Itinéraire d un arabisant
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Description

« J’ai pensé qu’il me fallait participer à la connaissance d’un monde arabe qui nous avait tant donné en ses vieux jours. Tel fut mon rôle, ou du moins tel que je l’ai voulu, de transmetteur, de passeur. » A. M. Le récit passionnant d’une vie consacrée à la transmission du savoir. André Miquel, écrivain, a été professeur au Collège de France et également son administrateur. De plus, il a été administrateur général de la Bibliothèque nationale. Il a publié aux éditions Odile Jacob : L’Événement. Le Coran : sourate LVI, D’Arabie et d’Islam, Deux histoires d’amour. De Majnûn à Tristan, Tristan et Iseut d’après Joseph Bédier, Le temps se signe à quelques repères et Chateaubriand. Mémoires d’outre-tombe. Instants de lecture choisis et présentés par André Miquel. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 novembre 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738157539
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, NOVEMBRE  2021
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5753-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Claude.
Préambule

Qui dit itinéraire dit route tracée avec le minimum de repères imposés ou choisis, qui dit cursus juge un trajet à partir de son terme et selon des critères autant que possible constants. Rien de tout cela dans les pages qui suivent, bien au contraire : un tracé long à se dessiner, puis une route quittée pour des variantes, voire un saut dans l’inconnu. Je garderai résolument, pourtant, faute de mieux, ces deux mots d’itinéraire et de cursus, en espérant la complicité du lecteur lorsqu’il souhaiterait accélérer le pas pour trouver ou retrouver sa route avec moi.
Je ne parlerai d’autobiographie qu’avec la même réserve. À supposer que c’en soit une, elle ne s’offrirait ici qu’en partie et laisserait de côté certaines autres non moins essentielles, au premier chef toutes celles qui tiennent à la famille, aux amitiés, à telle rencontre, unique mais riche de prolongements 1 . Je n’évoquerai que des personnes liées à mon itinéraire, et de toute façon sans les citer toutes, sauf exception, par crainte d’en oublier. Je parle d’oubli, mais en un cas au moins ce me serait impossible, pris que je suis par un nom, un prénom plutôt, celui d’une femme, Janine, qui vécut pleinement, à mes côtés.
Je vais donc parler de moi, c’est entendu. Mais est-ce pour autant faire preuve d’ostentation ? En vérité, mon propos s’est guidé sur un autre projet : montrer de quelle façon un itinéraire, ou un cursus, comme on voudra, a pu donner un sens à une part irremplaçable de ma vie, ma vie parmi les hommes. Lesquels ? Mes compatriotes, que j’ai voulu éclairer, à travers sa langue, sur une civilisation encore méconnue ou mal connue. Mais, dans l’autre sens, j’ai voulu aussi m’adresser aux Arabes, les inviter, par-delà les troubles de l’heure, à méditer sur leur propre passé, n’ayons pas peur des mots : sur leurs valeurs.
1 .  Cf . L’Orient d’une vie , avec la collaboration de Gilles Plazy, Paris, Payot, 1990 ; Jusqu’à 16 ans. Une jeunesse en Languedoc, Pézenas, Domens, 2003 ; Le temps se signe à quelques repères. Mémoire , Paris, Odile Jacob, 2016.
À la recherche d’une recherche
I

L’histoire – un bien grand mot en la circonstance – a peut-être commencé en un jardin de Languedoc. Un jardin, vraiment ? Ainsi du moins ai-je vu, en mon enfance, se dessiner peu à peu le pays autour du village de Saint-Jean-de-Fos où mes parents étaient instituteurs. On me dira sans doute que je rêve, qu’en fait de jardin il s’agissait de vignes. Mais je ne parle pas de ces alignées de ceps qui composent une image traditionnelle, non : j’en retiens certaines aires soigneusement aménagées pour accueillir çà et là, entre ces mêmes ceps, des pêchers et abricotiers.
Je connaissais et aimais, bien sûr, d’autres arbres, figuiers, amandiers dont la floraison annonçait un printemps tout proche, et puis l’olivier régnant, comme la vigne, sur des territoires tirés au cordeau et qu’ils illuminaient dès qu’un coup de vent froissait leurs feuilles pour révéler leurs dessous d’argent. Mais il manquait à toutes ces images un trait, un trait décisif que seuls m’offraient les arbres accueillis par la vigne : l’eau, l’eau nécessaire à leur vie, amenée jusqu’à eux par de petits canaux eux-mêmes dérivés d’un plus grand, en amont, depuis l’Hérault. C’est d’elle sans doute que naquit en moi l’image de ce jardin que l’on me disait venu d’Espagne sous le nom magique d’Alhambra, à Grenade…
Espagne ou non, en tout cas, j’étais déjà parti vers un Sud plus Sud encore que le mien. Il y eut la mer, la mer de l’été et des plages, mais aussi la grande, la mer des paquebots comme celui que je visitai un jour au port de Sète avec mes parents et qui portait un nom venu de l’autre rive : Al-Mansour peut-être, comme me le suggère une vieille mémoire, un peu fantasque à l’occasion. Vinrent ensuite, avec les premières lectures, les contes d’Ali Baba, d’Aladin, des djinns… tout un Orient offert à mes rêves, ou plutôt un orientalisme de convention, et néanmoins porteur secret d’un monde qui se cherchait en moi. Il s’effaça plus tard dans la vie d’écolier, de lycéen, la nécessité, comme on disait, de réussir, mais il faut croire qu’il était tenace et n’attendait que l’occasion de resurgir.
II

