Troubles psychiatriques à l’adolescence à la lumière de la théorie de l’attachement

Antoine Guedeney, Lissa Claudia Yajima-Dupuis

Description

La compréhension actuelle des troubles psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent s’appuie sur un modèle probabiliste de facteurs risques cumulés, séquentiels et interactifs (génétiques, biologiques, périnataux, environnementaux). L’influence de l’environnement, et en particulier de la maltraitance ou de la carence affective grave, du niveau socioéconomique, sur le développement de l’enfant et la survenue de psychopathologies est bien connue depuis les premières études épidémiologiques réalisées dans les années 1960. La compréhension des mécanismes sous-tendant ces associations constitue l’un des champs de la recherche pédopsychiatrique contemporaine. Nous savons par exemple que les expériences traumatiques précoces laissent des traces au niveau neuronal. Le modèle de l’épigenèse ouvre, en ce sens, une nouvelle voie passionnante de compréhension du développement humain, placée dans une interaction complexe entre facteurs exogènes et facteurs endogènes.Nous tenterons de montrer de quelle manière la clinique et la recherche peuvent évoluer dans une dynamique de questionnement réciproque. Nous avons fait le choix de ne pas chercher l’exhaustivité, mais de nous appuyer sur les données de la littérature récente et des exemples précis et représentatifs de la spécificité du diagnostic et du traitement à l’adolescence. Nous montrerons, à travers la théorie de l’attachement, comment un changement de perspective peut permettre une compréhension renouvelée de la relation parent-enfant, des enjeux psychiques et de certains troubles à l’adolescence. Nous étudierons plus particulièrement la question de la désorganisation de l’attachement, une psychopathologie encore trop méconnue, aux implications développementales, cliniques et thérapeutiques majeures. Nous montrerons comment une approche dimensionnelle peut permettre de mieux comprendre l’effet des situations d’adversité dans l’enfance sur la survenue des troubles. Nous proposerons quelques outils d’application de la théorie de l’attachement directement utilisables en pratique clinique.

Sujets

• Psychiatrie

Informations

• Publié par: Editions du Traité de Médecine
• Date de parution: 01 janvier 2019
• Nombre de lectures: 1
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

1

Psychiatrie

Chapitre S16P01C13

Troubles psychiatriques à l’adolescence à la lumière de la théorie de l’attachement

L C Y -D A G ISSA LAUDIA AJIMA UPUIS ET NTOINE UEDENEY

10 00

3 C1 1- 0 P 6- S1

La compréhension actuelle des troubles psychiatriques de lenfant et de ladolescent sappuie sur un modèle probabiliste de facteurs risques cumulés, séquentiels et interactifs (génétiques, biologiques, périna- taux, environnementaux). Linfluence de lenvironnement, et en parti- culier de la maltraitance ou de la carence affective grave, du niveau socioéconomique, sur le développement de lenfant et la survenue de psychopathologies est bien connue depuis les premières études épidé- miologiques réalisées dans les années 1960. La compréhension des mécanismes sous-tendant ces associations constitue lun des champs de la recherche pédopsychiatrique contemporaine. Nous savons par exemple que les expériences traumatiques précoces laissent des traces au niveau neuronal. Le modèle de lépigenèse ouvre, en ce sens, une nouvelle voie passionnante de compréhension du développement humain, placée dans une interaction complexe entre facteurs exogènes et facteurs endogènes. Nous tenterons de montrer de quelle manière la clinique et la recherche peuvent évoluer dans une dynamique de questionnement réciproque. Nous avons fait le choix de ne pas chercher lexhaustivité, mais de nous appuyer sur les données de la littérature récente et des exemples précis et représentatifs de la spécificité du diagnostic et du traitement à ladolescence. Nous montrerons, à travers la théorie de lattachement, comment un changement de perspective peut per- mettre une compréhension renouvelée de la relation parent-enfant, des enjeux psychiques et de certains troubles à ladolescence. Nous étudie- rons plus particulièrement la question de la désorganisation de latta- chement, une psychopathologie encore trop méconnue, aux implications développementales, cliniques et thérapeutiques majeures. Nous montrerons comment une approche dimensionnelle peut per- mettre de mieux comprendre leffet des situations dadversité dans lenfance sur la survenue des troubles. Nous proposerons quelques outils dapplication de la théorie de lattachement directement utili- sables en pratique clinique.

