La religion existe-t-elle ?
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Description

On l’a ressassé à l’envi, notre monde contemporain vit un retour en force du religieux. Mais qu’est ce que la religion ? Cette question qui semble de prime abord naïve est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, d’origine latine, le mot religion (religio) devint une nouvelle catégorie de pensée à l’époque impériale romaine ; le christianisme l’infléchira dans un sens original conforme à sa doctrine monothéiste.

Alors que tout et chacun croit savoir ce qu’est la religion, l’idée n’est guère traduisible dans de nombreuses langues. D’une part, le mot religion permet de rendre compte d’idées et pratiques volontiers qualifiées d’universelles ; d’autre part, il distord la multiplicité des usages et pratiques observés (mythes, symboles, rites) pour les rapporter d’autorité à la pensée occidentale. La religion serait-elle moins universelle qu’il n’y paraît ? Existe-t-elle en soi?

Baudouin Decharneux, Maître de recherches du FRS-FNRS et professeur à l’Université libre de Bruxelles, est philosophe et historien des religions. Membre de l’Académie royale de Belgique, il a publié de nombreuses études sur le judaïsme hellénisé, le christianisme des premiers siècles, la philosophie de la religion.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 10
EAN13 9782803103201
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA RELIGION EXISTE-T-ELLE ?
BAUDOUIN DECHARNEUX
La religion existe-t-elle ?
Essai sur une idée prétendument universelle
Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique ISBN 978-2-8031-0320-1 © 2012, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume 8
Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be
Crédits Photo de couverture : Moïse recevant les Commandements,Moutier-Granval Bible.Add. 10546, fol. 25 v. – © The British Library Board
Conception et réalisation : Grégory Van Aelbrouck, Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Publié en collaboration avec
L'Aurore - Editions numériques rue de Verlaine, 12 - 4537 Seraing-le-Château (Belgique) contact@laurore.net www.laurore.net
Informations concernant la version numérique ISBN 978-2-87569-019-7
A propos L’Aurore est une maison d’édition contemporaine, intégrant l’ensemble des supports et canaux dans ses projets éditoriaux. Exclusivement numérique, elle propose des ouvrages pour la plupart des liseuses, ainsi que des versions imprimées à la demande.
Au Professeur Hervé Hasquin, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, ces quelques lignes philosophiques en témoignage de respect et d’amitié. Ce livre est le prolongement de plusieurs conférences prononcées en tant que membre au sein de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, ainsi que de plusieurs enseignements au Collège Belgique. Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur le Secrétaire perpétuel de notre Académie, le Professeur Hervé Hasquin, et l’Administrateur délégué du Collège Belgique, Madame Marie-José Simoen, pour le soutien qu’ils m’ont apporté lors de ces manifestations scientifiques. Que les lignes qui suivent reviennent vers eux comme une modeste forme de reconnaissance.
Introduction
Depuis presque une vingtaine d’années, j’enseigne la philosophie de la religion à l’université de Bruxelles. J’ai donc pu observer l’intérêt croissant des étudiants pour cette matière qui ne laisse pas d’intriguer au sein d’une université n’affichant aucune religion, confession ou philosophie (au sens d’engagement au sein d’une École philosophique) au fronton de son porche. Il est vrai qu’on ne peut s’adonner à l’étude des sciences dites « humaines » sans penser le religieux, même de façon oblique. Il est vrai aussi que l’étude des idées ou faits religieux, pour obsolète qu’eut paru l’entreprise il y a deux ou trois décennies, est revenue au centre des préoccupations de nombreux chercheurs pour des raisons sociopolitiques s’écartant du questionnement qui retient ici mon attention.
Mon propos est de soumettre à la sagacité du lecteur deux hypothèses sur le sens du mot « religion » : d’une part, je suggère que la religion seraitune déclinaison complexe du thème de la parenté ; d’autre part, j’avance l’idée qu’« invention romaine », elle serait un effort de relecture de la tradition qui serait philosophiqueen soi. Hegel, mieux que tout autre, n’a-t-il pas souligné que la religion est la conscience de soi de l’Esprit absolu ? Parce que, d’une part, l’homme, prenant conscience de l’Esprit qui l’animait, s’élevait vers l’Esprit absolu par le religieux, renonçant du même coup à sa singularité ; d’autre part, que c’était au travers des 1 religions (et donc de leur idiosyncrasie respective), que l’Esprit prenait conscience de soi . Tout un programme. Sans nous inscrire dans le sillage du penseur idéaliste allemand, on conviendra qu’il est impossible de rendre compte d’un tel héritage sans éprouver quelque vertige des cimes ou appel du vide. En effet, le notaire capable de dresser la liste des héritages, rentes et autres acquêts que nous a légués la religion, n’est pas encore né, même si, concédons-le au vu de l’actualité, il est parfois des legs dont on ferait volontiers l’économie.
