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pages
Français
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Ebook
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Publié par
Date de parution
12 octobre 2016
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342153408
Langue
Français
« La lecture est souvent affaire de cannibalisme et de gourmandise, autant que de séduction et de magnétisme, le livre, un objet de magie et de sorcellerie, autant qu'une évasion et un dépaysement. Mais qu'y avait-il donc dans ce carnet pour que l'agent des objets trouvés l'engloutisse en une nuit ? » De sa plume satirique, Pascal Debrégeas nous narre ici, sous la forme d'un journal intime, l'histoire de Casimir Perrier, ancien fonctionnaire victime d'une feuille d'impôt impossible à payer et d'une bureaucratie sourde et aveugle. Acculé au fond d'une impasse, il décide de quitter le pays pour Taïwan. Mais refaire sa vie à l'étranger n'est pas si simple quand on est tourmenté par un mauvais démon... Par cette fable à la chute décalée, l'auteur décrit la mort de l'Occident et des valeurs humanistes, ravagés par la folie du capitalisme, l'idolâtrie de l'argent et l'égoïsme des hommes. Sa fresque impitoyable d'un monde désenchanté et proche de l'apocalypse pousse le lecteur à réfléchir sur sa propre condition.
Publié par
Date de parution
12 octobre 2016
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342153408
Langue
Français
Délit de fuite à Taïwan
Pascal Debrégeas
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Délit de fuite à Taïwan
À Georges Gutman, mon professeur d’histoire du lycée et éveilleur de conscience
Prologue
Aux premières heures du matin, un voyageur en provenance d’Asie sort d’un avion où il a passé plus de quatorze heures et se dirige d’un pas rapide vers le service d’immigration de l’aéroport de Roissy. Après avoir accompli les opérations de police et de douane, il s’engage dans le couloir qui mène aux bagages. Une fois sa valise de petite taille récupérée, il se dépêche de rejoindre le taxi qui l’attend à l’extérieur pour le conduire dans le quartier de la Défense, à Paris. Malgré son temps qui est compté, il tient à passer avant par le bureau des objets trouvés. Il doit, en effet, y déposer quelque chose de précieux. Une fois arrivé devant le comptoir, il appelle un employé et sort de sa poche un carnet qu’il lui remet. Puis il repart aussi sec vers la sortie.
Intrigué par cet homme d’affaires pressé et matinal, l’employé range soigneusement dans un casier le carnet qu’on lui a confié. Il se dit qu’il y jettera un coup d’œil à l’heure du repas. Le déposant n’a pas signalé que l’objet en question avait un caractère confidentiel. Vers midi, à l’heure du déjeuner, l’employé parcourt de manière distraite les premières pages du carnet, tout en mangeant son sandwich. Mais très vite, la distraction le dispute à la passion. Il est captivé par le récit qu’il découvre. Une fois sa pause achevée, il se jure de poursuivre sa lecture au plus vite et reprend son travail à regret. Son service enfin terminé, il replonge dans les notes du carnet comme un ogre qui dévore un festin. Enfin, en observant le lecteur qui tournait fébrilement les pages, on pouvait dire qu’il était mangé par le récit autant qu’il le mangeait. La lecture est souvent affaire de cannibalisme et de gourmandise, autant que de séduction et de magnétisme, le livre, un objet de magie et de sorcellerie, autant qu’une évasion et un dépaysement. Mais qu’y avait-il donc dans ce carnet pour que l’agent des objets trouvés l’engloutisse en une nuit ?
Chapitre 1
Mercredi 15 janvier
Je veux retrouver la joie qui était la mienne, ne serait-ce que samedi, pendant ma promenade, avant la double morsure du mardi 14. J’espère que rien ne s’est grippé ou cassé ce jour-là.
Il y a eu d’abord la révélation que j’avais un problème dermatologique qui justifiait des examens sérieux en clinique. J’espère que ce n’est pas trop grave. Et puis, quand je suis rentré du dispensaire, j’ai découvert dans ma boîte aux lettres un courrier du Trésor public. Immédiatement, je suis tombé à la renverse. Les impôts continuent de s’acharner contre moi, et cette fois, par un biais imprévu : celui d’une « dette sur salaire ». La somme est colossale, d’autant que je viens d’apprendre ce matin que je ne serai payé qu’en février, soit un trimestre complet sans rémunération : novembre, décembre et janvier.
J’aspire à retrouver très vite une situation normale. Maintenant, je hais trop la France pour y envisager quoi que ce soit. Au mieux, si je restais, je pourrais retrouver un emploi de bureau au fort d’Aubervilliers, autant dire la mort assurée. Ce pays est complètement fini. Hier, j’ai déchiré ma carte d’électeur ; je l’ai glissée dans une enveloppe destinée au palais de l’Élysée, en écrivant dessus : « Un ancien électeur socialiste qui a toujours voté à toutes les élections. Je ne voterai plus jamais socialiste car je suis socialiste. Merci, monsieur Morlente ! »
Je n’arrive pas à comprendre que dans un pays normal, on puisse envoyer sans précaution, sans explication, sans un délai de réflexion raisonnable, un avis d’imposition qui équivaut à trois fois le salaire mensuel d’un individu, et cela à régler avant un mois. Je dis que ce n’est pas humain et qu’à force de batailler contre cette inhumanité, on risque à son tour de perdre son humanité, on risque de devenir insensible, aussi insensible qu’un robot ou un moine soldat. Déjà, mon Noël avait été endeuillé par une facture d’impôt venue de Blois, une taxe d’habitation que je ne devais pas, et pour cause, puisque je n’avais jamais résidé dans cette ville. Dans ce pays, on peut recevoir des avis d’imposition tous les quinze jours, avec ordre de payer sous peine de passer devant un peloton d’exécution. C’est une machine aveugle et impassible qui risque de vous faire perdre la tête et votre âme, un monstre froid qui vous anéantit dans le silence et l’indifférence générale. La première violence en France vient de l’État. Jamais je n’ai senti au cours de ma vie une telle soviétisation de la société. Au moins, en URSS, il y avait la vodka et la musique !
