Foutue mémoire
76 pages
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Foutue mémoire , livre ebook

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Description

Un recueil de cinq nouvelles qui font revivre les villages d’avant-guerre et les mœurs paysannes. Maternité, durs labeurs, inceste, amour impossible, peur du « qu’en-dira-t-on », grossesse avant le mariage, rumeurs malfaisantes... Et bien sûr l’invasion, les rancœurs, l’occupation, l’atmosphère pesante, la menace environnante et le climat de suspicion... Des personnages vrais pour des anecdotes pleines de justesse, et d’autant plus troublantes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2006
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748373202
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0041€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Foutue mémoire
Geneviève Biffiger
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Foutue mémoire
 
 
 
« Les abeilles pillottent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel qui est tout leur, ce n’est plus thym ni marjolaine : ainsi les pièces empruntées d’autrui il 1 les transformera et confondra pour en faire un ouvrage tout sien… »
 
Montaigne – Les Essais
 
 
 
Foutue mémoire
 
 
 
J’ai combien, déjà ? Foutue mémoire ! Attendez… Je suis née en 1922. Dire que je suis obligée de compter sur mes doigts, comme une écolière ! Dix, vingt, trente… ça me ferait quatre-vingt-quatre ans, c’est bien ça ? Oui ! Quatre-vingt-quatre ! A aucun moment de ma vie je ne me suis imaginée en vieille femme… Et pourtant, je ne rêve pas. Quand je les regarde, autour de moi, tous aussi décrépits les uns que les autres, je me dis qu’il ne fait pas bon devenir vieux. Encore que moi, physiquement, je ne m’en sors pas trop mal. Je marche seule, je mange seule, je m’habille presque seule. Il est vrai que si je me compare à la plupart, je suis une jeunesse ! Pensez ! Léon va sur ses cent ans, on vient de fêter avec tout le tralala les cent deux ans de madame Blanc. Il n’y a pas vraiment de quoi faire la bamboula ! Et il y en a toute une flopée autour des quatre-vingt-dix ans. C’est fou ce qu’on s’amuse ! A quoi cela sert-il de devenir aussi vieux dans cet état de dépendance totale ? Quel plaisir ? On est laid, on se traîne, on gémit, on a mal partout, le corps ne répond plus. Les hommes – qui ont tant couru après nous – ne nous regardent même plus. Et on leur rend la pareille, ils ne valent pas mieux que nous ! On attend que le temps passe, on monte s’allonger un moment, puis on redescend. Il est l’heure de manger peut-être ? Non ? Pas encore ? Ma parole, la pendule s’est arrêtée ! Pas le goût de lire, même des trucs pas compliqués, ni de regarder la télé. J’en ai une overdose – comme disent les jeunes – de leur télé ! Toujours les mêmes niaiseries, à croire qu’ils nous prennent pour des demeurés. On ne sait plus tricoter, ni broder, ni même recoudre un bouton ! On guette la porte d’entrée, on ne sait jamais, si quelqu’un venait rendre une visite ? La grande blonde, là-bas, on dirait ma nièce Josette ! Ah non ! C’est la fille de Marguerite, elles doivent avoir à peu près le même âge. Elle ne vient pas pour moi. Moi, si j’avais eu des enfants, ils ne m’auraient pas mise ici, dans ce dépotoir. J’en suis sûre ! Pourquoi ne prennent-ils pas leurs parents chez eux, avec eux ? C’est quoi, ce monde où les jeunes ne veulent plus s’occuper des vieux ? Des déchets, voilà ce qu’on est maintenant, des déchets encombrants, dégoûtants, qui se font pipi-caca dessus, et qu’il faut torcher comme des bébés. Sauf que les bébés, eux, sont jolis et l’on a envie de les croquer. Je n’ai pas eu d’enfants. Cela a toujours été mon grand regret, le seul regret de ma vie. Non, pas le seul. L’autre, ce n’est pas exactement un regret, c’est une blessure. Oui, c’est ça, une blessure sale qui, depuis plus de soixante-dix ans, refuse de cicatriser. J’arrive au bout de ma vie. Pourvu que je ne le revoie pas, ce chien, pourvu que je ne passe pas ma vie éternelle à ses côtés ! Pourvu que tout ce que l’on nous a raconté comme sornettes quand on allait au catéchisme ne soit pas vrai ! La vie après la mort, retrouver les siens dans la lumière divine, ne plus avoir de haine… tout ça, quoi. Pardon mon Dieu, si vous existez, pardon d’avoir des pensées aussi impies, mais lui pardonner ? Oublier ses sévices ? Impossible ! Même après ma mort, je lui en voudrai encore, j’en suis sûre. Il m’a bousillée dans mon corps et dans mon âme. Il a bousillé la vie de notre mère, de mes frères, de mes sœurs, et il a même réussi à bousiller la vie des autres, celles et ceux qui sont venus après nous. Et, à la réflexion, même avant nous, il était l’incarnation du diable qui avançait masqué.

