Traces de vie
88 pages
Français

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Traces de vie , livre ebook

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Description

« Henri pourtant laissait vagabonder son esprit. Son corps faisait bien les gestes nécessaires pour surnager : ses bras écartaient l’eau, ses jambes pédalaient mécaniquement, sa tête était dressée telle un périscope pour identifier les dangers, choisir une direction, analyser les évènements. Mais rien de tout cela ne fonctionnait en raison. L’engourdissement des membres, la lassitude, les désillusions de ces deux dernières années, des perspectives d’avenir assez sombres ne parvenaient plus à tendre le ressort de vie de ce beau garçon de 28 ans. Qui le pleurerait ? Qui le regretterait ? »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748398953
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0041€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Traces de vie
J.C. Montès
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Traces de vie
 
 
 
Car tous un jour serons emmurés pénitents
Dans la fosse ou dans l’urne à jamais confinés
Lorsque la lampe s’éteint lorsque finit le temps
Lorsqu’enfin notre vie se mue en destinée
 
 
 
 
Avis au lecteur
 
 
 
Ces quelques pages ont été écrites à l’origine pour un seul lecteur : Aimé, mon père.
Que le lecteur qui cherche la stricte vérité historique passe donc son chemin.
Tel n’est pas en effet l’objet de cet opuscule qui emprunte néanmoins des éléments précis aux Archives, à l’« Épopée d’Espagne », recueil de récits édité par l’Amicale des Anciens Volontaires Français en Espagne Républicaine, ainsi qu’à l’ouvrage très documenté de J. Delperrié de Bayac, « Les Brigades Internationales ».
Mais bien qu’elles n’aient aucune prétention historique ni, bien sûr, littéraire, ces pages n’en sont pas moins un objet de satisfaction pour la famille d’Henri M… qui peut trouver dans l’itinéraire de l’un des siens, confirmation du devoir accompli. En ces temps modernes qui ont si peu de prise sur le présent et si peu confiance en ses valeurs morales qu’ils cherchent dans le passé matière à fiertés, érigeant en vertus toutes sortes de devoirs de mémoires pour s’en approprier les mérites, il nous importait de réhabiliter à nos propres yeux le parcours singulier de l’un des nôtres et, à notre tour, de nous féliciter un peu de sa « gloire ».
Quant à l’auteur de ce récit, il a eu l’immense plaisir, après quelques recherches, de raconter à son propre père, soixante-dix ans plus tard, les circonstances plus ou moins précises de la mort d’Henri, le frère aîné décrié et quasi inconnu, et de le faire revivre en le réintégrant dans les préoccupations et le cœur des vivants.
 
Le décès d’Aimé vient de mettre un point final à cette quête.
Car si mon père n’est pas l’objet principal de cette histoire, c’est bien autour de lui et pour lui que cette histoire a été reconstituée.
Écrite au rythme de l’« enquête », puis dans l’urgence d’échéances redoutées, elle se fige donc aujourd’hui, dans ses maladresses et ses approximations, telle qu’il l’a lue, telle que nous lui avons racontée.
Dans les derniers mois, elle a été souvent un prétexte pour aborder, par petites touches prudentes, les souffrances et l’angoisse de la mort. L’histoire d’Henri a permis ainsi de mettre en avant la notion de destin, plus apaisante en cette circonstance précise que la vision désespérée de l’« absurde ». J’aime à penser que l’angoisse existentielle de mon père en a été quelque peu adoucie.
J’aime à penser également que cette démarche, essentiellement affective et de piété filiale, trouvera un écho bienveillant auprès de tel ou tel lecteur et l’encouragera à chercher et à partager à son tour, dans les replis cachés ou oubliés de sa propre histoire familiale, les traces de vie de l’un des siens : sans cette épaisseur humaine, l’Histoire échappe aux vivants et pourrait n’être qu’un conte raconté aux enfants crédules.
 
