Victor et les autres mondes : Conte philosophique , livre ebook

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La civilisation terrienne s’est-elle vraiment éteinte après l’Apocalypse nucléaire et écologique ? Pour préparer le retour sur Terre, l’amiral Colette, chef de la Colonie sur Mars, décide d’y envoyer Victor Lambda, pourtant simple appelé, mais désigné par Athéna, l’intelligence artificielle au jugement incontesté. Mais pourquoi moi ? se demande Victor en apprenant qu’une première mission d’éclaireurs d’élite a disparu. Lancé à leur recherche, voici Victor sur le rivage d’une île du Pacifique… habitée. Auprès de ses indigènes, tous jeunes, beaux, oisifs et fervents disciples du dieu de l’amour, l’explorateur découvre une vie en société bien différente de la sienne et, semble-t-il, idyllique. Mais Victor n’est pas au bout de son voyage, ni de ses rencontres avec d’autres mondes : que va-t-il apprendre sur lui-même dans cette odyssée ? Dans la tradition du conte philosophique, avec la modernité d’un roman d’anticipation à suspense, ce récit invite à réfléchir sur la justice sociale, l’amour, la technologie… et, surtout, la liberté. François Lelord est psychiatre et auteur du grand succès Le Voyage d’Hector ou la Recherche du bonheur, publié dans trente-cinq pays et adapté au cinéma. 
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Date de parution

