Échange
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Description

Entre Marcelle et Marie, il y a plus qu’un océan. Les croyances, les niveaux de vie, les préoccupations de chacune ne peuvent a priori être identiques, puisque l’une grandit dans un confortable Canada chrétien, alors que l’autre survit dans un Sénégal musulman frappé par la misère et la sécheresse. Et pourtant, malgré tous ces déséquilibres, les deux adolescentes nouent une amitié épistolaire qui va permettre à Marcelle d’aider sa correspondante confrontée à d’importants problèmes familiaux... Toutefois, le malheur n’a pas de terre privilégiée, et c’est bientôt cette même Marcelle qui voit son avenir remis en question suite à un accident, attirant à elle l’amour de ses proches, mais aussi la compassion de son amie sénégalaise... Sur fond de cheminement spirituel, avec tous les cahots que celui-ci suppose, "Échange" suit une décennie d’amitiés entre une Canadienne et une Sénégalaise qui, par-delà les distances, se soutiennent, s’épaulent, s’encouragent, s’inspirent réciproquement, renforçant constamment les liens qui les unissent. À travers les mots et les interrogations qui se croisent et se répondent au sein de cette œuvre polyphonique, René Leclerc dresse les portraits de jeunes filles puis de femmes qui cherchent leurs voies au milieu des embûches posées par l’existence. Un texte qui vibre de charité, d’humanisme, d’espoir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748375374
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Échange
René Leclerc
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Échange
 
 
 
La valeur de l’ échange se mesure  au degré de l’oubli de soi.
 
 
 
 
 
 
 
J’ai choisi Marie d’un lointain pays d’Afrique dont je ne connais que le nom.
Le professeur nous avait donné plusieurs suggestions de correspondante. Cependant, mon nom de famille, Vincent, m’imposa le dernier choix : Marie Adibe Goley, du Sénégal.
Je n’étais pas très enthousiaste à l’idée d’entreprendre une correspondance avec une inconnue, et cela pour une multitude de raisons. D’abord, parce que l’on nous avait imposé cette tâche, que cette correspondance serait évaluée et notée, que je n’avais à peu près jamais écrit une lettre sérieuse de ma vie, que je n’avais rien à dire et qu’enfin je ne sentais pas le besoin de parler de moi-même à une étrangère qui, j’en suis sûre, ne me comprendrait pas.
C’est donc dans cet état d’esprit que j’entrepris de composer ma première lettre.
(Je vous donne la version finale, produit de trois ébauches et d’autant d’interventions de correction de mon professeur et l’attribution d’une note de 13/20.)
 
 
 
 
 
 
 
Gatineau, le 5 septembre 1961
 
Chère Marie,
Le hasard t’a désignée ma correspondante lors d’un tirage au sort. Je ne connais que ton nom et celui de ton pays. J’aimerais bien cependant que cet échange de lettres nous aide à mieux nous comprendre et à profiter des différences qui nous séparent.
Je fréquente présentement l’école secondaire Monseigneur de Mazenod de Gatineau, ville située non loin d’Ottawa, capitale du Canada. Je viens d’avoir quinze ans et j’entre dans ma troisième année du secondaire. Je ne suis pas tellement douée pour les mathématiques et les sciences, c’est pourquoi j’ai décidé de m’orienter vers l’enseignement de la géographie ou de l’histoire ou encore de la littérature française. Je n’ai pas encore choisi. Heureusement, il me reste encore deux ans pour me décider.
Je suis l’aînée d’une famille de trois enfants : un frère, Julien, et une sœur cadette, Anne. Ma mère travaille en qualité d’agente de bureau pour le compte du ministère du Revenu du Québec, et mon père, agent de prêt à la Banque nationale du Canada.
Mes loisirs se limitent à la lecture et à quelques sports comme la natation, le tennis et beaucoup de bicyclette. Dans une autre lettre, je te décrirai plus en détail, si tu le veux bien, mes activités quotidiennes et ma famille.
Voilà un peu de moi. J’ai bien hâte de te lire et de te connaître davantage.
 
Marcelle
 
 
 
Passée au laminoir de mon professeur, ma lettre avait perdu une partie de sa personnalité.
Je détestais au plus haut point qu’on m’obligeât d’ouvrir mes lettres et d’en dévoiler le contenu aux autres. C’est, selon moi, une pure violation de mon intimité. Pour la même raison, je ne pourrais jamais pardonner à celui qui oserait ouvrir mon journal personnel. C’est un vol au même titre que d’entrer par effraction dans une résidence privée. On ne force personne à partager ses secrets. Cette discrétion a guidé toute ma vie et ce respect de l’intimité des autres m’a été largement rendu.
Je ressentais un certain soulagement d’avoir terminé ma lettre et de l’avoir enfin expédiée. Je ne voyais pas tellement d’avantages à correspondre avec une personne si lointaine, si différente, que je ne verrais peut-être jamais. J’avais du mal à saisir la pertinence de lui raconter les banalités de ma vie ou de lui faire part de mes sentiments, à mes yeux, sans grand intérêt. D’ailleurs, j’éprouvais une certaine aversion à parler de moi-même, sans doute parce que je n’espérais aucune compréhension des autres à mon égard.
Les conversations que je tenais avec mes prétendues amies se situaient, la plupart du temps, sur un plan impersonnel. Elles me confiaient, à l’occasion, leurs secrets, ce qui me laissait le plus souvent totalement indifférente. De toute façon, je ne savais que faire de leurs confidences qui, la plupart du temps, tournaient autour de leur béguin pour tel ou tel garçon de la classe. Aujourd’hui, l’euphorie et l’amour fou. Demain, les larmes et les déceptions.
Je me prêtais, toutefois, de bonne grâce à cet exercice qui représentait une occasion de me familiariser avec le style épistolaire et d’ouvrir mes horizons au cas où je déciderais, un jour, de m’orienter vers l’enseignement de la géographie.
L’Afrique me laissait l’image d’un pays inaccessible tant par son éloignement que par sa culture. On entretenait secrètement, dans mon milieu familial, certains préjugés à l’égard des Noirs. Je n’en avais jamais vu de « vivant » et je ne pouvais m’imaginer engager une conversation avec l’un d’eux.
Il est clair qu’au plus profond de soi, on associait d’emblée le monde noir à l’esclavage, à la pauvreté, aux révoltes et aux histoires d’horreur des bas-fonds d’Harlem. De son côté, l’Église d’alors ne nous aidait guère, à cet égard, à modifier notre perception ou nos préjugés. Elle s’acharnait à nous répéter que les Noirs avaient une âme comme nous (certains prêtres allaient même jusqu’à dire « blanche »), qu’ils étaient des gens « normaux », qu’il fallait les accepter tels qu’ils étaient. Toutefois, on se gardait bien d’encourager quelque amitié avec eux.
C’est donc dans cet esprit des plus « positifs » que j’attendais la réponse de ma correspondante d’Afrique. Elle arriva un mois et demi plus tard au moment où j’avais déjà classé ce souvenir loin dans ma mémoire.
 
