Le Soleil noir du paroxysme
235 pages
Français

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Le Soleil noir du paroxysme , livre ebook

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Description

Ce livre de Christian Ingrao a deux facettes. D’une part, c’est un texte d’historien sur des objets historiques situés : les discours, les représentations et les émotions des acteurs du génocide nazi ; le suicide de guerre en Allemagne et au Japon en 1945 ; la médecine d’urgence face aux attentats du 13 novembre 2015. Captivant. D’autre part, c’est un essai pour penser l’histoire, qui expérimente des rapprochements conceptuels et disciplinaires, qui analyse et met à l’épreuve notions et méthodes. Éclairant. À la fois livre d’histoire et livre sur l’histoire, il présente au lecteur l’œuvre et la fabrique, dans un va-et-vient entre théorie et pratique qui fait la force du propos. Ainsi, la notion de paroxysme est d’abord analysée comme outil théorique pour l’historien, puis appliquée à des objets historiques qui en sont des figures et dont l’auteur est un spécialiste. On découvre l’historien au travail, réfléchissant sur sa démarche et ses concepts avant de les mettre en œuvre pour explorer des passés utiles pour comprendre le présent. Tirant le bilan de vingt années d’enquête sur le nazisme et la violence de guerre aux xxe et xxie siècles, Christian Ingrao entreprend d’esquisser aussi « un avenir désirable pour l’histoire du temps présent ». Un livre d’histoire en même temps qu’un regard sur l’histoire de demain. Christian Ingrao Christian Ingrao est historien, directeur de recherche au CNRS. Il a dirigé l’Institut d’histoire du temps présent (2008 à 2013), enseigne à l’IEP de Paris. Il a écrit sur le nazisme et les violences de guerre aux XXe et XXIe siècles. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 mars 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738154484
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ouvrage proposé par Denis Peschanski et Henry Rousso
©  O DILE J ACOB, MARS 2021
15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5448-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

« Si je me sentais du goût pour la besogne que j’entreprends aujourd’hui, le courage me manquerait probablement de la poursuivre, parce que je n’y croirais pas. Je ne crois qu’à ce qui me coûte. Je n’ai rien fait de passable en ce monde qui ne m’ait d’abord paru inutile, inutile jusqu’au ridicule, inutile jusqu’au dégoût. Le démon de mon cœur s’appelle – À quoi bon ? »
Georges B ERNANOS , Les Grands Cimetières sous la lune 1 .

