Particularités liées à l’arrangement, à la topographie et aux circonstances déclenchantes : Dermatoses figurées - Dermatoses provoquées par des agents physiques externes - Dermatologie topographique

Philippe Assouly, Alain Dupuy, Marie Ameline, Annabel Maruani

Description

Le diagnostic dermatologique repose sur l’identification précise de la lésion élémentaire. Cette étape est habituellement indispensable pour déterminer le mécanisme et la causalité d’une maladie à expression cutanée. Dans les chapitres suivants, ce dogme n’est pas vrai. Il s’agit en effet de dermatoses tantôt caractérisées par une morphologie toute particulière liée à leur arrangement (« dermatoses figurées ») – et non à leur lésion élémentaire – tantôt caractérisées par leur circonstance d’apparition ou déclenchante, comme par exemple l’exposition aux rayons solaires ou au contraire au froid, indiquant d’emblée le mécanisme pathogénique. Pour des raisons didactiques, les dermatoses siégeant préférentiellement (mais non exclusivement) dans une région anatomique donnée seront également abordées dans ce chapitre.

Sujets

• Dermatologie

Informations

• Publié par: Editions du Traité de Médecine
• Date de parution: 01 janvier 2019
• Nombre de lectures: 2
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 10 Mo

Extrait

1

Dermatologie

Chapitre S19-P01-C06 6 0 C 1- 0 P - 19 S Particularités liées à l’arrangement, à la topographie et aux circonstances déclenchantes -C06 S19-P01

Le diagnostic dermatologique repose sur l’identification précise de la lésion élémentaire. Cette étape est habituellement indispen- sable pour déterminer le mécanisme et la causalité d’une maladie à expression cutanée. Dans les chapitres suivants, ce dogme n’est pas vrai. Il s’agit en effet de dermatoses tantôt caractérisées par une mor- phologie toute particulière liée à leurarrangement (« dermatoses figurées ») – et non à leur lésion élémentaire – tantôt caractérisées par leurcirconstance d’apparition ou déclenchante, comme par exemple l’exposition aux rayons solaires ou au contraire au froid, indiquant d’emblée le mécanisme pathogénique. Pour des raisons didactiques, les dermatoses siégeant préférentiellement (mais non exclusivement) dans une région anatomique donnée seront égale- ment abordées dans ce chapitre.

Dermatoses figurées

A NNABEL M ARUANI

La réflexion diagnostique face à une affection cutanée prend en compte, en plus de l’examen clinique général, trois éléments : les lésions élémentaires qui la constituent ; la distribution de ces lésions sur le corps (topographie) ; leur disposition, éparse ou dessinant une figure. La figure peut être une forme géométrique (ligne, cercle…) ou un dessin évoquant un objet (« feuille de sorbier »). Le concept de der- matose figurée peut ainsi avoir pour limite la subjectivité de l’interpré- tation des figures. L’arrangement des lésions en figures a vraisemblablement un substrat physiopathologique, dans de rares cas connu, hypothétique plus fréquemment, et constitue toujours une piste pour mieux comprendre ces dermatoses. La présentation figurée d’une dermatose peut être en rapport avec une cause exogène, par une stimulation extérieure d’agents physiques, chimiques ou biologiques, ou une cause endogène, le rationnel étant anatomique ou génétique. Les dermatoses figurées peuvent prendre des formes variées, les plus fréquentes étant la ligne, droite ou sinueuse, et l’anneau.

