Le visage humain de l’administration

Catherine Thomas

Description

Pendant longtemps, les historiens qui se sont intéressés à l'histoire institutionnelle des anciens Pays-Bas ont souvent privilégié une approche structurelle des organes de gouvernement, en négligeant les hommes qui participaient au fonctionnement de ces derniers. Les points de vue ont considérablement évolués au cours des dernières décennies et les "fourmis ouvrières" du gouvernement des Pays-Bas d'Ancien Régime ont de plus en plus fait l'objet de toutes les attentions. Ce travail veut participer à ce renouvellement de l'histoire institutionnelle. Sur base de la consultation de plus de 1000 liasses d'archives, une prosopographie, comptant 810 notices, a pu voir le jour. Elle a d'ailleurs été publiée en 2012 grâce à l'appui d'Archives et Bibliothèques de Belgique et des Archives générales du Royaume et des Archives de l'État dans les provinces. La comparaison des données récoltées a permis de dégager les traits caractéristiques d'un groupe social spécifique, d'une "caste", celle des fonctionnaires d'État au XVIIe siècle.

Dans ce travail sont successivement étudiés les profils de carrière, les phénomènes de la vénalité publique, du népotisme et du favoritisme. Est également analysé le processus qui a engendré la naissance d’un véritable réseau de fonctionnaires, motivés par les mêmes ambitions sociales. Finalement, sur base des quelques documents retrouvés, nous avons tenté de reconstituer, autant que faire se peut, les cadres matériel et intellectuel dans lesquels évoluaient ces fonctionnaires d'État. À travers les visages des grands commis du gouvernement central, ce travail veut rendre une certaine jeunesse à cette vieille fille qu'est l'histoire institutionnelle et aussi apporter sa pierre à la compréhension des sociétés et des institutions européennes d'Ancien Régime.

Catherine Thomas est diplômée en histoire de l'Université catholique de Louvain. Elle est aujourd'hui conservatrice du Musée du Verre de la Ville de Charleroi. Si ses recherches se sont longtemps axées sur l'histoire institutionnelle, elle se consacre depuis peu à l'histoire de l'industrie verrière en Wallonie et plus particulièrement à Charleroi. La présente étude est le fruit de sa thèse de doctorat qu'elle a soutenue en 2009 à l'Université catholique de Louvain.

Sujets

• Époque contemporaine
• Histoire

Informations

• Publié par: Académie royale de Belgique
• Nombre de lectures: 9
• EAN13: 9782803103836
• Langue: Français

Extrait

Le visage humain de l’administration

Les grands commis du gouvernement central des Pays-Bas espagnols

(1598–1700)

C ATHERINE T HOM AS

Le visage humain de l’administration

Les grands commis du gouvernement central des Pays-Bas espagnols (1598–1700)

C LASSEDES L ETTRES A CADÉMIEROYALEDE B ELGIQUE

Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be

Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0383-6

© 2013, Académie royale de Belgique

Mémoires de la Classe des Sciences, Collection in-8°, série IV tome V N° 2093

Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be

Crédits Conception et réalisation : Grégory Van Aelbrouck, Laurent Hansen, Académie royale de Belgique

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TABLE DES ABRÉVIATIONS

ACT Archives de la Cathédrale de Tournai ADN Archives départementales du Nord, Lille AÉB Archives de l’État à Bruxelles, Anderlecht AÉM Archives de l’État à Mons AÉN Archives de l’État à Namur AÉT Archives de l’État à Tournai AGR Archives générales du Royaume, Bruxelles AGS Archivo general de Simancas ANB Annuaire de la Noblesse belge APAE Anciens pays et assemblées d’États ASAN Annales de la Société archéologique de Namur AVB Archives de la Ville de Bruxelles BCRH Bulletin de la Commission royale d’Histoire BIHBR Bulletin de l’Institut historique belge de Rome BN Biographie nationale BR Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles CAPB Chancellerie autrichienne des Pays-Bas CC Chambres des comptes CE Conseil d’État CERég Conseil d’État et de Régence CF Conseil des finances CPE Conseil privé espagnol CPA Conseil privé autrichien CRP Conseil royal de Philippe V DBN Dictionnaire de biographies françaises DHGE Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques GCM Grand Conseil de Malines HHStA Haus-, Hof- und Staatsarchiv, Vienne IGCPBH Institutions du gouvernement central des Pays-Bas habsbourgeois JTC Jointe des terres contestées MD Manuscrits divers NAGN Nieuwe algemene geschiedenis der Nederlanden NBN Nouvelle Biographie nationale NBW Nieuw biografisch Woordenboek OC Ouvrages de la cour PEA Papiers d’État et de l’Audience RBPH Revue belge de Philologie et d’Histoire RA Rijksarchief te Antwerpen RG Rijksarchief te Gent RK Rijksarchief te Kortrijk RL Rijksarchief te Leuven ROGHB Recueil de l’Office généalogique et héraldique de Belgique SEG Secrétairerie d’État et de Guerre SP, F Secretarìas provinciales, Flandes TA Tribunaux auliques TM Tribunaux militaires UL Université de Louvain

