Célimène
140 pages
Français

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Célimène , livre ebook

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Description

Le père de Stella l’emmène au théâtre voir Le malade imaginaire de Molière alors qu’elle n’a que dix ans. C’est pour elle une révélation et la vue du fauteuil dans lequel l’auteur joua pour la dernière fois ne lui inspire qu’une envie : rejoindre la Comédie Française. Comédienne pleine de talent, elle réalise son rêve grâce à sa ténacité et à la sensibilité extrême qu’elle met dans son jeu. Mais la jeune femme pleine de vie sur scène est comme morte dans la vie réelle. Depuis la mort de sa mère, entourée des non-dits de son père, elle est tombée dans une dépression larvée. Mais le soutien de son mari et le rôle de Célimène vont l’aider sur le chemin de la guérison.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2004
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748369519
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Lionel et à Charles, mon père.
Mes remerciements à Marie Gispert,
pour sa collaboration à ce livre.
«  Le Misanthrope   : le sommet dont aucune ascension,
fût-elle la plus parfaite, la plus élégante et la plus lum i neuse,
ne sa u rait épuiser le mystère toujours vierge. »
Jacques Weber
Chapitre 1

Le jour venait à peine d’entrer dans la chambre, un lit défait laissait voir un corps alangui, une main caressait le mohair de la couverture mais la femme, sans force, se m blait pouvoir à peine se mouvoir ; elle regardait sans joie la rue de Seine qui s’éveillait dans le calme du matin.

Elle étire ses bras en soupirant, regarde autour d’elle. Hauteur de plafonds, boiseries, cheminée, vue sur jardin ; elle s’en était lassée, ne profitait guère de tout ce « luxe, calme et volupté » qui avait nourri naguère ses rêves.
Elle tourna son regard vers sa penderie, à demi-ouverte. Sur sa chauffeuse, face à elle, les vêtements déjà mis ; une étrange fatigue la poussait à remettre la même chose qu’hier sans pouvoir accéder aux autres vêtements alignés dans la penderie. Des souvenirs anciens se heurtaient dans sa conscience à demi-éveillée. Elle posa un œil distrait sur un de ses chemisiers dont la blancheur la fit frémir. Elle retrouvait la chambre blafarde, entourée d’une volée d’infirmières et d’aides-soignantes. Un court instant, elle sentit passer dans ses veines le liquide d’une perfusion. Encore quelques instants et elle se sentit pétrifiée, bousc u lée dans une foule compacte ; de vieux messieurs, la mine grave, en costumes sombres, se composaient des airs de condoléances, en faisant bouger leurs lèvres, sans qu’aucun son ne pût se faire entendre ; tandis que Stella qui aurait bien voulu pleurer sans savoir pourquoi, retenait des larmes, qui pendant vingt ans ne devaient plus cesser de couler.

« Et parfois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l’approche des humains »

J’ai pourtant fui ces plaines arides que la vie déserte, j’ai lutté, j’ai souffert, j’ai crié, je suis même un peu morte, ou du moins, j’ai cru l’être un moment. Ma chère petite Stella, tu ne te souviens pas, tu as oublié celle que tu vo u lais être ? N’as-tu pas mis tous tes espoirs et toute ton énergie à conquérir tout ce qu’est la fraîche et vive Cél i mène, séduisante, éblouissante dans la scène des portraits. Et maintenant, que veux-tu, gâcher tout cela, abolir à j a mais la Stella de Molière, l’insouciante, la légère, la terrible et charmante Célimène ?
Stella ! Stella ! Veux-tu encore que ceux qui t’aiment prennent peur, te fuient, t’abandonnent sans plus chercher à te comprendre, te fassent encore plus souffrir de leur a b sence ?

« Moi, renoncer au monde avant que de vieillir Et dans votre désert aller m’ensevelir ? »

Non, jamais plus de déserts…
La jeune femme se lève. Elle va vers la chauffeuse et les vêtements. Elle les met à la hâte, les uns sur les autres. Dans son miroir, Stella se regarde. « Un effort pour me coiffer ! » Elle se sourit quelque peu dans la glace. Ton brillant et si fragile reflet dans la glace, ta peau diaphane qui restait dans la pénombre ignorée de ces belles bois e ries, que de fois aurais-tu voulu qu’il rencontrât le regard d’un proche ou d’un ami ! C’était toujours la même sol i tude qui t’accablait, tristement peuplée d’Agnès, de Roxane, de Camille, d’Araminte, d’Elvire ou Bérénice, sur la scène du Français où, absente à toi-même, mille regards te criblaient, pénétrants, et abandonnée des tiens, ton seul réconfort était de retrouver dans les yeux de la foule an o nyme la joie que tu leur donnais et qui confirmait ton talent.
Stella a des cheveux magnifiques, blonds dorés. Elle les coiffe avec élégance. Elle fait lentement glisser la brosse sur sa longue chevelure avec la lassitude de l’amante d é laissée car Hugo, depuis longtemps déjà, ne joue plus avec ses belles mèches couleur de blé mûr ; lui aussi ne co m prenait pas très bien ce qui se passait et ses caresses devenaient de plus en plus gauches à mesure que la mal a die l’éloignait de toi.
Plus que du silence de la pièce, Stella souffre de l’attente anxieuse d’un coup de fil qui ne vient pas. Que j’aimerais qu’il sonnât ce téléphone, que ce fût Hugo, qu’il te dise trois fois rien, des choses banales et tendres. Tort u rante attente auprès d’un téléphone muet, une journée entière passée à guetter une sonnerie qui ne retentira pas et dont l’absence amplifie le silence. Elle sent soudain sa gorge se nouer – légère et confuse angoisse – comme si elle se sentait étrangère en des lieux pourtant si familiers. Elle enfile un manteau de laine gris clair, ouvre précip i tamment la porte, dévale l’escalier et se retrouve dehors, ragaillardie par la fraîcheur de l’air matinal. Dans le jour commençant, la rue de Seine s’éveille à peine, le spectacle banal des garçons de café et des livreurs qui s’activent l’absorbe et la ravit.
Insouciante, elle marche dans la rue puis se rend compte qu’elle a envie d’un croissant. Quoi de plus si m ple ! Stella descend jusqu’au Café des Deux Magots, à deux pas. Il est tôt encore. Les touristes ne sont pas arr i vés. À la terrasse, il y a de la place. Les garçons de café, tablier blanc, lui sourient d’un air complice. Ici, aux Deux Magots, Stella a l’impression d’être vraiment chez elle, incognito ; pour le garçon, elle n’est qu’une simple hab i tuée, loin de la pompe de la Comédie Française et loin des regards qui reflètent l’éclat de ses succès ou l’angoisse terrible de l’échec qui l’assaille à chaque fois qu’elle monte sur les planches.
Chapitre 2