Qui dit religion dit universalité. Le nombre des volumes – qu’il s’agisse de dictionnaires, d’encyclopédies, de lexiques, d’atlas – s’attachant à l’examen critique des discours et faits religieux ne cesse de croître. Une des définitions de l’homme, et des plus subtiles, ne propose-t-elle pas de le démarquer des autres animaux en sa qualité d’homo religiosus ? Du coup, l’essence de l’homme serait religieuse. Déjà en 1550, lorsque le dominicain espagnol Bartholomé de Las Casas s’opposa avec brio au théologien Juan Ginès de Sepúlveda sur la question de l’humanité des Indiens d’Amérique, la pratique d’une religion, même diabolique, ne fût-elle pas considérée comme une preuve plaidant en faveur de l’intelligence des Indiens ? Le sectateur d’une religion dirigée par des puissances maléfiques, pour inquiétant qu’il soit, n’en reste pas moins un converti en puissance. Les nouveaux sujets de leurs majestés très catholiques allaient goûter sans tarder aux bienfaits d’une religion brûlant de les convertir à la vraie foi. Les lendemains s’annonçaient radieux pour les aventuriers du colonialisme et du missionnarisme.
Point d’homme sans religion:est le point de départ de nombreuses études générales se tel réclamant des sciences des religions. La religion aurait eu pour fonction première de répondre à nos interrogations sur la mort, sur la vie, sur la nature… L’homo sapiens, un être doué de propriétés d’autant plus remarquables qu’elles sont nôtres, aurait, grâce à ses capacités d’abstraction et de synthèse, sinon inventé, du moins déployé la religion (l’homme de Neandertal rendait un culte à ses morts). Certains chercheurs ont franchi le pas, dissertant volontiers sur la religion de l’homo sapiens. L’homme serait donc un être voué à la religiosité, vivant dans des systèmes religieux, pratiquant une religion. Derrière cette affirmation, se niche l’idée que sitôt l’homme capable d’universaliser ses raisonnements, la religion apparut. Celle-
ci n’est-elle pas définie comme une pratique universelle ? L’idée de l’homme comme animal religieux par nature (le fonctionnement de son cerveau, les capacités afférentes à celui-ci induiraient la religiosité, comme certains neuroscientifiques tentent de le démontrer) est certes séduisante, mais ne s’agit-il pas d’une relectureaposteriori, d’une surinterprétation, de phénomènes, d’objets et de faits que nous réorganisons en fonction de notre propre lecture du monde ? La religion est avant tout un mot et qui dit mot, dit catégorie de pensée. Entre la pensée, le mot, son énonciation et son écriture, il est un cercle à la fois vertueux – sans lui, aucun sens n’est possible et il préside à toute forme de pensée philosophique – et contraignant – une fois le champ d’extension défini, il n’est guère aisé d’échapper à son emprise. Le ruban de Möbius a ceci de fascinant pour celui qui voudrait suivre le cheminement auquel il invite : il permet de parcourir les courbes d’une même réalité, mais n’autorise pas de s’en écarter. D’où vient le mot « religion », dont nous usons et abusons ? Qui l’a coulé dans des formes à ce point commodes qu’elles nous permettent de désigner par ce seul vocable des discours, des pratiques, avant tout révélateurs de la différence ? Le soupçon que je souhaite partager avec le lecteur est que le mot « religion » amortit le choc de l’altérité. Non la proclamation du fameux choc de civilisation ou de culture, dont l’objet serait d’oblitérer l’idée qu’un enrichissement par et au travers des différences puisse s’opérer et aider l’humanité à s’humaniser, mais bien ce choc que l’étrangeté provoque en nous lorsqu’elle va à la rencontre de l’étrange qui y sommeille. L’étranger révèle l’étrange qui est en nous, a dit Marcel Detienne. Rien n’est plus juste. Le mot « religion » aurait-il pour fonction première d’amortir, voire d’occulter, le caractère parfois radical de l’altérité ? La religion existe-t-elle ? Curieuse question. Peut-on parler de l’existence d’un concept en soi comme on devise d’un être, d’un phénomène naturel ou d’une production matérielle ? La religion est et reste une idée. Il y a quelque chose de médiéval dans cette interrogation. Dieu existe-t-il ? Quelles sont les preuves de son existence ? Certes, le débat semble dépassé comme on aime à le dire, puisque les Modernes, Kant au premier chef, ont réglé philosophiquement le questionnement sur Dieu, l’âme, le monde. Il nous faut faire silence. « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », dira Wittgenstein en écho. Il ne peut être question de conférer à un concept, une idée ou un produit de l’imagination, la qualité d’exister, sous peine de confondre nos chimères et autres illusions avec le monde. C’était déjà l’objection que e Gaunilon, moine de Marmoutier au XI siècle, adressait à saint Anselme lorsque ce dernier prétendit démontrer l’existence de Dieu. Il y a existence et existence. Pourtant, nous ne cessons de parler de la religion de l’autre comme s’il s’agissait d’une réalitéen soi. Il y aurait une religion juive, une religion chrétienne, une religion musulmane ; plus surprenant encore, on parle d’une religion animiste, de religions préhistoriques, des religions amérindiennes, de la religion des aborigènes… La religion est étudiée comme un fait. Il existerait donc des faits religieux. Objectivable, observable, quantifiable, le fait religieux peut ainsi être appréhendé, analysé, étudié, compris. Pour ce faire, les observatoires du fait religieux se multiplient, scrutant ces nouveaux objets du savoir du haut des tours et donjons académiques. Il existe même des baromètres du religieux qui, au degré près, nous diraient notre état d’ébullition politico-religieux. Au risque d’être perçu comme un iconoclaste, je pense qu’une telle catégorisation est avant tout le produit d’une certaine lecture occidentalo-centriste du monde – ce qui par ailleurs ne diminue en rien son intérêt – mais qu’elle a principalement pour objet de nous rassurer face à une diversité de discours et de pratiques qui résistent à nos entreprises de réduction. La religion fait peur, aussi nous efforçons-nous de l’écarter de nos vies en l’apprivoisant, en l’objectivant. Las, tenter d’objectiver une idée ne fait qu’agrandir la distance qui la sépare de nos existences concrètes. À force de réifier le religieux, nous le nimbons de mystère au point d’induire son retour sous des formes indésirables. Qui déjà parlait d’un éternel retour de l’identique ?