20 avril 2022

Nombre de lectures

0

EAN13

9782415001469

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Titre original : Es war einmal ein blauer Planet by François Lelord © 2020 Penguin Verlag A division of Penguin Random House Verlagsgruppe GmbH, München, Germany.
Pour l’édition française :
© Odile Jacob, AVRIL  2022
15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0146-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour A., voyageur entre deux mondes.
– Contente de vous voir, me dit l’amiral Colette.
Mais elle a l’air contrarié, comme d’habitude. Je ne sais pas si elle l’est vraiment, ou si elle fronce ses beaux sourcils pour mieux affirmer son autorité. Souvent les femmes officiers supérieurs ont tendance à prendre cet air mécontent, je l’ai remarqué, à la manière des hommes lorsqu’ils occupaient encore ces grades, comme les prédécesseurs de l’amiral dont j’ai aperçu les visages sévères sur la rangée de portraits dans la coursive qui mène à son bureau.
– À vos ordres, amiral.
– Nous ne sommes pas en public, vous pouvez vous détendre un peu. Tenez, asseyez-vous.
Et elle me sourit.
Dois-je préciser que l’amiral Colette a un sourire chaleureux et même radieux ? C’est la deuxième fois que je la vois sourire depuis que je suis sous ses ordres, c’est-à-dire plus de deux ans. Sa chevelure couleur de bronze et d’argent est rassemblée en un impeccable chignon, dégageant son long ovale aux traits si réguliers qu’on pourrait la prendre pour un androïde. Mais non, les petites rides au coin de ses paupières qui se creusent quand elle me sourit montrent qu’elle est bien humaine.
– Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous ai fait appeler, sans passer par votre supérieur hiérarchique, le lieutenant Jessica.
– J’avoue être un peu surpris, amiral.
Surpris, le mot est faible. Comme simple soldat de deuxième classe, je n’ai jamais affaire directement à un officier supérieur, et encore moins à l’amiral, notre chef militaire suprême. Et comme de plus, je suis au-dessous de la moyenne de ma promotion à tous les tests, je ne me trouve aucune raison d’être là.
Je me sens intimidé. J’essaie de le cacher ; ce n’est pas facile, c’est un des inconvénients d’être jeune, on est plus émotif.
Derrière elle, par le grand hublot ovale, je vois tourner lentement notre planète, recouverte par la ouate grise de ses nuages qui se déchire par instants pour dévoiler le bleu profond d’un océan, cette couleur unique qui lui a donné le nom de Planète bleue.
L’amiral fait glisser son index sur l’écran de la tablette posée sur son bureau, je vois qu’elle parcourt un document.
– En fait, j’ai consulté le lieutenant Jessica, mais je me suis aussi fiée à Athéna.
Athéna est notre ordinateur central. Elle et ses versions précédentes ont tout recueilli de moi depuis ma naissance, mais je n’ai jamais eu accès qu’à des versions simplifiées de mon dossier. Mon dossier complet est accessible à l’amiral, qui lève son regard de l’écran et le plonge dans le mien. Elle a de beaux yeux gris, et on dit que ses iris sont naturels et ne doivent rien aux améliorations génétiques pourtant habituelles ici.
L’amiral m’examine avec attention.
– Vous n’avez aucune idée de la raison pour laquelle je vous ai fait appeler ?
– Non, amiral.
– Le lieutenant Jessica ne vous a donc pas mis au courant, cela me donne à penser qu’elle a quelque chose contre vous… ce que j’avais déjà déduit de son rapport sur vous, dit-elle en désignant sa tablette.
Elle a raison, bien sûr le lieutenant Jessica a quelque chose contre moi, mais je la ferme. J’ai déjà appris dans ma courte carrière militaire ce qu’il en coûte de médire d’un officier devant un autre même s’il semble vous approuver.
Devant mon silence, l’amiral comprend que je vais la boucler. Elle sourit à nouveau.
– Une raison ? Vous pouvez me donner une raison de l’hostilité du lieutenant Jessica à votre égard ?
Il y en a une, en effet. Quelques semaines auparavant, le lieutenant Jessica m’a fait appeler un soir dans sa cabine. Prétextant un malaise, je ne m’y suis pas rendu. Même demande trois jours plus tard, même motif de refus. À ce moment-là, des camarades m’ont dit que j’étais un idiot, que servir ainsi son chef n’avait rien de déshonorant, au contraire. Je ne suis pas contre par principe, mais il y a toujours eu quelque chose dans le regard du lieutenant, ses manières brusques, son ironie agressive, qui me déplaisait. D’autres camarades se sont révélés moins difficiles, et s’en sont trouvés bien quant à leur notation.
– Je ne sais pas, dis-je. C’est sans doute une question d’affinité.
– Une question d’affinité ? Avez-vous fait quelque chose qui ait pu la contrarier ?
– Pas que je m’en souvienne…
L’amiral sourit à nouveau.
– Excellent, vraiment. Vous me confortez dans l’idée que j’ai eu raison de vous choisir.
– De me choisir ?
Pendant une brève seconde, je pense que l’amiral m’a fait venir dans son bureau pour la même raison que le lieutenant Jessica m’a convoqué dans sa chambre. Je me sens rougir. Car même si l’amiral a près de deux fois mon âge, je sens que je ne serais pas insensible à son charme.
L’amiral remarque mon embarras.
– Mais non, je ne vous ai pas fait venir pour ce que vous pensez ! dit-elle en riant.
– Excusez-moi, amiral.
– Pas de problème. Vous n’avez pas une idée, vraiment pas ?
– Non.
Elle fait pivoter sa chaise et désigne notre planète.
– Et si vous partiez là-bas ?
Revenir sur Terre ! C’est le grand projet de la Colonie depuis au moins une génération.
Puisque je ne sais pas qui lira ce récit – ou si quelqu’un le lira jamais un jour – autant donner quelques explications. Nous vivons sur Mars. Au début, nous avons commencé comme une petite colonie de scientifiques, mais depuis près d’un siècle, nous sommes probablement tout ce qui reste de l’humanité.
Nous avons tous appris à l’école comment s’est terminée la dernière civilisation terrestre connue. Les choses allaient de mal en pis à la suite de catastrophes climatiques et de bouleversements économiques. Cela avait entraîné des vagues de migration et des guerres locales entre pays qui se disputaient l’eau ou les matières premières. Mais, un jour, une bombe thermonucléaire avait effacé une capitale d’Orient. C’était un attentat, la bombe avait été placée à l’avance, et non envoyée par un missile. Le pays touché avait de bonnes raisons de penser qu’une puissance rivale avait fomenté l’attentat, ou soutenu ceux qui l’avaient exécuté. Alors, un général de l’état-major, outrepassant les processus de décision, fit envoyer trois missiles en riposte. Le président des États européens avait appelé à la paix et à la modération, mais cela ne dura pas longtemps, car un nouvel attentat, ordinaire celui-là, lui avait coupé définitivement la parole. Après quoi, tout était allé de mal en pis, d’autres missiles avaient décrit leur courbe parfaite, chaque pays accusant d’autres de les avoir lancés, et puis assez vite personne n’avait plus pu accuser personne, car les nuages radioactifs et l’hiver nucléaire étaient arrivés, mettant fin à la fois à la civilisation et au réchauffement climatique, que l’on avait pourtant cru irréversible.
De Mars, la Colonie avait observé cette Apocalypse avec terreur et consternation. La vie sur Mars était difficile, source de claustrophobie, mais supportable à condition de garder l’idée qu’après un séjour de quelques mois ou années l’on pourrait revenir passer ses journées sur Terre à écouter le chant des oiseaux et le murmure des rivières en réalité non virtuelle. Mais voilà que la Terre n’était plus la Terre, et c’est pourquoi nous l’avons depuis nommée la Planète bleue, comme pour la laver de son passé tragique et lui donner un nouveau commencement.
C’était aussi une catastrophe pour tous les progrès techniques et scientifiques à venir. Jusque-là, la Colonie avait bénéficié sans cesse des avancées de la recherche mondiale dans tous les domaines. Désormais elle ne devait compter que sur elle-même, comme une université soudain interdite à jamais d’échanges avec le reste du monde.
Heureusement, comme on avait envoyé ici les – supposés – meilleurs individus possibles, rigoureusement sélectionnés, et comme l’intelligence artificielle était déjà assez avancée lors de l’implantation de la Colonie, on n’avait pas manqué de créativité pour s’adapter et arriver en une dizaine de générations à une petite société qui fonctionne aujourd’hui plutôt bien et qui n’a pas cessé d’accomplir des progrès technologiques et scientifiques.
Je ne dirais pas que tout est rose, mais en tout cas tout est parfaitement organisé pour une communauté de quelques centaines de personnes vivant sous une bulle qui nous protège de l’atmosphère toxique de Mars. Ça, c’est le point de vue optimiste, mais pas mal de gens ne se trouvent pas si heureux à la Colonie.
Pourquoi ? Parce que tout est prévu, soigneusement planifié avec l’aide d’Athéna, rien n’est inattendu. À part peut-être nos relations amoureuses, le dernier champ d’aventure qu’il nous reste. Ou plutôt qu’Athéna nous a laissé, car elle pourrait déterminer sans faillir la personne qui nous conviendrait le mieux pour une aventure ou pour une relation durable. Mais il a été décidé qu’il fallait nous laisser un domaine de liberté et d’imprévu. Mais, même là, rien n’est très risqué : en cas de chagrin d’amour, nous avons à notre disposition des thérapies de désensibilisation très efficaces. Après quelques

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