Adolphe. Il s’appelait Adolphe, mon salaud de père. Enfin, celui qui aurait dû être un père. Un père, un vrai, ne se serait jamais comporté comme il l’a fait. Mais avec un prénom pareil, pouvait-il faire autrement ? Oh, je sais bien que ce n’est pas une question de prénom, je ne suis pas encore complètement sénile, mais je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec l’Autre, l’Illustrissime. N’empêche, depuis, aucune maman au monde n’a eu le désir saugrenu de prénommer son bébé garçon Adolphe. C’était sans doute un joli prénom, autrefois ? Plutôt doux à prononcer… a… dol… fe… comme un souffle… Etait-ce alors une question d’époque ? Bien sûr que non. Elle est aussi vieille que l’humanité, cette histoire là. Et de nos jours, elle fait encore la une des journaux, ainsi que la principale matière des procès d’assises. Je me demande bien pourquoi je pense à lui, cette après-midi. Ah ! Je sais ! C’est cette mauvaise langue d’Angèle ! Je l’ai entendue qui disait à sa fille, lorsque je suis arrivée au grand salon : « Regarde, c’est elle, la nouvelle, Clarisse, tu sais, celle que son père… ». Elle est sourde comme un pot, elle ne se rend même pas compte qu’elle parle trop fort et que tout le monde en profite, même ceux que cela n’intéresse pas. Sa fille, gênée, l’a interrompue. Heureusement. « Maman, ne parle pas si fort ! ». Je sais bien ce qu’elle allait dire, là, devant tous les résidents. C’est malheureux ! J’ai beau avoir rompu toute relation avec lui depuis plus de soixante dix ans… Il a beau être mort depuis très longtemps… J’ai beau être une vieille femme… Cette histoire me poursuit encore. Aucun répit ! Il y a toujours quelqu’un qui sait, et qui raconte aux autres pour qu’ils sachent à leur tour. Et le pire, malgré mon innocence, je me sens coupable. Encore coupable. Toujours coupable. Comme une malédiction qui n’en finirait jamais.

Je le revois encore, avec ses airs d’homme respectable. Vous pensez bien, un fonctionnaire ne pouvait être que respectable. Ca ne courait pas les rues, il y a quatre-vingts ans, un fonctionnaire ! Surtout ici, dans cette mauditebourgade. Je me souviens des dimanches, quand nous allions nous promener. Les gens se retournaient sur nous. Une grande et belle famille unie, respectée et respectable, comme on les aimait, avec un papa à la moustache conquérante, qui se rengorgeait, fier de sa femme menue et élégante qu’il soutenait galamment, et de ses six enfants aux raies bien dessinées et aux jolis souliers cirés. Moi, j’étais l’aînée, celle qui devait toujours être sage et raisonnable. Celle à qui l’on disait tout le temps, comme une litanie : « Toi qui es grande, fais ceci… Toi qui es grande, fais cela… ». Je crois bien que j’ai toujours été grande. Déjà à la naissance de mon premier frère, alors que j’avais à peine plus d’un an ! Inutile de rappeler que les naissances rapprochées des autres m’ont confirmée dans mon statut de « grande » ! Comme je les ai aimés, ces petits ! Je pense à vous chaque jour que Dieu fait, Jean, Mathilde, Louis, Adèle, Georges… Mes pauvres petits, tous disparus… J’étais votre petite maman. Notre vraie maman était toujours enceinte, ou malade. Elle était épuisée par les exigences de notre père. Toujours à exiger. Exiger que les repas soient prêts à l’heure, à son heure à lui. Exiger que le col de ses chemises soit amidonné comme il le fallait. Exiger que sa maison brille. Exiger que les enfants soient propres. Et sages. Surtout sages ! Pas pleurer, oh non ! Il ne fallait pas troubler sa quiétude, il travaillait, lui ! Il avait bien le droit de lire tranquillement. Et de se faire servir. Et de réclamer son dû chaque fois qu’un impérieux besoin le tenaillait. Je l’ai surpris, coinçant notre pauvre mère entre la table de la cuisine et l’évier, en train de lui soulever la jupe et de se déboutonner. Les enfants pouvaient entrer et les surprendre ? Cela ne lui importait pas. Un jour, j’ai entendu maman qui le suppliait : « Non, Adolphe ! Pas maintenant, non ! Clarisse nous regarde ! ». Il s’est mis à rire en la serrant d’un peu plus près : « Il faut bien qu’elle apprenne les choses de la vie ! ».
 
C’était quoi, les choses de la vie, pour une fillette de dix ans ? Ces choses mystérieuses que font les grands entre eux ? Et après quoi mon père semblait inlassablement courir ? Pour moi, à cette lointaine époque, les choses de la vie, c’était donner le biberon au dernier bébé, surveiller les plus grands quand ils jouaient dans la cour, aller acheter le pain, chercher des pommes de terre à la cave en dominant ma peur du noir, essuyer la vaisselle, mettre et débarrasser la table… Il y avait tant à faire dans cette maison pleine d’enfants ! L’école, pour moi, c’était ma délivrance, ma récréation. J’y allais avec délice. Là, je pouvais être une petite fille comme les autres, qui n’avait rien de plus à faire qu’écouter sa maîtresse. J’adorais cela ! Il y avait tellement de choses à apprendre ! Et j’apprenais vite, je comprenais tout. J’étais une très bonne élève. Je voulais, moi aussi, devenir institutrice. Mais mon père se moquait de moi. : « Une femme n’a pas à travailler – c’est bon pour les paysannes ! Son seul travail, c’est celui de sa maisonnée. Et sa seule obligation, c’est d’être au service de son mari. Et toi, ma fille, tu feras comme ta mère. Comme sa propre mère l’a fait avant elle ! Et quand tu auras douze ans, tu iras à l’école ménagère, pour devenir une parfaite maîtresse de maison. Ensuite, tu aideras ta mère, tu serviras ton père, jusqu’au jour où je te trouverai un bon parti, parce que, vois-tu, ma grande, je ne suis pas prêt à te donner à n’

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