De la beauté : Vingt-six ariettes
135 pages
Français

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De la beauté : Vingt-six ariettes , livre ebook

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Description

Que notre monde soit cerné par le malheur n’empêche pas la beauté d’y être présente à profusion. À nous de l’accueillir quand elle s’offre et d’aller à sa recherche quand elle se cache. Intime satisfaction – mais aussi nécessité – de l’esprit et du cœur, elle habite et imprègne les lieux les plus divers : ceux, célébrés, des arts ou des paysages. Mais bien au-delà la découvre-t-on au détour d’une idée ; dans le choix d’un mot par Flaubert ou d’un coup d’archet par Yo-Yo Ma ; dans le sauvetage du Santo António comme dans la trajectoire d’un ballon de football ; dans l’agenouillement d’un Willy Brandt, les dernières paroles d’une Sophie Scholl ou l’héroïsme d’un Jacques Stosskopf ; dans la chose éducative de Jules Ferry, la vérité d’un théorème et l’éclat d’un minéral ; ou sur le visage de la belle inconnue d’Ekaterinbourg. Innombrables ceux qui nous font le don de la beauté, Antigone, Euclide, Richier, Mozart… mais aussi Andrei Sakharov ou Jeanne Villepreux. Et sans limite son espace. Cheminant au long des millénaires côte à côte avec le Sapiens, émanant de lui, et retournant à lui, elle l’aide, selon le mot de Malraux, « à rejoindre une transcendance et à se tenir droit ». Physicien, ancien président du Sénat des professeurs et directeur de l‘enseignement à l’École polytechnique, Yves Quéré, membre de l’Académie des sciences, a été élu à la présidence de l’InterAcademy Panel, l’Assemblée mondiale des Académies des sciences. Avec Georges Charpak et Pierre Léna, il a lancé cette rénovation de l’enseignement des sciences à l’école qu’est La Main à la pâte. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 novembre 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738157508
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , NOVEMBRE  2021
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-5750-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À David et Agnès, Anne-Laure et François, Emmanuelle et Frédéric, qui m’ont ouvert la voie à bien des pans de la beauté.
U N BEAU roman, un beau buffet, un beau raisonnement, un beau coucher de soleil sur l’océan, notre langue bégaie-t-elle, qui ne semble pas distinguer le plaisir ressenti à entendre un argument bien pesé de celui qu’on éprouve devant un meuble bien fait ? Est-elle pauvre à ce point ? Incapable de nuance ? Ou notre plaisir recèlerait-il au contraire un noyau universel qui lierait secrètement le raisonnement et le buffet, le roman et le crépuscule, dévoilant une confrérie mystérieuse des idées et des objets ?
Pour en débattre, encore faudrait-il être capable de définir la beauté. Qui saurait le faire ? Bien peu sans doute tant elle relève souvent de l’évidence. Me revient ici une histoire que j’ai racontée plus d’une fois.
Agréable fin d’après-midi d’automne. Je suis debout dans le métro, une de ces lignes qui à Paris enjambent la Seine. Deux jeunes, planche à roulettes à la main, jeans déchirés, échangent quelques mots. Sans écouter, j’entends : trois ou quatre phrases bancales et frustes, ligne chaotique, vocabulaire indigent. Voici que le train s’engage sur le pont. Le spectacle est admirable. Je contemple, debout contre la vitre, la ville basse caressée par une lumière horizontale qui, effleurant clochers et cimes des arbres, jette de l’or sur le moindre relief. L’un des deux s’est approché. Il est près de moi, front collé à la vitre, regard parallèle au mien, si proche que je l’entends murmurer : « Putain, qu’c’est beau ! »