 
 
Chapitre 1
 
 
 
Il était l’aîné des garçons d’une famille de sept enfants. Jamais il n’avait connu ce que l’on appelle avec nostalgie la douceur du foyer. Il ne le regrettait pas d’ailleurs : on ne regrette pas ce qu’on n’a pas connu. Tout au plus éprouvait-il une sorte de manque, une langueur de l’âme, une angoisse intime et diffuse, mi-envie, mi-révolte, sans objet précis cependant, sans rancune non plus.
Le moment n’était pas propice à l’amollissement. De toutes parts, des explosions, des souffles, des chuintements, des sifflements de balles qui levaient autour de lui de petites colonnes d’eau, insignifiantes en apparence. L’eau justement ! Elle était douce en cette nuit du 26 juillet 1938, douce mais menaçante ; l’Èbre coulait large, rapide et puissant dans cette ligne droite de Tortosa. La déclivité du terrain, l’embouchure assez proche, la barrière des sierras et collines qui avaient endigué et régulièrement contrarié son cours, le pilonnage d’artillerie, tout contribuait à accélérer le courant et à multiplier les tourbillons qui prenaient, par instants et comme par magie, l’apparence de gigantesques marmites dont on ne sortait qu’avec peine tant l’effet de succion était important. Le fleuve charriait toutes sortes de débris de guerre que la lune gibbeuse mais en partie masquée par des nuages transformait en décors de théâtre d’ombres, menaçantes et fantasmagoriques. La nuit assez noire et hostile, la fureur des armes, ce bain forcé après la formidable explosion puis le chavirage de la petite embarcation qui le transportait avec cinq de ses compagnons, tout cela réclamait qu’il se concentrât pour survivre. Henri pourtant laissait vagabonder son esprit. Son corps faisait bien les gestes nécessaires pour surnager : ses bras écartaient l’eau, ses jambes pédalaient mécaniquement, sa tête était dressée telle un périscope pour identifier les dangers, choisir une direction, analyser les évènements. Mais rien de tout cela ne fonctionnait en raison. L’engourdissement des membres, la lassitude, les désillusions de ces deux dernières années, des perspectives d’avenir assez sombres, ne parvenaient plus à tendre le ressort de vie de ce beau garçon de 28 ans.
Qui le pleurerait ? Qui le regretterait ?
Il était alourdi par un barda invraisemblable car chaque soldat portait avec lui, attaché à sa taille ou à son ceinturon, sa gamelle, sa cartouchière et autres ustensiles servant à son quotidien. Il était vêtu d’une chemise trop ample et d’un pantalon de grosse cotonnade gorgé d’eau, chaussé de « bigatanes », sortes d’espadrilles de corde, légères au pied lorsqu’elles sont sèches mais qui, pour l’heure, se délitaient. Il avait perdu son casque mais avait conservé son fusil malgré le chavirage et il le serrait instinctivement contre lui. De même, un sac de grenades qu’il n’avait pas eu le temps ou l’idée de dénouer de sa ceinture l’empêchait de flotter. Il avalait ainsi, à intervalles de plus en plus rapprochés, de longues lampées d’eau jusqu’à cet état d’écœurement qui vous fait souhaiter que tout s’arrête.
Pourtant la tentation d’en finir n’était pas dans son caractère. La vie, sa courte vie, lui avait appris à résister, à s’opposer, à ruser. Survivre est tout un art que les pauvres n’ont nul besoin d’apprendre dans les livres. À présent, il avait froid. Autour de lui, le chaos. Aucun de ses compagnons n’était à portée de vue ni de voix. Que pouvait-il d’ailleurs en espérer ? Les circonstances n’étaient guère propices qu’à des exploits individuels. Et se sauver soi-même était le seul exploit envisageable… Ce qu’il avait d’ailleurs tenté de faire depuis son arrivée en Espagne, fin décembre 1936. En avait-il connu des misères durant tous ces longs mois, et des doutes aussi ! Mais qu’était-il venu donc faire dans ce combat désespéré ?
« Je suis venu ici car je suis volontaire, et si c’est nécessaire, pour verser mon sang jusqu’à la dernière goutte, pour sauver la liberté de l’Espagne, la liberté du monde entier. » Ce serment, il l’avait prêté à Albacete, le 31 décembre 1936, à l’âge de 26 ans, à l’âge de tous les possibles. Engagé volontaire dans les Brigades Internationales, le combat contre le fascisme était donc bien le sien.
Il avait de plus en plus froid. Sa vie allait s’achever, il en était maintenant certain, et personne n’en saurait rien de sitôt, personne ne le pleurerait. Au « pays », à Elne plus précisément, petite bourgade de 3 à 4000 habitants près de Perpignan la Catalane, il laisserait un père, autoritaire et dépassé depuis la mort de sa femme, sa mère à lui,...

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