Introduction

oland Mousnier soulignait très justement qu’« il n’y a institution que si l’idée et les co R nstat, il affirmait qu’une étude institutionnelle ne pouvait se contenter de l’examen des lois et procédures se sont incarnées dans des hommes qui les mettent en œuvre ». Sur base de ce des règlements, mais qu’elle devait également prendre en compte les individus qui y officiaient, non seulement en tant que « fonctionnaires » mais aussi comme membres d’un 1 groupe social défini, évoluant dans une société déterminée . Pourtant, les historiens qui se sont préoccupés de l’histoire administrative des Pays-Bas, se sont longtemps cantonnés à la compréhension du fonctionnement structurel des différents 2 organes de gouvernement . Les officiers étaient enfermés dans leurs charges et n’apparaissaient que dans des listes qui répertoriaient les détenteurs successifs des emplois de grands commis. Ceux qui occupaient une charge de moindre importance n’étaient même pas considérés. C’est Maurice Arnould qui a été un des premiers à souligner la nécessité de renouveler cette approche méthodologique « en scrutant la personnalité de ses acteurs, c’est-à- dire en dressant des biographies de conseillers et de fonctionnaires » dans le but de « jeter un 3 4 regard neuf sur le passé des institutions » . Cet appel devait être relayé par Michel Baelde qui, déjà, ne s’était plus uniquement fixé sur les aspects organique et structurel dans son étude sur les Conseils collatéraux du gouvernement central des Pays-Bas mais s’est également 5 attaché à en apprendre davantage sur son personnel . Depuis, ces officiers d’État sont au centre de toutes les attentions. Une approche plus sociale de l’administration tant centrale que provinciale a été développée et encouragée. Des 6 projets de recherche, des études et des colloques sur ces « fourmis ouvrières » ont vu le jour . Les travaux d’Anne Vandenbulcke et de Mireille Jean sur les Chambres des comptes, le mémoire publié de Jean Houssiau sur les secrétaires du Conseil privé et l’imposant dictionnaire du professeur Claude Bruneel sur les grands commis du gouvernement des Pays- Bas autrichiens sont quelques exemples des plus révélateurs de la volonté des historiens 7 d’apporter un jour nouveau à l’histoire institutionnelle de nos régions . Cette thèse a donc pour ambition d’apporter sa contribution à ce renouvellement. Pour un sujet si dense et si complexe, une étude ne devient possible qu’à partir du moment où des limites objectives ont été définies, après avoir considérés les critères comme la disponibilité des sources, la bibliographie existante et les lacunes qu’il reste à combler. Dans le temps, nous avons orienté notre recherche vers l’étude des grands commis du e gouvernement central des Pays-Bas au XVII siècle, du « règne » des archiducs Albert et Isabelle, débutant en 1598, jusqu’au décès de Charles II, survenu en 1700, qui mettait ainsi un terme à l’administration espagnole desFlandes. En effet, cette période correspond à un moment de relative stabilité sur le plan institutionnel, succédant et précédant des époques 8 troublées . De plus, elle constitue un terrain qui est encore peu connu et pour laquelle une bonne part de la documentation est toujours inédite, notamment du point de vue de 9 l’exploitation des archives espagnoles . Les limites spatiales de cette thèse sont définies par les frontières du territoire des Pays- Bas habsbourgeois, ce qui exclut donc la principauté épiscopale de Liège. La Franche-Comté est également écartée en raison de la neutralité déclarée de cette région et du statut particulier 10 de sa capitale, Besançon, qui était une ville impériale . 11 Pour réaliser nos objectifs, le recours à la prosopographie s’est très vite imposé. 12 Éprouvée depuis longtemps , cette méthode, qui est plus largement définie comme « l’analyse