—  Que dirais-tu, Stella, d’aller voir Le Malade Imag i naire à la Comédie Française pour ton anniversaire ? avait demandé un jour son père qui voulait lui faire un beau cadeau pour ses dix ans.

— Ça serait fantastique, avait-elle répondu.

Le dimanche suivant, Stella ne tenait plus en place, l’idée d’aller au « Français » l’excitait tellement ! Elle n’était encore jamais allée dans ce quartier du Palais Royal, avec ses jardins réputés, ne cessait pourtant d’imaginer le lieu si prestigieux, les couloirs, les escaliers que lui avait décrits son père.

— Mais quand part-on, papa ? demandait-elle à tout instant.
— Donne-toi un coup de brosse. À force de courir pa r tout, tu es toute échevelée.

Elle avait mis sa belle robe avec ses petites roses en v e lours grenat. Son père la regardait s’agiter en tout sens avec un sourire bienveillant et heureux.

— Couvre-toi bien, lui dit sa mère, qui apparut sur le seuil du salon, enveloppée dans un grand châle en laine noire, la mine fatiguée ; elle ne pouvait détacher son r e gard de son enfant, de sa chère petite Stella, son bonheur lui suffisait.

— Mais pourquoi n’es-tu pas habillée maman ? dit Ste l la. Elle avait cessé de cabrioler pour fixer son regard sur l’air étrange et le visage fatigué de sa mère. L’air a b sent, elle semblait pourtant se réjouir de la joie insouciante de sa fille.

— Je ne viens pas avec vous, chérie, je suis trop fat i guée, mais ne prends pas froid surtout ; mets bien ta pèlerine, tes gants et ton bonnet, lui répondit-elle avec un doux sourire épuisé.

— Chère maman que la mort devait happer si vite ; i n visible mort qui lui tirait déjà les traits ; délicieux sourire qui ne voulait pas avouer le mal qui la minait, atroce mort que je ne devais même jamais voir ; étrange masque mo r tuaire qui me serait refusé !

Stella et son père montèrent dans la vieille Citroën bringuebalante. La fête commençait. Ils arrivèrent place Colette, près des jardins du Palais Royal. Face à eux, la Comédie Française. Stella ne vit que la masse des piliers qui entouraient le bâtiment et la foule des spectateurs, e n fants et parents, qui grouillaient sur la place. Stella était fascinée par tous ces gens pressés, qui se hélaient sous le vaste portique.

— Viens, entrons tout de suite, il y a trop de monde ici, lui dit son père en la prenant par la main. Ils franchirent les portes escortés par deux imposantes dames assises et so u riantes, figées dans leur marbre éclatant. Stella tou r nait la tête à droite et à gauche pour ne rien manquer de cette entrée en scène ; le rouge des tapis, l’éclat des ors que fa i sait briller une lumière un peu trop vive. Ils prirent l’escalier de marbre blanc. Entrant dans la salle, elle pou s sa un grand cri d’émerveillement ; elle avait devant elle les ors, les velours grenat des fauteuils et des tapisseries, les bustes, le plafond peint, les cariatides à chacune des avant-scènes ; devant la scène, le grand rideau rouge éca r late à cordons dorés. Elle se lova dans son fauteuil et se fit toute petite, tant elle était impressionnée. Et puis tout alla très vite. Les trois coups solennels du début de la représent a tion retentirent. Elle devait en frémir e n core en y pensant des années plus tard.

À l’entracte, subjuguée par la pièce, le jeu des com é diens, surtout celui de Denis d’Inès en Argan, elle resta immobile. C’est son père qui dut la tirer de sa rêverie.

— Allons, Stella, lève-toi, dégourdis-toi les jambes. Tiens, il faut que je te montre quelque chose.

Ils se dirigèrent vers le foyer et son père lui montrant un vieux fauteuil dans une cage de verre, lui dit : « C’est dans ce fauteuil que Molière joua sa dernière pièce, Le Malade imaginaire .
C’était la fin de la quatrième représentation, le 17 f é vrier 1673. Condamné et le sachant, Jean-Baptiste Poquelin crache beaucoup de sang. Sa femme, Armande Béjart, son élève favori, Baron, insistent pour interrompre les représentations. L’homme se meurt, mais le comédien refuse de quitter la scène. Et moi, il me plaît de penser que c’est dans ce fauteuil, l’ultime soir (même si je sais que cela n’est pas vrai), que Molière a prononcé ces mots : « C’est un honneur de ne point quitter. La journée des o u vriers n’est pas finie. Ils n’ont que cinquante sols. »
Stella resta interdite, ne sachant si c’était la vue du fa u teuil béant où la mort avait surpris Molièr

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