ibrahima SARR, La démocratie en débats , 2007.
Cyril LE TALLEC, Sectes pseudo-chrétiennes , 2007.
Julien GUELFI, Non à l’euthanasie , 2007.
Sébastien ROFFAT, Disney et la France. Les vingt ans d’Euro Disneyland , 2007.
Francis JAUREGUYBERRY, Question nationale et mouvements sociaux en pays basque, 2007.
Sébastien BRUNET : Société du risque : quelles réponses politiques, 2007.
Jacques MERAUD, Réinventer la croissance, 2007.
Nils ANDERSSON, Daniel IAGNOLITZER, Vincent RIVASSEAU (dir.), Justice internationale et impunité, le cas des États-Unis, 2007.
Dan FERRAND-BECHMANN (dir.), L’engagement bénévole des étudiants, 2007.
Philippe HERBAUX, Intelligence territoriale: repères théoriques, 2007.
Henri GUNSBERG, Une démocratie en trompe-l’œil, 2007.
Olivier PINOT de VILLECHENON, Pourquoi changer la V ème République ?, 2007.
Dans l'ombre du Corbusier
Ethnologie d'un habitat collectif ordinaire

Noël Jouenne
L’Harmattan
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
www.librairieharmattan.com [e-mail] [e-mail]
© L’Harmattan, 2007
9782296033108
EAN : 9782296033108
« Débarrassée d’entraves mieux qu’auparavant la maison des hommes maîtresse de sa forme s’installe dans la nature Entière en soi Faisant son affaire de tout sol Ouverte aux quatre horizons Elle prête sa toiture A la fréquentation des nuages Ou de l’azur ou aux étoiles Arrivée, regardez la chouette. Venue d’elle-même ici Se poser Sans qu’on l’ait appelée»
(Le Corbusier extrait de Le poème de l’angle droit (1955), fondation LC, 1989 Ed. Connivences)
Plan-masse du quartier de Firminy-Vert, années 1950, « Opération Firminy-Vert» 1070 logements

source: OPHLM de Firminy
INTRODUCTION
La ville de Firminy offre un aspect assez intéressant de la problématique du bâti des années 1950 à 1980. L’arrivée à la mairie d’Eugène Claudius-Petit, ancien ministre de la Reconstruction, a permis un développement urbain à la mesure des ambitions de l’homme politique. Après avoir conçu et planifié l’urbanisme moderne du quartier de Firminy-Vert, dont il sera question ici, Eugène Claudius-Petit marque d’une pierre décisive l’histoire de Firminy, en invitant Le Corbusier à réaliser un ensemble architectural qui compte aujourd’hui parmi les plus caractéristiques de son œuvre. Outre le stade et le centre culturel, on y compte une unité d’habitation — trois unités à l’origine devaient être construites — et une église aujourd’hui terminée quarante ans après la mort de l’architecte.
Après être resté près de deux ans au contact de la population appelouse 1 de l’Unité d’habitation de grandeur conforme 2 il m’a paru essentiel de réorienter ma recherche sur un autre type d’habitat collectif, plus conventionnel, plus ordinaire, afin de permettre d’établir une comparaison. Les écarts perçus durant ma recherche m’ont laissé penser que la vie au Corbusier 3 n’était pas tout à fait la même que dans d’autres immeubles plus ordinaires. Une argumentation basée sur l’observation à long terme et l’immersion ethnologique me permet aujourd’hui d’en saisir l’acuité ethnographique.
Beaucoup de faits quotidiens viennent conforter cette « intuition ethnologique » qui ne pouvait trouver son sens que dans une comparaison effective. Dans le même temps, la ville de Firminy se penchait sur la constitution d’un dossier de classement en ZPPAUP 4 de la zone de Firminy-Vert 5 , afin de donner à cet ensemble une «valeur historique» au sens où l’entend Daniel Fabre [Fabre, 2000]. Ce dossier est venu conforter celui de demande de classement au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO du patrimoine Le Corbusier. Or, un constat singulier montre l’état de pauvreté des études ethnographiques. Il n’existe que très peu voire aucune collecte sous la forme de récits de vie. Dans ces démarches patrimoniales, la parole des habitants n’est pas prise en considération. Pourtant, la collecte de la mémoire — source unique entrant dans la constitution du patrimoine culturel et social — est à mes yeux un élément incontournable pour une prise en compte globale de l’histoire et des habitants d’un lieu.
Aussi, il me semblait important de pouvoir rattacher cette étude à une problématique plus large, plus politique, où l’habitant est invité à s’inscrire dans une démarche de « démocratie participative » au titre des échanges qu’il concède au chercheur.
Bien que les intentions premières ne soient pas purement liées à la constitution du dossier de ZPPAUP 6 , les éléments contenus dans cet ouvrage ne peuvent que l’accompagner. Car en fin de compte, par son travail minutieux de collecte, l’ethnologue participe, lui aussi, à la constitution et à la validation, bref, à la fabrication d’un patrimoine.

UN POINT SUR LES METHODES
A partir d’une lecture de Paul-Henri Chombart de Lauwe, Thierry Paquot énonce que «la vie quotidienne d’un habitant ne peut être appréhendée à partir d’une seule échelle, il convient de s’intéresser, avec la même minutie, au cadre régional qu’à celui du quartier, à l’arrondissement qu’à la rue » [Paquot, 2000]. Vaste programme ! Mais n’oublions pas que Chombart de Lauwe ne travaille pas seul et que ces enquêtes sont menées sur plusieurs années. Il sait déployer une cohorte de scientifiques, qui donnera naissance à quelques innovations, notamment dans le domaine des statistiques [Jouenne, 2005b].
Que ce soit en ethnologie sociale ou en anthropologie urbaine, la discipline méthodologique impose les mêmes principes, à savoir: la durée et l’ouverture d’esprit. La durée est incontournable, car d’elle dépend, pour une grande part, l’établissement d’un «contrat de confiance » entre l’enquêteur et l’enquêté. Ainsi, il faut marquer sa présence de manière à être reconnu sans pour autant passer pour un importun. Nulle n’est besoin d’assurer une présence quotidienne, car celle-ci finirait par agacer les acteurs sociaux qui se verraient conduits à n’être que les « objets » d’étude. Au contraire, la patience et la discrétion sont reines dans le registre de l’ethnologie urbaine.
Face à l’arrivée d’un ethnologue, surtout dans un milieu populaire, les habitants ont tendance à essayer de paraître à leur avantage. Certains sont serviables et pensent aider le chercheur en devançant ses attentes, alors qu’il cherche au contraire à saisir le banal et le quotidien des vies somme toute banales et quotidiennes.
Quant à l’ouverture d’esprit, le travail sur l’Unité d’habitation Le Corbusier que j’ai poursuivi parallèlement me permet de me situer sur l’échelle historico-géographique de la région. Depuis 1965, même si ce rythme a connu une accalmie durant le mandat municipal communiste de 1971 à 2001, Firminy vit au rythme de la patrimonialisation de l’œuvre de Le Corbusier. Cette patrimonialisation se distille dans les artères de la ville. Aussi, il est impératif d’avoir en tête que la ville n’est pas une ville ordinaire lorsque l’on arpente les quartiers et que l’on aborde les gens.
Mes observations commencent souvent par une visite du quartier. Lorsque je viens en train depuis mon domicile, le trajet depuis la gare me permet une immersion à travers la ville, et de voir, au détour d’une rue, tel ou tel habitant que je finis par reconnaître. Je peux ainsi observer les habitudes quotidiennes à l’extérieur du quartier de Firminy-Vert. Cela me permet aussi un temps de réflexion seul dans le