13 de l’individu en fonction de la totalité dont il fait partie » , se caractérise par la collecte d’informations aussi diverses que variées concernant des personnes évoluant dans un espace de vie défini spatialement et chronologiquement. L’historien allemand Karl-Ferdinand Werner lui assigne une place « entre l’anthropologie, la généalogie, la démographie et l’histoire sociale, entre l’événement unique, l’individualité et la reconstruction sérielle de phénomènes 14 sociaux et de processus de longue durée » . Le but est de dégager les caractéristiques 15 essentielles qui définissent le groupe étudié , ce dernier pouvant être défini selon des critères variés tels les dignités et les fonctions mais aussi le statut et le secteur d’activités dans lequel 16 évoluent les individus considérés . Notons qu’elle ne se résume pas à une simple récolte de biographies individuelles, comme 17 a pu l’écrire Hilde de Ridder-Symoens . Certes, les éléments rassemblés sont de cette nature, mais ils deviennent prosopographiques à partir du moment où ils sont structurés dans le but d’effectuer une analyse comparative. En effet, alors que la biographie se penche plutôt sur l’individu, l’intérêt de la prosopographie est qu’elle s’intéresse à la totalité d’entre eux, et que 18 chacun est considéré en permanence dans ses rapports avec l’ensemble . Le fondement de la recherche à laquelle nous aboutissons au terme de nos investigations s’apparente donc davantage à des fiches informatives qu’à des notices biographiques individuelles. Leurs richesses dépendent d’une part des sources produites par les différentes instances au sein desquelles un individu a œuvré et, d’autre part, des documents à caractère privé qui nous sont parvenus. C’est pourquoi l’homme apparaît généralement d’abord comme un acteur de la société à laquelle il appartient avant d’être une personne évoluant dans son foyer. Sur base de ces données, l’approche prosopographique permet de mettre notamment en lumière les mécanismes d’ascension sociale, les stratégies de parenté, d’alliance et d’amitié au sein d’un ensemble de personnes ayant un dénominatif commun ; en bref, d’établir le portrait d’un groupe au sein d’une société à une époque donnée. Il faut malgré tout rester vigilant et ne pas se contenter d’une prosopographie « quantifiante », qui se bornerait à une représentation trop théorique des phénomènes décelés, d’une trop grande simplification, d’« une image en 19 moyenne avec peu de couleurs » . Le choix d’exemples représentatifs doit permettre d’éviter cet écueil.

Nos recherches ont conduit à la rédaction de plus de 800 notices qui, ensemble, ont constitué la 20 prosopographie annexée à la thèse dont est issu le présent ouvrage. Celles-ci présentent une structure commune, comptant neuf rubriques, dont les trois axes principaux sont la famille, la carrière et l’élévation sociale à laquelle certains officiers ont pu prétendre. Sont également reprises les informations plus formelles que sont les dates de naissance et de décès ainsi que les études et les indications relatives au(x) domicile(s), s’ils sont connus. Intégrées dans une base de données et comparées, ces « fiches » ont permis de dégager les traits qui caractérisent e le « groupe » des grands commis du gouvernement central des Pays-Bas au XVII siècle. La carrière des grands commis sera au centre de nos préoccupations dans la première partie de ce travail. Seront ainsi abordés la formation requise pour entrer dans la carrière au sein de l’administration centrale, les procédures de nominations et les profils de carrières des différentes catégories d’officiers d’État. Seront également étudiées les « voies parallèles » pour accéder à un emploi, telles que le népotisme et le favoritisme. Nous nous attarderons longuement sur le phénomène de la vénalité des offices que nous tâcherons de ramener à sa juste proportion dans l’histoire administrative des Pays-Bas.

La deuxième partie sera entièrement consacrée à la place du grand commis au sein de la e société des Pays-Bas du XVII siècle. Nous y aborderons un phénomène qui a durement touché e le monde des fonctionnaires au XVII siècle, à savoir les suspensions de gages et les prêts collectifs pour subvenir aux nécessités des guerres menées par et contre l’Espagne. Les liens familiaux qui les unissaient feront l’objet de toutes les attentions. Le cadre matériel dans lequel vivaient ces officiers sera également ésquissé, à travers la propriété foncière, les biens