Jan, le hooligan , livre ebook
144
pages
Français
Ebooks
2012
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Jamais je n’aurais cru possible que ma vie d’adolescent – un peu insolent, c’est vrai – puisse prendre un jour un tournant aussi dramatique. Les événements se sont déroulés peu de temps avant mon 17e anniversaire. Je venais de rendre visite à un ami punk à Berlin centre et je rentrais chez moi, sans me douter le moins du monde de ce qui se préparait. Fredonnant une chanson, j’ai monté à toute vitesse les marches de l’escalier qui menait à notre modeste appartement. Ma mère m’attendait dans la cuisine, les bras croisés. Son visage sévère exprimait à la fois l’indignation et la préoccupation.
Ce nom m’a fait frissonner. S’il y avait bien une chose qui faisait peur à tout citoyen de RDA, c’était de voir des agents du service de la sûreté intérieure avec leur badge gris et leur casquette à visière. Tout le monde était terrifié face à eux. Je suis resté pétrifié, pour un instant incapable de prononcer la moindre parole, fixant ma mère de mes yeux noirs écarquillés. Moi, Jan, j’étais muet… ce n’était pas peu dire!
– La… la Stasi est venue à la maison? ai-je répété en bégayant.
– C’est ça, a-t-elle dit, son torse se bombant au rythme de ses paroles. Cette fois, tu vas devoir te débrouiller toi-même!
– Mais… mais qu’est-ce qu’ils voulaient? me suis-je enquis prudemment.
Le visage de ma mère s’est congestionné.
– Ce qu’ils voulaient?! Tu me demandes sérieusement ce qu’ils voulaient, Jan?! Tu n’as pas une petite idée, mon garçon?! S’ils ont fouillé notre logement, c’est à cause de toi. Ils sont venus pour toi! Tu m’entends? Ils m’ont posé des questions à propos d’une bombe de peinture.
– Une bombe de peinture? Qu’est-ce que j’en ferais?
– Un farceur a tagué «RDA = KZ2» sur un mur à Köpenick3. Et, bien sûr, ils pensent que c’est toi!
– Moi?!
– Oui, toi! Qui d’autre aurait pu commettre un acte aussi insensé, si ce n’est mon Jan? Tu ne fais jamais rien d’autre que provoquer, provoquer et encore provoquer!
– Pas fou?! a crié ma mère en se prenant la tête entre les mains. Et les murs de ta chambre? Quel est le fou qui en est responsable?
Bon sang! ai-je songé, un sombre pressentiment me traversant l’esprit. Ils n’auraient quand même pas?
Le sol semblait se dérober sous mes pieds. Ça ne peut pas être vrai, ai-je pensé. Ce n’est pas possible.
– Et… qu’est-ce qu’ils ont photographié exactement?
– Tout! Ils ont tout pris en photo! s’est désolée ma mère. Tout, Jan. Tout! Ils ont tout retourné sens dessus dessous. Ils ont tout trouvé et emporté.
– Non! ai-je dit dans un souffle en m’affalant sur une chaise, complètement abasourdi. Non…
En un instant, ma vie, celle que je connaissais depuis toujours, s’écroulait. J’admets que, du haut de mes presque 17 ans, j’avais déjà fait pas mal de bêtises. Je n’étais pas ce qu’on appelle communément «un adolescent modèle». Se faire remarquer, telle était ma devise. J’étais un punk! J’avais les cheveux de toutes les couleurs et je les maintenais hérissés avec du savon et de la mousse à raser. Avec mes amis, nous traînions en vêtements déchirés et nous nous amusions à scandaliser les honnêtes citoyens par notre apparence extravagante et nos provocations. Nous nous considérions non seulement comme la terreur des petits bourgeois, mais aussi comme de véritables ennemis de l’Etat. Oui, comme des ennemis de l’Etat! Mais comment avais-je pu croire que cela continuerait indéfiniment? C’en était fini de moi. On ne pouvait pas être plus dans les ennuis que je ne l’étais alors.
Je n’ai pas dormi, cette nuit-là. J’espérais qu’à mon réveil, tout cela se révélerait n’avoir été qu’un mauvais rêve. Mais non, ce n’était pas un mauvais rêve. Le lendemain matin, la convocation écrite à la main trônait toujours sur mon bureau, notifiant: «Clarification d’un fait.» Mots obscurs, mais redoutables et sans pitié. Il n’y avait aucune échappatoire, aucun moyen de différer la confrontation, pas même de quelques jours. Il fallait que je m’y rende.
C’est donc lors d’une triste et grise journée d’automne, juste avant mon 17e anniversaire, que j’ai franchi la porte de la préfecture de police de Berlin centre. Ce jour devait changer ma vie à jamais