L Effet de génération
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L'Effet de génération , livre ebook

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Description

L'identification d'une génération ne se réduit pas à un événement dateur - si ample soit-il - ni à un ensemble de cohortes démographiques. Il faut aussi tenir compte d'un nouveau "senti commun" difficile à cerner, car une génération intellectuelle n'est pas composée seulement de gens qui sentent et pensent la même chose : des divergences, voire des oppositions furieuses peuvent la traverser.


Comme le montre Michel Winock, ce qui appartient en propre à tous les membres d'une même génération est la question dominante (la guerre, la crise, le communisme, la décolonisation, Internet, l'écologie, etc.) qui a hanté leur jeunesse; les réponses philosophiques et les positions politiques qu'elle induit peuvent être divergentes ou contradictoires : elles font système.


La clé générationnelle n'ouvre certainement pas toutes les portes de l'histoire, mais c'est un outil précieux lorsqu'on veut avoir une vue d'ensemble du XXe siècle et mieux comprendre les grandes tendances et tensions idéologiques qui travaillent notre temps.


Michel Winock est historien, spécilaiste de la France contemporaine. Fondateur de la revue L’Histoire, il a été longtemps éditeur au Seuil.
Auteur de nombreux ouvrages, il a publié notamment, Le Siècle des intellectuels (1997, Prix Médicis essai), Les Voix de la liberté (2001, Prix Roland de Jouvenel de l’Académie française), Madame de Staël (2010, Prix Goncourt de la biographie et Grand prix Gobert de l’Académie française).

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782362800238
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MICHEL WINOCK
L’EFFET DE GÉNÉRATION
UNE BRÈVE HISTOIRE DES INTELLECTUELS FRANÇAIS

éditions THIERRY MARCHAISSE





© 2011 Éditions Thierry Marchaisse
Conception visuelle : Denis Couchaux Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
Éditions Thierry Marchaisse 221 rue Diderot, 94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr

www.centrenationaldulivre.fr

ISBN (ePub) : 978-2-36280-023-8 ISBN (papier) : 978-2-36280-002-3
Diffusion : Harmonia Mundi





QU’EST-CE QU’UNE GÉNÉRATION INTELLECTUELLE ?
La question des intellectuels dans l’histoire française exige d’abord qu’on s’entende sur ce terme. Excluons pour commencer la catégorie trop large, à base socioprofessionnelle, des « travail-leurs intellectuels » opposés aux « travailleurs manuels ». Une définition des intellectuels pourrait être : ceux qui concourent à rendre plus intelligible la société dans laquelle nous vivons. Entreraient dans ce groupe la plupart des universitaires, les éditorialistes des grands journaux, mais aussi les artistes et auteurs de fiction qui, par une autre voie, éclairent les aspects les moins rationnels de la réalité. Je m’en tiendrai ici au sens que le mot a pris à son apparition en France, au cours de l’affaire Dreyfus. Le 23 janvier 1898, dans L’Aurore , Georges Clemenceau appela intellectuels (c’est lui-même qui soulignait le mot, preuve du néologisme) les hommes de science, de lettres, de pensée, les artistes et les membres des professions libérales qui étaient en train de signer la pétition en faveur du capitaine Dreyfus, dont le procès de 1894 se révélait entaché d’illégalité.
En se référant à cet épisode fondateur, on définira l’intellectuel comme celui qui, ayant acquis une réputation ou une compétence reconnue dans le domaine cognitif ou créatif, scientifique, littéraire ou artistique, use de son statut pour intervenir dans l’espace public sur des questions qui ne concernent pas sa spécialité, mais l’ensemble de la communauté politique à laquelle il appartient. Pris en ce sens, la plupart des « intellectuels » sont donc bien sûr des écrivains ou des universitaires, la maîtrise du verbe faisant partie de leur outillage de base, mais pas tous. « Sartre, qui était orfèvre en la matière, l’a très bien dit. Le savant qui travaille à la mise au point d’une bombe atomique n’est pas un intellectuel. Dès lors que, conscient du danger qu’il fait courir à l’humanité, il engage ses confrères à signer avec lui un manifeste contre l’emploi d’une telle bombe, il le devient » 1 .
Le mot sans doute, même sous sa forme substantive, était antérieur. On le trouve déjà sous la plume de Saint-Simon au début du XIX e siècle, mais il n’était pas d’usage. De sorte que l’on a pu fixer la « naissance des intellectuels » lors des années de la crise dreyfusienne, à tout le moins dans les années 1880-1890 2 . Les modèles remontent plus haut dans le temps, cependant la fin du XIX e siècle est marquée en France par une série de faits qui expliquent l’aspect quantitatif du phénomène. Ces listes de pétitionnaires en faveur de Dreyfus eussent été bien moins longues dans une période précédente. Plusieurs facteurs sont à mentionner, notamment la véritable fondation de l’Université française, les libertés démocratiques instaurées par le régime républicain et le développement de la presse (loi de 1881).
Cette définition étant posée, une typologie, fût-elle provisoire, semble utile à distinguer les modes d’intervention possibles :

