Expérience du temps et historiographie au XXe siècle : Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumont
252 pages
Français

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Expérience du temps et historiographie au XXe siècle : Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumont , livre ebook

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Description

Dans cet ouvrage, Daniel Poitras analyse les relations complexes entre l’historiographie et l’expérience du temps au XXe siècle en se penchant particulièrement sur la vie et l’œuvre de trois penseurs emblématiques de la France et du Québec : Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumont. Dès lors, il inter­roge l’ancrage de l’historien dans sa société et l’évolution de son rapport au passé et au futur. Le lecteur suit ainsi la trajectoire de ces auteurs arrivés à la vie intellectuelle pendant les années 1950 – alors que l’Histoire était encore synonyme de progrès – et qui ont vécu les bouleversements du siècle. De l’entre-deux-guerres à la guerre d’Algérie, de la Révolution tranquille à la crise d’Octobre, en passant par Mai 68 et la chute du communisme, ils cherchent à trouver le sens de cette « crise du temps » et, ce faisant, nous offrent des clés uniques pour comprendre notre propre relation à l’histoire au XXIe siècle.
Ce livre s’adresse tout autant aux spécialistes qu’aux amateurs que pourrait intéresser l’itinéraire de trois des plus importants penseurs de l’historiographie dans le monde francophone.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 avril 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782760638891
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Daniel Poitras
Expérience du temps et historiographie au XX e siècle
Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumont
Les Presses de l’Université de Montréal


Mise en pages: Yolande Martel ePub: Folio infographie Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Poitras, Daniel, 1980-, auteur Expérience du temps et historiographie au xx e siècle: Michel de Certeau, François Furet et Fernand Dumond / Daniel Poitras. (Espace littéraire) Présenté à l’origine par l’auteur comme thèse (de doctorat – Université de Montréal), 2013 sous le titre: Régime d’historicité et historiographie en France et au Québec, 1956-1975. Comprend des références bibliographiques. Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). isbn 978-2-7606-3887-7 isbn 978-2-7606-3888-4 (PDF) isbn 978-2-7606-3889-1 (EPUB) 1. Histoire – Philosophie – Histoire – 20 e siècle. 2. Temps (Philosophie). 3. France – Histoire – 20 e siècle – Historiographie. 4. Québec (Province) – Histoire – 20 e siècle – Historiographie. I. Titre. II. Collection: Espace littéraire. D16.9.P64 2018    901    C2018-940200-8 C2018-940201-6 Dépôt légal: 2 e trimestre 2018 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2018 Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. es Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).