 
 
 
 
 
L’enveloppe, « par avion », portait de nombreuses oblitérations sur les trois gros timbres multicolores où apparaissait « Sénégal, Afrique ». Elle avait mis trois semaines à me parvenir. Mon nom, en majuscules, avait été fignolé avec un très grand soin, ce qui m’étonna et m’impressionna à la fois.
J’ouvris en prenant soin de ne pas briser les timbres « rares » qui, j’en étais sûre, occuperaient une place de choix dans la collection de ma sœur, Anne. Il n’y avait qu’une seule feuille mais bien remplie, – il était évident qu’on l’avait fait par souci d’économie –, et ne comportait, à ma grande surprise, aucune rature.
J’eus un léger frisson à l’idée que cette lettre avait vu le sable du Sahara et connu la brûlure du soleil de là-bas. Je me rendais également à l’évidence que malgré la distance et les différences marquées de ce pays, on utilisait la même langue et qu’en conséquence on pouvait se comprendre.
Poussée par la curiosité plus que par le désir de connaître ma correspondante, je m’empressai de parcourir les premières lignes.
 
 
 
 
 
 
 
Thiès, le 12 octobre 1961
 
Chère Marcelle,
Je n’ai reçu ta lettre qu’hier. Il a fallu compter trois semaines avant qu’elle ne franchisse l’océan et ne parvienne jusqu’à moi. Je fus doublement surprise de recevoir une lettre à mon nom et du Canada.
J’ai eu quinze ans en mai (plus précisément le 24 mai ; donc Gémeaux, si l’astrologie t’intéresse). Je suis la troisième enfant d’une famille de huit, trois frères et quatre sœurs. Je fréquente l’école normale William Ponty de Thiès depuis deux ans. J’ai perdu une année d’école primaire à cause d’une longue maladie de Maman. Étant l’aînée des filles, j’ai dû m’occuper de toute la famille. J’ignore encore si je poursuivrai mes études encore longtemps. Étant fiancée à l’un des petits-cousins de Maman, je devrai penser bientôt au mariage et à subvenir aux besoins de ma famille qui compte présentement dix-neuf personnes, dont mes grands-parents maternels et paternels, et un de mes oncles avec ses deux épouses et ses deux fils.
Nous demeurons en banlieue de Thiès (situé à environ soixante kilomètres de Dakar), dans trois maisonnettes (genre paillotes) entourées d’une haute muraille. Papa prévoit y bâtir une autre en prévision de mon mariage. De par le Coran, nous devons garder nos parents jusqu’à leur mort. Ça ne représente pas pour moi une tâche très ardue !
Même si je ne te connais pas encore beaucoup, Marcelle, je suis très heureuse de t’avoir comme correspondante. Je suis sûre que j’ai beaucoup à apprendre de toi, de ta vie, de ta famille et de ton pays (on nous dit beaucoup de bien du Canada…). J’ai déjà hâte de te relire. Il va falloir vaincre le temps qui impose à nos pensées des délais si longs d’expédition.
 
Marie
P.-S. N’oublie pas de m’envoyer ta photo .
 
 
 
 
 
 
 
J’ai relu plus d’une fois la lettre de Marie, pour tenter de découvrir ce qui s’y cachait.
Je venais soudain de franchir les frontières de mon « univers » et d’ouvrir une porte sur un monde si différent, dont les valeurs m’étonnaient. En plus de piquer ma curiosité, cette lettre me révélait une personne d’une maturité surprenante. Pourrait-on penser ici bâtir une famille à quinze ans et envisager le soutien de vingt personnes ? Je fus également très sensible à l’égard qu’elle me manifestait, tout en réalisant que pour la première fois de ma vie, quelqu’un s’intéressait à moi comme personne et désirait partager mes expériences de vie pourtant si courtes.
Ma première démarche fut de chercher une photo de moi. Je ne la voulais pas trop grande – correspondante au format de mon enveloppe – sobre, mais la plus représentative de ce que j’étais alors. J’avais le choix d’une bonne dizaine de photos récentes.
Après un long processus d’élimination, j’ai finalement arrêté mon choix sur celle de mes quinze ans. J’apparaissais jusqu’à la taille, portant une blouse de soie blanche, retenue au cou par un petit lacet de velours noir noué en boucle. Quoique franc, mon sourire était quelque peu énigmatique

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