Dermatoses figurées linéaires

Dermatoses figurées linéaires par mécanisme exogène

Une stimulation externe, physique, chimique ou microbiologique, peut induire une lésion cutanée linéaire. Une dermatose préexistante peut aussi se localiser avec prédilection sur le site de la stimulation

S19-P01-C06

externe, ce qui est appelé phénomène de Köbner (par exemple, surve- nue sur des cicatrices de lésions cutanées de sarcoïdose, ou de psoriasis sur zones de frottement, etc.) [3]. Les lésions linéaires par stimulation externe physique peuvent être accidentelles ou non. Les accidents domestiques, en particulier, sont de grands pourvoyeurs de brûlures. Il existe d’autres mécanismes acciden- tels, telle la foudre : la décharge électrostatique sous haute tension qui arrive à la surface du matériau isolant représenté par la surface cutanée génère des figures arborescentes érythémateuses sur la peau, appelées figures de Lichtenberg, qui s’estompent spontanément en plusieurs heures à quelques jours [7]. Les dermatoses figurées linéaires dues à des agents physiques peuvent être non accidentelles, et être induites par des violences hétéro- ou auto-infligées. Leur aspect (largeur, longueur) dépend de l’objet utilisé : coups de ceinture, griffures, etc. Les vio- lences auto-infligées sont provoquées par les sujets eux-mêmes, de façon plus ou moins consciente. Elles n’ont pas de substrat organique, peuvent être une manifestation d’état psychotique, mais peuvent aussi n’être en rapport qu’avec un malaise psycho-social passager, en parti- culier chez l’adolescente (scarifications des avant-bras) [4]. Elles peuvent parfois être provoquées en vue de chercher un bénéfice secon- daire (par exemple, un arrêt de travail) et parfois être l’expression d’une pathomimie. Les stries de grattage sont autoprovoquées et peuvent sur- venir sur une dermatose prurigineuse, quelle qu’en soit la cause, ou être psychogènes. Ces lésions correspondent à des érosions induites méca- niquement par le frottement des ongles sur la peau, suivant la trajec- toire du mouvement. Les dermatoses linéaires de cause exogène par agent chimique sont la conséquence d’une coulée de substance chimique vésicante et sont de causes variables, accidentelles ou non. Un exemple est la phytopho- todermatose (dermite des prés), qui correspond à des lésions éruptives érythémato-vésiculeuses, voire bulleuses, de disposition linéaire évo- quant la forme des herbes, induites par le contact des plantes conjugué à l’exposition solaire. Les dermatoses linéaires peuvent être causées par des agents infec- tieux, parasites en particulier, dont la linéarité correspond à leur trajet. Ainsi le sillon scabieux, figure translucide filiforme de quelques milli- mètres, correspond-il à la galerie creusée dans la couche cornée par l’acarien (Sarcoptes scabiei) femelle. De même, la loase, parasitose tro- picale, est une filariose pouvant se manifester par une zone cutanée en relief, sinueuse, mobile, correspondant à la reptation dans le derme d’une filaire adulte. Un autre exemple classique est lalarva migrans cutanée, qui se manifeste par une figure serpigineuse inflammatoire débutant par une papule, correspondant à la migration de larves d’ankylostome.

Dermatoses figurées linéaires par mécanisme endogène

Certaines figures linéaires sont expliquées par l’anatomie de la peau et de ses vaisseaux, ou par la génétique.

Figures linéaires suivant les trajets vasculaires Les thrombophlébites sur varices ou les lymphangites suivent le tra- jet linéaire et sinueux des vaisseaux.

Figures linéaires liées à la microvascularisation cutanée Le livedo correspond à une figure en réseau de lignes (mailles) vio- lacées, plus ou moins effaçables lors de la pression. Cet aspect

S19-P01-C06 • Particularités liées à l’arrangement, à la topographi e et aux circonstances déclenchantes

s’explique par la disposition anatomique du réseau vasculaire cutané : les plexus veineux dermiques superficiels, qui drainent les artérioles afférentes dermo-hypodermiques, deviennent visibles depuis la surface. La cause d’un livedo peut être physiologique (cutis marmorata du nouveau-né, livedo des cuisses et genoux disparais- sant après frottement), ou pathologique. Le livedo est alors plus marqué, non positionnel, et ne s’efface pas facilement. Les facteurs potentiellement en cause sont nombreux (voir aussi Tableau S19- P01-C06-III) : troubles vasomoteurs, emboles, dépôts de cristaux, thrombose, hyperviscosité sanguine, artériopathie atteignant les petites artérioles afférentes, dégénérative (artériosclérose) ou inflam- matoire (vascularites).