L’intellectuel critique . C’est celui qui remet en cause les autorités – politiques, judiciaires, religieuses – au nom de l’éthique de conviction, selon la terminologie de Max Weber. Le modèle historique en est peut-être à rechercher dans la République romaine : le tribun du peuple. En France, notons le cas des libertins du XVII e siècle, au moment où l’absolutisme s’installe. Au siècle suivant, il y aura celui de Voltaire qui, fort de son prestige, interpelle les pouvoirs publics dans un certain nombre d’affaires judiciaires, dont la plus connue est l’affaire Calas – ce protes-tant de Toulouse, accusé d’avoir tué son fils, et condamné sur un dossier sans preuves. En un sens, Émile Zola perpétue cette tradition de l’homme seul, de l’écrivain à succès, que sa conscience pousse à protester à ses risques et périls. Thomas Mann, écrivant en 1953 sur Zola, faisait cette observation : « Sans le prototype et l’avertissement de Voltaire, sans le cas de Jean Calas, il est peu probable que le romancier comblé, bourgeoisement établi, se fût entendu à la lutte ou qu’il eût, sur ce point, été entendu de sa nation. » Ajoutant : « En Zola j’admire le XIX e siècle et je révère le mythe de la France, cette tradition dont il s’inspirait et qui est une tradition de conscience sociale et de sensibilité vigilante au nom de la liberté, de la vérité et de la dignité humaine » 3 . Au même moment, l’intellectuel critique prend une dimension collective par le truchement des pétitions.

L’intellectuel organique . C’est celui qui s’emploie à défendre un régime établi, à la fois contre les tenants d’un ancien régime et les partisans d’un nouveau régime à fonder. Le modèle en est François Guizot, sous la monarchie limitée. Il élabore les idées et les moyens d’influence propres à rallier l’élite et l’ensemble de la population à un régime censitaire et libéral. L’éthique de responsabilité le guide généralement, mettant en avant l’impératif de la cohésion sociale.

L’intellectuel partisan. Celui-là ne se contente pas d’être un intellectuel critique – ce qu’il est aussi par définition : il défend une cause, plus tard un parti, dans une volonté de substitution d’un régime à un autre. Il peut être réactionnaire ou révolutionnaire, nationaliste ou fondamentaliste, monarchiste en république ou collectiviste en régime libéral. Un Charles Maurras, un Henri Barbusse sont des modèles possibles. En 1927, dans La Trahison des clercs , Julien Benda les dénoncera comme ayant manqué à leur devoir d’universalisme, faisant passer leurs passions particulières avant les valeurs morales dont les « clercs » sont de tout temps les défenseurs.
Il est clair que cette classification ressortit à la construction d’idéal-types, c’est-à-dire d’abstractions. En réalité, les types mixtes abondent. On peut être ainsi un intellectuel critique de la société et un intellectuel organique d’une formation politique. Du moins cette esquisse de typologie peut-elle nous servir de fil conducteur dans notre approche « générationnelle ».
Le concept de génération, d’un usage si spontané mais d’une définition si malaisée, s’applique avec d’autant plus de fiabilité qu’il désigne des champs précis – comme justement celui des intellectuels 4 . Pour Wilhelm Dilthey, il n’existe de génération que pour un petit nombre : « la génération forme un cercle assez étroit d’individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands événements et changements survenus durant leur période de réceptivité » 5 .
Je laisserai de côté la question de savoir dans quelle mesure cette définition pourrait être élargie au-delà du « cercle assez étroit » dont parle Dilthey, puisque je ne m’occupe ici que des intellectuels. En revanche, je retiendrai de la définition de Dilthey le rôle joué par les « grands événements » dans la formation d’une génération. Théorie discutable si on veut l’appliquer à un ensemble de population indistinct, mais d’autant plus pertinente si elle concerne des groupes d’individus repérables justement par leurs réactions communes aux grands faits contemporains. L’idée de contemporanéité est elle aussi discutable, en l’occurrence, parce qu’elle est susceptible de mettre en jeu des classes d’âge fort variées. Ainsi, la guerre de 1914-1918 a été faite simultanément par des générations diverses, au sens chronologique du terme. Comme la plupart des événements, elle est multigénérationnelle . Cependant, tout événement ne touche pas, n’imprègne pas de la même façon les individus. On peut parler d’événement dateur (générateur) lorsque celui-ci frappe de plein fouet des jeunes gens en train de s’éveiller à la conscience politique. Je retiendrai donc également cette « période de réceptivité », dont parle Dilthey, comme celle où se constitue une nouvelle génération.
Arrivé à ce point, il importe de spécifier les relations qui existent entre la notion de génération et celle de classe d’âge. L’une et l’autre ne coïncident pas exactement. Dans son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours , Albert Thibaudet évoque « la génération de 1789 » comme celle des « vingt ans en 1789 », ce qui est en gros le cas de Chateaubriand et de Mme de Staël. De même, « la génération de 1914 » est pour lui celle des « vingt ans en 1914 ». L’inconvénient de cette méthode est d’associer un âge précis – la vingtaine – à l’événement dateur (la Révolution, la Grande Guerre), ce qui rigidifie la notion de génération, l’en-ferme dans certaines cohortes démographiques trop étroites. Je prendrai donc un autre parti. Chateaubriand et Mme de Staël ne sont pas encore nés publiquement en 1789, non plus qu’André Breton ou Pierre Drieu La Rochelle en 1914 : il a fallu attendre quelque temps après l’événement pour voir apparaître la nouvelle génération. C’est cette période d’ émergence que je retiendrai comme date de naissance, période plus ou moins brève, coïncidant de plus ou moins près, selon les cas, avec l’événement catalyseur.
Cette élasticité dans le temps permet de tenir compte des cas individuels qui échappent à leur génération supposée. Certains, plus prompts que d’autres à s’épanouir, peuvent être assimilés à la génération précédente. En voici un exemple. Serge Mallet, théoricien de la « nouvelle classe ouvrière », est né en 1

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