Ricoeur face à l'analogie

Luca M. Possati

Description

La démarche analogique ricoeurienne tient ses racines dans la réponse du théologien protestant Karl Barth au défi de l'analogia entis. Le détour théologique ouvre une nouvelle image de l'oeuvre de Ricoeur, mais aussi un terrain philosophique inexploré : les analogués de l'analogie. L'exercice exégétique devient alors une conversation entre Ricoeur, Barth et Derrida.

Sujets

• Philosophie
• Religión
• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 mars 2012
• Nombre de lectures: 46
• EAN13: 9782296485037
• Langue: Français

Extrait

Ricœur face à l’analogie
Ouverture philosophique
Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau ,
Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot
Une collection d’ouvrages qui se propose d’accueillir des travaux originaux sans exclusive d’écoles ou de thématiques.
Il s’agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu’elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n’y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu’habite la passion de penser, qu’ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
François URVOY, Le temps n’est pas ce que l’on croit , 2012.
Stanislas DEPREZ, L’homme, une chose comme les autres ? , 2012.
Bertrand DEJARDIN, Ethique et esthétique chez Spinoza , Liberté philosophique et servitude culturelle , 2012.
Stefano BRACALETTI, Le paradigme inachevé. Matérialisme historique et choix rationnel , 2012.
Laurence HARANG, La valeur morale des motifs de l’action . Motivation éthique et motifs , 2012.
Olivier LAHBIB, Avoir, Une approche phénoménologique , 2012.
Dimitri TELLIER, La métaphysique bergsonienne de l’intériorité. Se créer ou se perdre, 2012.
Alessia J. MAGLIACANE, Monstres, fantasmes, dieux, souverains. La contraction symbolique de l’esprit chez Sade, Dick, Planck et Bene , 2011.
Xavier ZUBIRI, L’homme, sa genèse et sa durée. Etudes anthropologiques II , 2011.
Xavier ZUBIRI, L’homme, sa réalité et ses structures. Etudes antrhopologiques I, 2011.
Élysée SARIN, Épistémologie fondamentale appliquée aux sciences sociales , 2011.
Pierre DULAU, L’arche du temps , 2011.
François HEIDSIECK, Simon Weil , 2011.
Luca M. Possati
Ricœur face à l’analogie
Entre théologie et déconstruction
L’HARMATTAN
© L’HARMATTAN, 2012
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
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ISBN : 978-2-296-96337-5
EAN : 9782296963375
Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre.
L’Ecclésiaste , III, 7
Mais si l’on considère maintenant que le point, comme limite, n’existe pas en acte , n’est pas (présent), n’existe qu’en puissance et par accident, ne tient son existence que de la ligne en acte, alors il n’est pas impossible de conserver l’analogie du gramme.
J. Derrida, Ousia et grammè
Accepter le temps, ce tableau de nous.
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit
PREFACE
L’objet de ce livre est la question de l’analogie chez Paul Ricœur. Le style y est archéologique. Nous effectuons une régression visant à la récupération du refoulé du texte, proprement de ce qui produit l’inconscient dans le discours traité – la valeur herméneutique de la psychanalyse restant intacte. Entre la phénoménologie et le transcendantal, l’archéologie est l’inverse de l’histoire : la première commence là où la deuxième finit ; elle passe au-dessous des distinctions entre histoire et historiographie, conscient et inconscient, rationnel et irrationnel, à la recherche d’une arché qui n’est ni un principe transcendantal ni une condition empirique. Cette recherche se veut être une tentative de contribution au projet d’une histoire critique, sur le plan archéologique, de l’analogie 1 .
C’est donc un essai sur un auteur, sur la logique interne de son œuvre. Néanmoins, c’est aussi un essai sur un problème général et autonome, qui dépasse les voies textuelles et ouvre des prolongements inattendus. L’analogie se révèle le lieu des tensions qui traversent et travaillent le geste de Ricœur. Car « comprendre une pensée comme une œuvre , c’est savoir que ce qu’il y a en elle de plus intéressant n’est pas toujours l’hypothèse dont elle part, la manière dont elle procède et les conclusions sur lesquelles elle débouche ; c’est savoir qu’à côté des thèses et des contradictions, il y a aussi des présupposés, des accents, des digressions, des suspens, des lacunes, des non-dits, des choix et des sympathies, des espoirs et des tensions » 2 .