Figures dont la linéarité est liée à l’anatomie nerveuse Certaines dermatoses ont une topographie segmentaire. Il ne s’agit pas de dermatoses figurées vraies, mais il est intéressant de noter que la délimitation de ces dermatoses, quand elles se situent sur un terri- toire cutané d’innervation tronculaire, est linéaire (les lignes de démarcation sont les lignes de Voigt). C’est le cas de la neurofibro- matose segmentaire.

Figures linéaires causées par les lignes de traction interne au tissu cutané Les lignes de traction mécanique de la peau deviennent visibles en cas d’altération du tissu élastique liée au photovieillissement (rides, peau « rhomboïdale »). Les lignes de Langer (lignes de tension corres- pondant à la direction dominante des fibres de collagène, utilisées en chirurgie pour orienter les incisions cutanées) expliquent l’aspect linéaire de lésions telles que les vergetures [2].

Figures linéaires, comme expression cutanée d’un mosaïcisme génétique Le mosaïcisme génétique se définit par la présence, au sein d’un organisme, de populations de cellules génétiquement distinctes mais provenant de ce même organisme. Deux types de mosaïcisme existent : – lemosaïcisme fonctionnelX. Une mutation, lié au chromosome génique sur un seul chromosome X sera exprimée uniquement par les cellules cutanées où ce chromosome X est activé (un seul des deux chromosomes X l’est pour chaque cellule). Les zones de la peau com- portant des cellules où le chromosome X muté est inactivé paraissent normales, les autres sont anormales, ce qui entraîne un aspect hétéro- gène de la peau ; – l’autre type de mosaïcisme estsomatique, par mutation post- zygotique. Une anomalie génétique survient sur une cellule durant l’embryogenèse et persiste dans son clone de cellules filles. L’anomalie peut être chromosomique ou être une mutation de gène, qui sera visible si le caractère correspondant au gène muté s’exprime dans les cellules cutanées. La disposition en lignes de Blaschko est très évocatrice d’un mosaïcisme génétique. Ces lignes, décrites en 1901, correspon- draient à des lignes de migration de cellules embryonnaires prolifé- rant en direction antérolatérale à partir de la crête neurale [1]. Elles ont un aspect caractéristique de droites et de volutes en jets d’eau, symétriques par rapport à l’axe médian du corps (Figure S19-P01- C06-1). Les dermatoses ayant une distribution suivant les lignes de Blaschko peuvent être congénitales ou acquises. Elles peuvent être bien délimitées (hamartomes, Figure S19-P01-C06-2) ou diffuses. Elles peuvent être isolées ou s’intégrer dans une maladie (Tableau S19-P01-C06-I). D’autres dispositions figurées (patterns, patrons), décrites comme phylloïdes, en damiers, etc., ont été rapportés par Happle comme éga- lement évocatrices de mosaïcisme génétique [5].

Figure S19-P01-C06-1

Lignes de Blaschko.

Figure S19-P01-C06-2Dermatose congénitale linéaire Blaschko-distribuée localisée (hamartome).

Dermatoses annulaires

Différentes dermatoses annulaires

Les dermatoses annulaires comportent des anneaux qui s’étendent classiquement de façon centrifuge, plus ou moins rapidement, avec les particularités de s’éclaircir en leur centre tandis qu’ils s’étendent par leur bordure, et de ne pas s’entrecroiser (Figure S19-P01-C06-3). Les dermatoses annulaires sont essentiellement représentées par des der- matoses inflammatoires acquises, de spectre très varié, et par des der- matoses de cause infectieuse (dermatophyties, borréliose, etc.,voir Tableau S19-P01-C06-I). L’entité « érythème annulaire centrifuge » est de cause et de mécanisme non compris. Elle se définit par son aspect figuré annulaire et par l’absence de cause classique trouvée (bor- réliose en particulier). Elle a été décrite comme associée à de nom- breuses affections, sans qu’un lien soit clairement établi.

S19-P01-C06

2