Du côté des Latins : entre religion et superstition
2 L’origine latine du mot « religion » :relegere Depuis l’Antiquité, le mot « religion » (latinreligio) a fait l’objet de lectures multiples et er contradictoires. Ainsi, au I siècle avant notre ère, Marcus Tullius Cicero (106–43 avant notre ère), prestigieux politique et orateur romain, s’est attaqué à la délicate question de l’étymologie du motreligiodans son traité sur la nature des dieux(De natura deorumII, 71– 72).ce lettré pétri de philosophie grecque, le mot Pour religio proviendrait derelegere, un verbe qui signifie « relire ». Ceci entraînerait la nécessité d’opérer une distinction entre religio etsuperstitio. Cicéron nous dit que ce ne sont pas uniquement les philosophes, mais aussi les ancêtres du peuple romain, qui ont distingué la religion de la superstition. En effet, ceux qui, des journées entières, adressaient des prières aux dieux et leur immolaient des victimes pour que leurs enfants leur survécussent, ont été les a qualifiés de superstitieux (superstitiosi sunt appellati). Plus tard, cette acception s’élargit et prit un sens plus étendu. Ceux qui, en revanche, s’appliquaient avec diligence au culte des dieux, en le reprenant et en le relisant, méritaient le qualificatif de religieux, car ils s’efforçaient de relire avec soin la tradition. Il s’agit d’une façon de relire et d’élire le divin. Il y aurait donc une différence fondamentale entre le superstitieux et le religieux ; la première posture serait en fait la manifestation d’une faiblesse, à savoir un vice ; la seconde mériterait quant à elle des louanges, car manifestant une vertu, il s’agirait dès lors d’une qualité. Ainsi, relèveraient de lasuperstitioles comportements qui, par un excès de rites, de prières, de sacrifices, bref une majoration des pratiques visant à conjurer la crainte du divin, auraient pour but de convaincre les dieux, d’assurer une protection à une famille, à un clan, en faisant en sorte que des enfants survivent à leurs parents. Ceux qui survivent et sont capables d’attester la survivance d’un lignage, assurant la postérité d’une famille (gens), attestent de la puissance d’un clan, assurent la domination politique d’une fratrie. Ces lignes ne vont pas sans évoquer lesimagines qui, sous la forme de masques de cire, étaient pieusement conservées par les familles romaines patriciennes dans des niches, comme les traces ressemblantes des ancêtres et étaient étroitement associées à la maison où avaient vécu les défunts. Moulures du visage du mort, ces images témoignaient de la coprésence des ancêtres au sein de la vie domestique et de la pérennité du lignage au travers des avatars du temps. Les plus puissants avaient droit à une cérémonie au forum durant laquelle un homme influent de la famille prononçait un éloge funèbre. Derrière l’orateur, était placée la litière sur laquelle se trouvait le corps du mort ; et des acteurs, choisis pour leur physique ressemblant à celui des ancêtres et portant les masques de ceux-ci, assistaient à l’exercice oratoire. Manifestation de la puissance d’une famille, accueil d’un homme accédant au rang d’ancêtre, travail de mémoire, cet exercice difficile entre tous était de toute évidence un acte politique qui asseyait les prérogatives de ceux qui, pratiquant les antiques vertus, respectant les mœurs ancestrales, étaient donnés en exemple aux autres citoyens. L’orateur était ainsi placé devant un choix : verser dans la superstition en faisant l’éloge convenu des ancêtres, une posture démagogique en soi vicieuse, car n’ayant pour objet que la manifestation de la volonté de puissance d’un clan ; ou s’appliquer à la relecture diligente des faits, gestes et dits des prédécesseurs, les rendant à nouveau présents au plus grand bénéfice de la vie de la cité, une posture vertueuse. C’est toute la différence entre l’art du sophiste et celui du philosophe, un distinguo cher à Platon, qui est ici comme mis en scène dans un contexte romain. La Rome antique n’avait pas de théologiens ou, pour être plus précis, ses théologiens se nommaient...
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