Jamais au Louvre, jamais à l’Ermitage, n’ai-je entendu commentaire aussi vrai, aussi fort et aussi émouvant. Vrai car prononcé pour soi, fort car associant à la beauté l’élément le plus vigoureux de son vocabulaire, émouvant car émanant du fond de lui-même.
Fruste, ce garçon ? Oui, sans doute, mais moins que moi. Moi qui raisonne, analyse et disserte, ne parlant de la beauté qu’avec des mots sages, bien élevés, qui tentent maladroitement de consonner avec elle alors qu’elle est en perpétuelle dissonance avec le monde, le monde « toujours bizarre », nous dit Baudelaire qui ajoute « Renversez la proposition et tâchez de concevoir un beau banal ! » ; tandis que Haydn déclare à Beethoven : « On trouvera toujours dans vos œuvres partout des choses admirables, mais ici [les quatuors] quelque chose d’ étrange 1 . »
Moi qui ne m’essaie à discourir sur elle que pour masquer ma difficulté à le faire. Moi qui aimerais donner à croire qu’elle est la colocataire des lieux que je fréquente, alors que son habitat naturel est celui des grands mystères, ceux « devant qui le mot perd pied 2  » . Moi qui suis dépassé par ce qu’on puisse désigner identiquement un raisonnement et un coucher de soleil ; que l’idée de beauté laisse indifférents ceux-ci ou divise ceux-là plutôt que de les réunir ; qu’un aveugle sache parler comme personne des couleurs et de la beauté d’un visage, d’un paysage ou d’un tableau 3  ; qu’elle soit arborée par certains en marque de distinction mondaine, ou de simple snobisme, ou par mode ; que l’on soit attiré par les signes de la beauté plus que par la beauté elle-même – il est pour Roland Barthes un art, il l’appelle « bourgeois », « qui n’a de cesse d’imposer non l’émotion mais les signes de l’émotion 4  » ; qu’on voie parfois en elle un luxe de nantis, peut-être l’indice d’une indifférence à la misère, aux laideurs et aux grands problèmes – drames, catastrophes – de nos sociétés, soupçon qui fait réagir Camus dans son discours de Stockholm : « Racine , en 1957, s’excuserait d’écrire Bérénice au lieu de combattre pour la défense de l’édit de Nantes 5  » ; et, bien plus, qu’on puisse et qu’on ose encore en parler et tout simplement la distinguer dans un monde qui, de Néron à Beria, est défiguré par la monstruosité.
S’ajoute ici un léger contre-emploi : mieux que des ariettes, chantonnées puis destinées à l’oubli 6 , la beauté semble plutôt appeler le faste des grandes orgues. Ne rime-t-elle pas souvent avec somptuosité, solennité, majesté ? Oui, mais tout autant doit-on l’associer à une forme de clandestinité, elle qui, aussi bien, fuit les estrades et les pavois, ne se révèle qu’à celui qui la recherche, se donne à entendre dans le murmure ; voire se dérobe dans le fin silence.
1 . Bernard Fournier, À l’écoute des quatuors de Beethoven , Buchet-Chastel, 2020, p. 14.
2 . … selon la formule de Yann Queffélec.
3 . Peintre et écrivain, Hugues de Montalembert a été aveuglé à 35 ans par un jet criminel d’acide à New York. « Tu verras ce que la lumière rend invisible, tu verras la beauté », lui dit alors Aho. Et, en effet, le voici à l’aube, sur une plage indonésienne, s’émerveillant dans l’inexorable de sa cécité devant « le coucher de la nuit dans une splendeur de mauve, de pourpre, de violet, de vermeil qui révèle au-delà de la mer, pour quelques secondes, immense, fabuleux, mythique, le volcan de Lombok ». Hugues de Montalembert, La Lumière assassinée , Le Livre de Poche, 1983, p. 116 et 227.
4 . Roland Barthes, Mythologies , Seuil, 1957, p. 189.
5 . Albert Camus à Stockholm : Discours de Suède, Gallimard, 1958, p. 29.
6 . … comme celles de Claude Debussy , les Ariettes oubliées.
Admiration