Les trois premiers chapitres dessinent une matrice à la fois historique et systématique. Une telle matrice est mise à l’épreuve dans les chapitres IV, V et VI. L’hypothèse majeure, c’est qu’une philosophie de l’analogie déguisée, inachevée, masquée traverse la pensée Ricœur , en constituant l’énergie créative profonde de celle-ci. Chez Karl Barth nous retrouvons la fondation d’une telle mouvance. Ricœur et Barth ? Cette conjonction – qui n’est pas simplement historique – devra se justifier progressivement et de l’intérieur.
Quels sont les avantages d’un tel parcours exégétique ? La téléologie répond à l’archéologie. Le détour barthien ouvre sous nos yeux non seulement une nouvelle image, très unitaire, de toute l’œuvre de Ricœur, mais aussi un terrain philosophique inexploré : les analogués de l’analogie . L’analogie se transforme et devient grammata- analogie . Derrida, à ce propos, aura tant de choses à nous dire !
Une excuse finale : la question de l’herméneutique biblique 3 a été laissée intentionnellement de côté. Peut-être méritait-elle un meilleur traitement, mais cela nous aurait conduit bien trop loin.
1 Cfr. E. Melandri, La linea e il circolo. Studio logico-filosofico sull’analogia , Macerata, Quodlibet, 2004 (I éd. 1968).
2 S. Petrosino, Jacques Derrida et la loi du possible , tr. fr. par J. Rolland, Paris, Cerf, 1994 (I éd. 1983), p. 20.
3 Cfr. P. Bühler, D. Frey (dir.), Paul Ricoeur : un philosophe lit la Bible , Genève, Labor et Fides, 2011.
CHAPITRE PREMIER : LA FRAGILITE DE L’ANALOGIE
DANS LE VOLONTAIRE ET L’INVOLONTAIR E
Ich halte die analogia entis für die Erfindung des Antichrist.
K. Barth 1
1. Im Anfang war die Tat ! 2
Nous choisissons un point de départ insolite et en quelque sorte provocateur : le premier Ricœur, les ébauches de la phénoménologie de la volonté et les « textes mineurs » des années Trente et Quarante. C’est le jeune Ricœur, le philosophe en était à ses débuts. Cependant, il y a ici quelque chose de fondamental.
Notre effort archéologique et philologique se penche sur les marges du discours ricœurien, sur les endroits les plus méconnus où l’histoire – et les interprétations « scolaires » – n’arrivent pas. L’effet de fragmentation que les trois premiers chapitres nous donneront sera émoussé par la référence barthienne. Tout à coup, Karl Barth élargira notre regard, en ouvrant la voie vers une relecture globale de l’œuvre de Ricœur – au-delà du Ricœur classique.
Le but central de Le volontaire et l’involontaire – la thèse de doctorat de Ricœur – n’est pas simplement de tracer les limites d’une phénoménologie de la volonté qui serait un prolongement de la phénoménologie du corps à la manière de Merleau-Ponty, ni d’ouvrir la voie à une enquête plus vaste, celle esquissée dans L’homme faillible et puis réalisée dans La symbolique du mal , ni même d’engendrer un plaidoyer contre l’ontologie du néant de Sartre et l’athéisme contemporain. Le refus d’une apologétique chez Ricœur est évident : « Nous récusons clairement les prétentions d’une apologétique trop zélée qui prétendrait tirer Dieu de la nature ou de la subjectivité par simple implication rationnelle » 3 . La double prise de distance de la théologie naturelle et du monadisme de la conscience transcendantale ouvre un espace philosophique tout nouveau et engendre une mise en question radicale de la modernité. C’est le modernisme paradoxal de Ricœur 4 .
Pour saisir l’originalité de Le volontaire et l’involontaire , il faut en considérer d’abord les trois acteurs principaux : la volonté (la réciprocité du volontaire et de l’involontaire), la faute et la Transcendance. Ce sont trois dimensions tout à fait distinctes : la volonté qui décide face à son corps, la volonté coupable et la volonté qui veut parce qu’elle est voulue . Il n’y a pas de passage linéaire de l’une à l’autre : l’unité pose problème. Or, Ricœur nous dit que pour comprendre au fond la réciprocité du volontai