En tout cas, je ne veux surtout pas perdre ma bonne humeur, mon envie d’écrire et de danser. Je ne veux pas que l’élan de la vie soit brisé net. Je ne veux pas leur donner raison, je veux pouvoir continuer à ressentir de l’amitié et de la joie, je refuse que mon cœur se vitrifie et devienne un caillou. Je me rends compte que quand on est trop agressé par cette machine bureaucratique, on est obligé de se forger une carapace pour se protéger des coups et blessures qui guettent en permanence. Plus je reste à Paris, plus je suis malade, plus je désespère, moins j’ai envie de vivre. C’est un pays qui donne envie de mourir, de se suicider. La meilleure façon de tuer un homme, c’est de lui envoyer une bonne feuille d’impôt, une note bien salée qui équivaut à plusieurs mois de salaire. Ça coûte moins cher qu’une violence policière, ça ne laisse pas de trace, c’est indolore, il n’y a ni cri ni bombe lacrymogène, il n’y a pas le risque d’un scandale avec mise en cause par les médias et demande de démission d’un ministre. C’est juste un petit meurtre préparé discrètement dans la pénombre d’un bureau, où le fonctionnaire, fier du devoir accompli, ne se sent aucune responsabilité, aucune culpabilité, puisqu’il a agi au nom du bien et de la loi. Sans doute espère-t-il obtenir une prime de résultat de sa hiérarchie en fin d’année, mais là n’est pas le problème. L’important, c’est que ce monsieur, peut-être bon père de famille par ailleurs, sera sans le savoir à l’origine d’un drame, d’un suicide. Mort sans coupable, mort sans mobile ; c’est le prototype du crime parfait.
Enfin, peu importe le sort de ce bonhomme. Moi, je veux simplement retrouver les joies simples de la vie, poursuivre la rédaction de mes romans et aller danser le tango sur les quais de Seine. Je ne sais pas si ça sera possible, mais je vais tout faire pour surmonter ce choc, pour oublier ce traumatisme. Après tout, je suis citoyen français, l’administration est là pour m’aider, me conseiller, me protéger, elle n’est pas là pour me traiter en délinquant, en ennemi, pour me punir, me flageller et m’humilier. Oui, je dois réagir positivement, il existe forcément des solutions raisonnables pour sortir la tête haute de ce piège angoissant. Il y aura bien quelqu’un pour m’entendre, quelqu’un qui examinera mon dossier et qui découvrira qu’il y a une erreur, une grossière erreur. Oui, il ne faut pas dramatiser, la raison et le bon sens doivent pouvoir l’emporter dans cette affaire absurde. Je vais de nouveau relire ce courrier à tête reposée. J’ai sûrement dû en exagérer les termes dans un moment d’angoisse.
Bon Dieu, mais ce n’est pas vrai ! Je n’y comprends vraiment rien à ce charabia ! C’est du petit nègre, c’est de l’hébreu… Voyons, relisons calmement : « Titre de perception… Direction générale des Finances publiques… Objet de la créance : indu sur rémunération, cf. détail infra… » Ça veut sûrement dire qu’il y a une explication à l’intérieur… Tournons cette maudite page ! « Référence du titre : 078455 12 2500… » Ah, c’est trop long, rien à foutre ! C’est quoi la suite ? « Détail de la somme à payer » Ah ! voilà enfin l’explication, on y arrive… Je vais peut-être réussir à comprendre pourquoi ils me cherchent des poux. « Indu sur rémunération issu de la paye de janvier 2012 ». Mais bordel, ça fait trois ans en arrière ! On est en 2015 ! Comment ils veulent que je me souvienne ce que j’ai touché à l’époque ? C’était un salaire de misère, ça, c’est sûr ! Et ils veulent que je leur rembourse des salaires avec en prime la misère ? C’est indexé sur le taux de croissance, la misère ? Mais ils se foutent de ma gueule ? Les salaires, ils sont bouffés depuis longtemps, quant à la misère, elle a explosé plus fort qu’une bulle spéculative ! C’est moi qui devrais leur réclamer un remboursement à ces bandes d’enfoirés… Indu, indu, indu, mais c’est carrément indécent ! Bon, continuons à lire leur merde pour savoir comment je peux éviter de me faire égorger comme un porc… « Traitement brut issu de la paye de janvier 2012, montant initial de la dette : 2 944,84 dont recouvrement sur cotisation : RC 239,12 CSG, CRDS : 317,91 reste à recouvrer : 2 387,81. Prime activité issu paye janvier. Rappel année antérieure, montant initial de la dette : 782,96 reste à recouvrer : 782,96. Prime technicité, montant initial dette : 228,56 reste à recouvrer : 228,56. Total à payer : 5 487,65 euros. »
5 487,65 euros ! Bordel, mais c’est pas vrai ! Je ne savais pas que j’avais une dette aussi énorme vis-à-vis du Trésor public… Je ne m’en étais même pas rendu compte. C’est une dette qui s’est faite en silence, insidieusement, « à l’insu de mon plein gré » ! Elle a roulé comme une pelote de laine pendant des années, et maintenant, si on me recouvre, je n’aurais même plus une veste