Introduction
« On ne dira jamais assez que les morts, dont l’histoire porte le deuil, furent des vivants 1 . »
–Paul R icœur
Il est difficile, à notre époque, de comprendre l’importance de l’Histoire avec un grand H. Un peu comme la sorcellerie et les envoûtements que rencontraient les missionnaires chrétiens au Nouveau Monde, cette Histoire nous apparaît étrange, irréelle, presque une superstition. Il est tout aussi difficile d’imaginer que des peuples se sont mobilisés et que des individus se sont et ont été sacrifiés en son nom. Né en 1980, l’année de la mort de Jean-Paul Sartre et de l’échec du premier référendum sur l’indépendance au Québec, je n’ai connu que cette période de l’après, caractérisée par les discours sur les fins de toutes sortes: de l’idéologie, de la modernité, de l’utopie, du projet socialiste, du projet indépendantiste… Et j’ai bientôt découvert que l’après, ce serait en fait un maintenant sans concession, un présentisme sur lequel fleuriraient les post exacerbés – et pas seulement ceux sur les médias sociaux –, des univers postapocalyptiques de nos productions culturelles.
Cette Histoire apparemment enterrée continue pourtant de hanter notre époque, n’en déplaise aux prophètes des tribus postmodernes, qui espèrent un réenchantement du monde grâce à un présent libéré du futur. Les témoignages de cette hantise abondent; il suffit de mentionner les vagues continues de lamentations sur l’idée de progrès, les essais sur la perdition dans le temps (qui va «trop vite»), les manuels pour exalter le risque, les bilans dithyrambiques ou vitrioliques sur les Trente Glorieuses, le regret du manque de politiques ambitieuses et «décomplexées», les promenades folkloriques dans les sixties , les élans électoraux et postélectoraux envers ceux qui prophétisent les grandes marches en avant, etc.
À moins que nous ne soyons déjà ailleurs , pris dans un enchaînement impossible, pour le moment, à nommer? Les débuts se lisent mal et il est difficile d’être contemporain de son époque. Dans un discours récent au Collège de France, l’historien médiéviste Patrick Boucheron témoignait bien de cette incertitude qui prend de plus en plus la forme, ces dernières années (indice significatif?), d’une impatience:
Comment se résoudre à un devenir sans surprise, à une histoire où plus rien ne peut survenir à l’horizon, sinon la menace d’une continuation? Ce qui surviendra, nul ne le sait. Mais chacun comprend qu’il faudra, pour le percevoir, être calme, divers, et exagérément libre 2 .
Comment, en effet? On se doute que «se résoudre» n’est qu’un pis-aller en attendant autre chose. À moins – il faut bien faire face à cette éventualité – qu’il s’agisse d’une attente anachronique comme il y en a eu tant dans le passé. La fixation sur l’Histoire et ses bruyants ou pâles avatars serait-elle donc une nostalgie portée par un certain nombre de déshérités incapables de faire leur deuil et qui attendent l’improbable restauration d’un ancien régime (d’historicité)? Ou encore, les processus de la modernité, leur rythme, leur accélération et leur prégnance dans la plupart des sphères de la société et de la vie quotidienne, seraient-ils à ce point naturalisés qu’il ne serait plus possible d’aborder la matrice d’historicité qui, depuis deux millénaires au moins, les a rendus possibles?
Une saine nostalgie aurait dès lors pour objet non pas tel moment de cette modernité conquérante, non pas cette Histoire monstrueuse au nom de laquelle tout semblait permis, mais l’horizon des possibles qui caractérisait les périodes où elle s’imposait. Si c’est le cas, l’une des pratiques historiennes par excellence, celle de décortiquer les téléologies qui posent un seul cheminement et une seule finalité possible, déboucherait alors sur une réouverture du passé et, par un enchaînement qui doit être pensé et activé, du présent et de l’avenir.
Ces questionnements ont aiguillonné cet ouvrage qui traite d’une période (1955-1975) où tout a basculé sur le plan de l’historicité. La problématique est ample, mais les entrées sont plus restreintes, puisque je me situe à hauteur de trois contemporains, au plus près de leur expérience du temps. Celle-ci est l’outil conceptuel pivot de l’histoire croisée que je propose d’établir afin de naviguer entre différents itinéraires, différentes phases du régime d’historicité, différentes collectivités (la France et le Québec) et différents registres (mondain et scientifique). Le caractère exploratoire de l’ouvrage nécessite donc d’abord et avant tout une mise au point afin de cadrer la terminologie utilisée et de préciser la méthode que j’emploierai.
L’expérience du temps
Cet ouvrage combine quatre niveaux d’analyse, la biographie intellectuelle, les lieux d’attente, le régime d’historicité et l’historiographie, et prend pour objets deux historiens français (Michel de Certeau, François Furet) et un sociologue-historien québécois (Fernand Dumont). S’il n’est pas habituel de voir ces trois chercheurs côte à côte, ils partagent néanmoins plusieurs traits: nés entre 1925 et 1927, ils appartiennent à une même génération intellectuelle, ils ont appartenu et participé à des groupes similaires et parfois reliés sur le plan idéologique ou institutionnel, et ont surtout écrit et pensé l’histoire tout au long de leur vie, produisant chacun l’une des rares œuvres historiographiques et épistémologiques dans le monde francophone. L’ouvrage ne traite cependant pas en premier lieu de la comparaison d’itinéraires intellectuels. Ceux-ci sont le prétexte à une tout autre histoire.
Le fil rouge qui traverse l’ouvrage est l’expérience du temps, à laquelle sont associées des catégories comme le champ d’expérience et l’horizon d’attente , ainsi que des outils conceptuels comme le régime d’historicité , le transfert d’attente et le lieu d’attente . L’expérience du temps peut être interprétée de plusieurs façons: le philosophe, l’anthropologue, le sociologue, le physicien, le littéraire, pour ne nommer que ceux-là, utilisent tous le «temps» d’une façon particulière qui renvoie à leur champ disciplinaire 3 . Si l’historien en fait une utilisation variée et rarement théorisée 4 , il s’intéresse en général à la diachronie et aux transformations de l’expérience dans l’ histoire , au contraire du sociologue qui se penche plutôt, dans une perspective synchronique, sur les temporalités sociales (temps de travail, de loisir, etc.). Les travaux sont de plus en plus nombreux, cependant, qui jouent sur ces deux tableaux, comme ceux d’Hartmut Rosa qui s’intéresse à l’accélération du temps en se penchant sur les «structurelles temporelles» de la société, tout en ménageant une place aux expériences du temps historiques. Rosa souligne avec justesse:
Les approches centrées sur l’analyse du temps ont un avantage majeur quand il s’agit d’aborder les questions soulevées par la théorie sociale: les structures et les horizons temporels sont un, voire le , point de jonction entre perspectives du système et perspectives des acteurs 5 .
C’est justement pour étudier ces horizons et cette perspective des acteurs que Reinhart Koselleck a proposé une approche, celle de la sémantique des temps historiques, afin d’analyser les textes qui articulent le passé, le présent et le futur 6 . Le présent ouvrage doit beaucoup à cette approche, même si son objectif est moins théorique: je n’approfondis pas, par exemple, l’histoire et le sens des concepts pour en faire une généalogie à l’aide de l’histoire intellectuelle. Je m’intéresse en revanche aux fluctuations sémantiques de certains mots et expressions qui mettent sur la piste d’une transformation des expériences du temps. En se penchant sur des notions telles que «révolution» ou «république», dont l’utilisation avant et après la Révolution française diffère considérablement, Koselleck a montré que les mêmes mots peuvent être chargés différemment selon la phase du régime d’historicité. Pour reprendre l’exemple de révolution, je montrerai que son utilisation au début des années 1960 – avec des épithètes comme «économique» ou «technique» – ne renvoie pas à l’attente d’un «grand soir», comme celui anticipé au cours des années 68,

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