Du diagnostic à la psychopathologie : quand un changement de perspective peut être nécessaire

La policlinique Ney-Jenny Aubry est un centre médicopsycholo- gique (CMP). Cest un centre ambulatoire spécialisé dans le traitement des pathologies mentales, autour dune équipe pluridisciplinaire. e Lune des spécificités du CMP infanto-juvénile du 18 arrondissement est daccueillir une forte proportion de familles issues de limmigra- tion, et dêtre doté dune expertise en troubles du spectre autistique (TSA), sur les troubles du comportement et sur le trouble déficit de

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lattention avec hyperactivité (TDAH) des enfants et adolescents. Les enfants sont principalement adressés par les écoles avec pour symp- tômes dappel principaux des troubles du comportement et/ou des dif- ficultés dans les apprentissages. Les adolescents peuvent être adressés par le système scolaire pour des motifs similaires ou via les urgences dans les suites dune mise en danger, notamment. Dès lors, comment faire la part des choses entre ce qui relève de troubles instrumentaux ou de troubles psychiques, dune pathologie psychiatrique ou de symp- tômes réactionnels à lenvironnement, du devenir dune pathologie de lenfance ou dune entrée dans une maladie de lâge adulte ? Quel trai- tement proposer à ladolescent mais aussi, bien souvent, à sa famille ? Ladolescent doit-il être séparé de ses parents pour aller mieux ou faut- il au contraire éviter une séparation ?

De l’importance de centrer l’évaluation de l’adolescence sur la relation

Cassandra, âgée de 15 ans est suivie dans le service depuis l’âge de 13 ans pour des mises en danger à répétition : intoxications médicamenteuses volontaires avec hospitalisations en pédopsychiatrie, scarifications, exposi- tion à des risques sexuels, fugues, consommation ponctuelle de toxiques. Les symptômes se sont installés dans les suites d’une agression sexuelle en classe de sixième. Cependant, la persistance des symptômes apparaît largement réactionnelle à l’environnement familial. Cassandra ne présente pas de trouble psychiatrique caractérisé. Le père de Cassandra a un antécédent d’alcoolo-dépendance ; il explique ne pas avoir été en mesure de s’occuper de sa fille dans l’enfance. Il s’agit d’un homme bienveillant et sensible qui commence à occuper sa place de père. Sa mobilisation permet de faire tiers dans le trouble relationnel grave mère-enfant. En effet, madame présente un trouble de la personnalité de type borderline sévère ; elle alterne entre fusion et rejet massif, priorisant ses propres besoins émotionnels sur ceux de sa fille. La relation mère-fille est explosive au domicile. En consultation, Cassandra se saisit de la présence d’un tiers pour tenter de communiquer avec sa mère. En l’absence de celle- ci, elle décrit sa souffrance d’être confrontée à un parent qui « ne reconnaît jamais qu’elle a tort » et dit qu’elle aimerait que sa mère « se comporte comme une mère et pas l’inverse ». Elle peut, avec notre aide facilement accéder à une position de réflexion, remettre en cause sa propre imprévisi- bilité, et ses réactions agressives vis-à-vis de sa mère. Lévaluation pédopsychiatrique suppose une évaluation clinique des symptômes et des troubles, mais également et surtout de la relation, ainsi que du contexte social et familial. Cassandra, par exemple, présentait plusieurs signes évocateurs dune personnalitéborderline (impulsivité, colères intenses, répétition de comportements suicidaires et dautomuti- lation) sans, pour autant, en avoir les modes de fonctionnement psy- chique caractéristiques (absence de sentiment chronique de vide et dangoisse dabandon, bon ancrage identitaire). Une évaluation centrée sur le symptôme aurait pu, à tort, orienter vers un diagnostique de trouble de la personnalité. Lun des enjeux était précisément de pouvoir protéger Cassandra des attitudes parentales par un éloignement et de pouvoir lui apporter une relation étayante et sécurisante afin quelle névolue pas sur un mode pathologique. Le DSM-5 (manuel diag- nostique et statistique des troubles mentaux) identifie le « problème rela- tionnel parent-enfant », les « problèmes de maltraitance et de négligence dun enfant » dans la section « autres situations pouvant faire lobjet dun examen clinique », précisant que la catégorie du « problème relationnel parent-enfant » « doit être utilisée lorsque le motif principal de lexamen