Juillet 1946, la dernière année de lycée, un parcours douteux en maths élém, à la mesure d’une vocation incertaine, et là-dessus un coup de tonnerre : le ministre de l’Armement, Charles Tillon – un communiste ! c’était décidément en d’autres temps –, décide de récompenser les meilleurs candidats au Concours général de géographie, lauréats ou remarqués par leurs copies en chaque académie, seize alors, et me voilà désigné pour celle de Montpellier. La récompense consistait en un voyage à bord d’un Junker récupéré de la flotte aérienne allemande, avec plusieurs escales : Ajaccio, Tunis, Alger, Rabat et Marrakech.
Nous étions quatorze garçons et deux filles qui représentaient Nancy et Clermont-Ferrand. N’en déplaise à mes amis corses, le souvenir de leur pays disparut aussitôt pour d’autres, des images conventionnelles encore, mais devenues réelles, palpables presque, à grands coups de mosquées, de minarets, de palais, de marchés. De quoi donner force enfin aux vieux rêves de l’enfance ? Toujours est-il qu’un autre s’y superposait, le brouillait jusqu’à effacer tout le reste. Celui-là portait les traits de la jeune fille de Clermont, dont je ne savais pas encore qu’elle deviendrait une part de ma vie, et plus encore.
Retour à Montpellier, visite au professeur d’histoire et géographie, qui m’avait engagé à me présenter à ce concours et me dit tout à trac : « Tu es fait pour les maths comme moi pour être pape. Va plutôt voir du côté de la khâgne, pour réfléchir encore un peu. À défaut de préparer le concours d’entrée à Normale sup, tu découvriras ce que tu es sans le savoir : un littéraire. »
III

Me voici donc en khâgne. J’arrive chaque jour à vélo. Sept kilomètres depuis le village de Montferrier où mes parents enseignent maintenant, tout à leur bonheur retrouvé après la guerre et les cinq années de captivité de mon père.
Le programme de la khâgne est simple : il n’y en a pas, ou plutôt il tient en deux mots, culture générale, dans le cadre des matières obligatoires à l’écrit du concours de l’École normale supérieure – histoire, littérature française, latin, grec ou une langue vivante –, et, en dehors, tout ce qu’un libre choix laisse à votre curiosité.
C’est peut-être cet appétit, joint aux souvenirs d’Afrique du Nord, qui me fit un jour acheter la vieille traduction du Coran par Savary. Qu’en ai-je retenu, là, sur-le-champ ? Moins les versets où s’élabore la nouvelle société musulmane que les premiers dans l’ordre chronologique, ceux de la révélation reçue par Muhammad. Et pourquoi donc ? Mais tout simplement parce qu’ils étaient inspirés en une langue qui, même au travers de la traduction, portait la marque du lyrisme : le littéraire que j’étais, paraît-il, devenu y trouvait amplement son compte.
À ceux qui, comme moi, avaient opté pour le grec aux épreuves écrites du concours, l’oral imposait une langue vivante étrangère. C’était pour moi l’allemand, pratiqué depuis mes débuts au lycée, sur le conseil de mon père : il n’était pas mauvais d’apprendre la langue de l’ennemi. Je devais m’en féliciter d’autant plus que la khâgne m’offrit, en cette discipline, un professeur alliant souverainement l’aisance du comportement et du verbe à l’amour de la poésie, romantique en tête.
Autant dire que mon Orient personnel avait affaire à forte partie. Mais ce n’était pas tout. Au fil des mois, des années, la jeune fille de Clermont, Janine, était devenue plus qu’une amie : au fil des lettres et des visites échangées entre Montferrier et Vichy, où elle vivait, se dessinait une longue marche vers les fiançailles, en 1950. Un an auparavant, j’avais échoué au concours d’entrée à Normale, mais décidé de retenter l’aventure, sur les encouragements pressants de Janine, à Vichy par où je passai à mon retour de Paris, après les épreuves de l’oral.
Je retrouvai donc la khâgne. Tout en espérant mon entrée à Normale, il me fallait poursuivre une licence de lettres classiques à l’université, mais surtout réfléchir un peu plus sérieusement à l’avenir. Et c’est alors que l’idée me vint de la littérature comparée, plus précisément du côté des langues indo-européennes. Mon bagage rassemblerait français, latin, grec, allemand, à quoi j’ajouterais l’italien, abordé à grands coups de méthode Assimil avant les voyages en compagnie de mes parents puis, avec eux, de Janine, l’espagnol, avec l’aide de mon père qui en avait gardé le goût et la pratique depuis son passage à l’École normale d’instituteurs de Montpellier. J’en étais là, cherchant encore, peu porté vers un anglais que je n’avais jamais côtoyé, quand me vint, certain jour, l’idée de retrouver un Orient près de s’effacer, et je pensai d’un coup à une langue indo-européenne de là-bas, le persan.
1950, heureuse année : le succès au concours, les fiançailles, une vocation !
IV

La première année à Normale sup est toute tracée en ma tête dès que j’en franchis les portes en cet automne de 1950 : il me faut compléter ma licence, à la Sorbonne mainten

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