La citation du Bernanos pamphlétaire qui sert ici de frontispice est osée et trompeuse mais paradoxalement fidèle. Il faut oser , en effet, placer ce livre sous le patronage d’un des très grands écrivains français du siècle dernier qui, sans être exempt de toute tache 2 , s’élançait alors avec ses Grands Cimetières sous la lune dans l’un des plus beaux écrits de combat contre le fascisme. Elle est par ailleurs trompeuse dans son contenu et sa place : elle laisse accroire qu’on aurait amorcé l’écriture du présent livre avec cette citation et qu’on l’aurait ensuite menée, de bout en bout, du premier jusqu’au dernier mot. L’évidence est qu’il n’en a rien été, que certains des chapitres qui le composent mûrissent – ou végètent, selon les points de vue… – depuis dix ans, voire plus, dans les méandres siliceux de divers ordinateurs ou sur ces tables de travail qui ont migré de Paris au Bugue, Berlin et Bellevue, mais aussi, fugitivement, à Antibes, au Pyla, à Barcelone , Madrid, Zagreb, Tuxedo Park (NY) et Milan. Trompeuse aussi en ce qu’elle laisse croire que ce livre est sorti tout armé d’on ne sait quelle démarche, d’on ne sait quelle planification générale. Or il n’en est rien, une fois encore : si tout ouvrage naît d’une pratique dans laquelle les questions de réaménagement, de calfeutrage, de compromis commandent à tout le moins la composition et la rédaction finales, l’ouvrage que l’on présente ici se signale par l’ampleur des incertitudes dans lesquelles, pratiquement jusqu’à la fin, il s’est mû. On saisit bien le décalage entre ce qui se confesse ici et la citation de Bernanos .
Dans les faits, les ouvrages qu’on avait jusqu’alors proposés au lecteur 3 restituaient des enquêtes relativement bien délimitées, avec un objet, un système d’interprétation, une empirie, une constellation documentaire. Des intellectuels SS meurtriers et leur itinéraire en nazisme et en génocide 4  ; des braconniers chasseurs de partisans 5  ; des rêveurs racialistes de la Volksgemeinschaft 6 et leurs plans de réorganisation de l’empire nazi en devenir 7 … En trois minutes, l’affaire était dans le sac : l’horizon, dégagé ; l’intrigue, expliquée. Alors qu’il est, encore à l’heure actuelle, difficile et pénible de tenter de faire comprendre à un interlocuteur le contenu du présent livre. Et c’est cet état de fait qui constitue le premier indice de la vérité qu’a revêtu à mes yeux le message de Bernanos ceint au front de cet ouvrage, car il a une histoire différente de ceux qui l’ont précédé. Cette difficulté à le présenter constituait, je crois, un indice de mon manque de conviction quant à son utilité. C’est cela – et rien que cela – qui rapproche ici mon propos de celui de l’auteur de Sous le soleil de Satan .
Il nous faut confesser que ce livre tient du carrefour, de la croisée de chemins historiens. Il tente à la fois d’embrasser vingt années d’enquêtes sur la violence nazie, de mettre en gerbe les quelques résultats qu’on a cru pouvoir en extraire et d’en affronter les impasses, les difficultés, le caractère incomplet. Il fallait bien cela pour tenter de réfléchir à l’après, à la suite, au « comment continuer ? ».
Ce livre, ainsi, n’a pas un unique objet. Il n’est pas un ouvrage de recherche. Il tente, en opérant le bilan de trois enquêtes concernant le nazisme et la violence de guerre au XX e  et au XXI e  siècle, d’esquisser un avenir désirable à l’histoire du temps présent. Il s’agit d’une part de prendre acte d’un certain nombre de faiblesses dans les positions et les démarches opérées jusqu’ici, de les affronter en cherchant des outils à l’extérieur du champ historique mais aussi de tenter d’examiner l’évolution de la réflexion sur l’histoire sociale contemporaine dans laquelle on voudrait s’insérer. Il ne s’agit cependant pas d’un ouvrage de théorie de l’histoire, d’historiographie ou d’épistémologie. Entre empirie, réflexivité, bilan, inventaire et critique, il évolue, louvoie, hésite. Pour ne rien arranger, une partie des difficultés qu’on tente de dénouer ici n’est apparue que durant sa rédaction même. Et pourtant, sans ce livre, pas moyen de continuer, de penser une suite, aux yeux de son auteur…
Il est en conséquence un terme allemand qui, sans doute, résumerait assez bien le sentiment dans lequel sa rédaction est intervenue et que ne récuserait vraisemblablement pas le Bernanos de l’introduction des Grands Cimetières sous la lune 8 . Ce terme, c’est Uferlosigkeitsgefühl 1 . C’est un substantif néologique de genre neutre. Il est composé de deux radicaux : l’un, terminal et principal, qui signifie « sentiment » ( Gefühl ), l’autre, inaugural et subordonné, qui veut dire « quai » ou « rive » ( Ufer ) ; il est par ailleurs structuré par un suffixe adjectivant privatif (- los ), les autres suffixes ( -ig et -keit ) étant des opérateurs d’adjectivation pour l’un, de substantivation pour l’autre : c’est donc un substantif désignant le sentiment d’absence de rive ou de quai que peut ressentir un marin ou un nageur ; une sorte de désorientation océanique, de sentiment d’infinité qui fait qu’on nage ou qu’on navigue sans trop savoir d’où l’on vient – la rive de départ a disparu de l’horizon – ni où l’on va – aucune rive, aucune île ne s’annonce au regard – et qui implique que, pourtant, il faut bien continuer à nager ou à cingler car la noyade ou le naufrage menace.
J’ai donc compris progressivement qu’en fait de cingler il s’agissait désormais, en écrivant ce qui est devenu ce livre, de rendre compte d’une démarche exploratoire dont j’étais incapable d’expliquer fermement en l’état les déterminants – de voir l’île, en somme. Il a donc fallu commencer, pour mettre de l’ordre, par faire une halte dans la démarche et se retourner pour analyser rétrospectivement la recherche que j’avais mise en place durant toutes ces années pour, ensuite seulement, tenter de prendre de la distance, faire un pas de côté et laisser émerger les moyens intellectuels de la prolonger pour, peut-être, esquisser une perspective, un avenir. Opposer, en quelque sorte, un rivage à l’ Uferlosigkeitsgefühl .
Le premier chapitre du présent ouvrage ne se veut ni spéculaire ni crépusculaire. Il ne tient pas du bilan. En effet, un bilan se dessine lorsqu’il s’agit de clore une séquence. Or tel n’est pas le cas : les travaux menant à une anthropologie sociale du militantisme et des pratiques de violence nazies qu’on présente ici et qu’on va tenter de replacer dans les contextes historiographiques de leur période de conception et de production avant de rendre compte de leurs principaux résultats ne sont pas de l’ordre du définitif.
Il s’agit au fond de décrire une démarche dont l’unique objet, initialement, consistait à appréhender le nazisme comme un système s’agençant en discours et en pratiques, énoncés et portés par des acteurs. Logiquement, l’attention s’est focalisée sur un groupe d’individus qui s’est, d’une part, adonné à une activité intense de formulation idéologique et qui, de l’autre, s’est investi dans les pratiques spécifiques de l’État nazi et notamment dans les politiques d’extermination des communautés juives d’URSS occupée. Ce groupe constituait donc un observatoire idéal du nazisme dans son ensemble. Il s’est en effet agi d’apprendre à mobiliser des outils issus de ce que nous appelons depuis cette période « histoire culturelle » à un champ, l’histoire du nazisme qui paraissait être resté jusqu’alors relativement imperméable à ces outils. Mais cette importation se combina à l’irruption de la violence de guerre et du génocide dans les enquêtes. Cette irruption coïncida, en ce qui me concerne, avec celle, dans le réel de l’existence, de la tragédie yougoslave renaissant sous nos yeux sidérés. De ce choc émergea l’idée d’étudier ces deux objets si transgressifs avec les outils de l’anthropologue.
Le nazisme, la violence de guerre, l’Europe : tel est donc le cadre de réflexion initial de ce livre. Pendant près de vingt années, il aura borné l’ensemble des enquêtes ici présentées et il serait peut-être intéressant en soi de tenter de regarder en une manière d’introspection rétrospective le chemin parcouru, les progrès opérés, les certitudes acquises. Cette première réflexion semble devoir être animée par deux motivations supplémentaires, bien plus puissantes que le simple désir rétrospectif.
D’une part, et c’est le plus évident, ce livre existe donc parce qu’il a paru indispensable pour penser l’étape suivante, l’enquête qui pourrait succéder aux trois premières et prolonger en approfondissant la réflexion sur l’anthropologie historique des pratiques, des discours et des univers émotionnels des acteurs de ce premier XX e  siècle (disons… de 1

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