B EAU et admirable, deux synonymes ? Tenons-nous pour beau ce que nous admirons et, à l’inverse, admirons-nous ce que nous trouvons beau ? Si cela était, notre langue aurait fait l’économie d’un mot.
Il faudra bien tenter, dans ces pages, de cerner ce qu’est le beau. Intimidé par une tâche que je sais impossible, j’essaie ici de la repousser à plus tard, à plus loin, profitant de la position du « A » dans l’alphabet tout en maudissant le peu de répit que me laisse celle du « B » ; et sachant que de toute façon je n’y réussirai pas, sauf à me défausser en adoptant la définition conciliante mais un peu courte d’Umberto Eco  : « La beauté est tout ce que les hommes appellent beauté 1  » ; ou à prendre à rebrousse-poil Paul Valéry quand il prétend qu’« il n’est rien de si beau que ce qui n’existe pas 2  », et tout autant cet interlocuteur de Jean Grenier pour qui « ce qui est beau, c’est ce qui provoque une sorte de sommeil 3  » ; ou, plus gravement, à tenir avec Malraux l’« art pour un antidestin », et alors à construire mon « Musée imaginaire », moins pour définir la beauté que pour échapper à mon humaine condition. Ainsi pourrai-je « rejoindre une transcendance » et « [me] tenir encore droit ». Car, pour lui , l’Art est devenu « le domaine où s’unissent toutes les œuvres qui nous atteignent » ; toutes les œuvres, « non pas exclusivement celles qui correspondent à un certain canon de la beauté, mais plutôt celles qui portent, avec le frémissement du sacré, un signe de la grandeur de l’homme 4  ».
Ou, dit un peu autrement par Simon Leys : « le beau, une antichambre du Paradis 5  » ?
L’admirable, lui, est moins impressionnant car il s’évalue. J’admire un objet, un être, un raisonnement, à l’aune que j’ai adoptée. Alors que le beau semble me renvoyer à la seule subjectivité, l’admirable comporte un zeste d’objectivité. La tour Eiffel ne peut pas ne pas être admirée pour l’exploit technique dont elle témoigne ou la rapidité et l’ingéniosité de sa construction. Pour autant, est-elle belle ? À Pékin, bien difficile de ne pas admirer la Cité interdite ou, à Bayeux, la tapisserie de la reine Mathilde ; mais le jugement reste libre. Admirable cette analyse détaillée des comptes publics de la République de Weimar, admirable cette mise au point « définitive » sur les relations entre Washington et La Fayette, mais belles ? À chacun son idée.
Admirable aussi le Mont-Saint-Michel pour son intrépidité face à la mer, l’esprit de résistance qu’il porte en lui, la hardiesse de sa construction, lui qui est « grâce et magnificence, force et subtilité, ampleur et sveltesse » (Montherlant ), « fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument, la plus admirable demeure gothique construite pour Dieu sur la Terre » (Maupassant , qui pousse là-devant « un cri d’étonnement »). Admirable, oui. Mais beau ? Les opinions divergent : « La beauté sublime » pour Stendhal ; mais aussi « très surfait » pour Léautaud , « grande déception » pour Alphonse Allais , « un sépulcre, moins la paix », conclut Michelet 6 . Quant à lui, Flaubert consacre quatre pages à une description détaillée du lieu, mentionnant – une seule fois – son admiration sans jamais dire s’il y a, ou non, trouvé de la beauté 7 .
La distinction entre l’admirable et le beau est pourtant mince et elle laisse souvent l’un se mêler à l’autre. Si l’on trouve belle la tour Eiffel, n’est-ce pas d’abord à cause du lien de sa forme avec une pensée ? Cette forme est en effet celle qui a été calculée pour assurer une pression égale à tout étage 8  : où la beauté de la fonction exponentielle – à laquelle on peut être sensible sans connaître ce que recouvre ce mot – rejoint l’admiration que nous portons à l’objet et s’ajoute à elle.
1 . Umberto Eco, Sur les épaules des géants , Grasset, 2018, p. 38.
2 . Paul Valéry, Variété 1 et 2 , Gallimard, « Idées », 1978, p. 61.
3 . Jean Grenier, Mes candidatures à la Sor

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