Jean-Paul II , livre ebook

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Karol se sent terriblement mal. Il s'agneouille sur son prie-Dieu, saisi par un pressentiment. Et si c'était lui ? Et s'il était l'élu ? Et si les cardinaux se rassemblaient autour de sa personne ? Comment serait-ce possible ? Comment pourrait-il succéder à saint Pierre ? Il tente de se concentrer mais trop d'idées se bousculent dans sa tête. C'est alors que la silhouette du cardinal Wyszynski se découpe dans l'ouverture de son box. - Éminence ? Le cardinal Wyszinski, d'ordinaire si froid, si distant, le saisit par les épaules et lui sourit. - Karol, si tu es choisi, il te faudra accepter. Karol sent le monde peser sur lui. Des larmes roulent sur ses joues. - C'est toi, Karol, qui vas faire entrer l'Église dans le XXIe siècle !

La vie de Jean-Paul II, des jeunes années de Karol Wojtyla à sa béatification.

Un récit haletant qui entraîne le lecteur dans une aventure humaine et spirituelle hors du commun.


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Publié par

Date de parution

26 septembre 2011

Nombre de lectures

30

EAN13

9782728916221

Langue

Français

Image couverture
Page de titre
À Mamie Rose Sénéquier, qui m’a laissé bien plus que son nom

À mon épouse, Ombeline, qui sait pourquoi

À ma fille, Léonore, que sans le savoir, j’attendais depuis toujours
« Si vous êtes ce que vous devez être,
vous mettrez le feu au monde entier ! »

Jean-Paul II aux jeunes,
Tor Vergata, 20 août 2000
I
C’est la fin.
Les violents coups d’épaule contre la porte de la maison ne lui laissent aucune chance, Karol hélas le sait bien. Bientôt, celle-ci cédera sous les assauts et tout sera terminé. Peut-être est-ce mieux ainsi. Cette nuit, Cracovie a été réveillée par les explosions, les cris et les coups de feu des Waffen SS qui, depuis trois heures du matin, ont investi la vieille ville et répandent la terreur dans les rues. Les mâchoires des chiens claquent dans le petit matin gris. Le martèlement des talons sur les pavés se propage peu à peu dans les étages des immeubles et achève d’effrayer les habitants claquemurés chez eux.
La semaine passée, presque cinq ans jour pour jour après l’invasion de la Pologne par les nazis et l’URSS, dans un dernier sursaut d’orgueil, Varsovie s’est soulevée. Dans la capitale exsangue, les membres de la résistance polonaise affaiblis par ces interminables mois de privations ont sorti de leurs cachettes des fusils et des grenades. Ils se sont organisés en sections, ont éventré les rues pour y creuser des tranchées et renversé des arbres pour dresser des barricades. Lorsqu’ils n’ont pas trouvé d’armes, ils ont pris des barres à mine, des pavés, des bâtons. Parfois même ils n’avaient que leurs poings pour se battre.
Cela, c’était la semaine dernière. Depuis, les Allemands ont décidé de mater une fois pour toutes la Pologne, cet enfant rebelle et insoumis, de la mettre à genoux.
« Baoum ! Baoum ! »
Les coups de crosse de fusil font vibrer tout le chambranle. Bientôt les nazis auront le dernier mot et ils enfonceront la porte. Karol a peur. Il sait que sa soutane de séminariste le désignera immédiatement comme ennemi et qu’il sera emmené.
On raconte que les Allemands viennent déloger de chez eux tous les jeunes hommes de Cracovie pour les regrouper ensuite sur des terrains vagues à la sortie de la ville ou près de la gare. Les plus récalcitrants, les partisans identifiés ou considérés comme tels, ou bien n’importe qui pris au hasard pour servir d’exemple, sont exécutés directement sous les yeux de leurs parents et de leurs amis. Il paraît qu’on fait monter les autres dans des camions bâchés ou qu’on les entasse dans des wagons à bestiaux pour les déporter. Mais où ? Là aussi, les rumeurs les plus folles circulent. On parle d’exécutions en masse et de camps de concentration.
Karol, comme tous ceux qui se sont cachés, ne sait qu’une seule chose : il vaut mieux ne pas être pris, ne pas être emmené, ne pas monter dans les camions bâchés.
« Baoum ! ! »
Dans un fracas assourdissant, la porte d’entrée de la maison des Wojtyla vole en éclats. Karol s’est réfugié au sous-sol de cette bâtisse austère de la rue Tyniecka. Il y a longuement habité avec son père avant d’intégrer le séminaire clandestin.
« Sortez d’ici ! Tous ! Tout de suite ! »
Les nazis sont au moins trois ou quatre à s’introduire chez lui. Au-dessus de sa tête, il entend leurs vociférations et la vaisselle qu’ils brisent sur le carrelage. Les murs tremblent des meubles qu’ils renversent ; ils enfoncent les portes à coups de pied. La barbarie se déchaîne. Karol est seul dans la maison. Son cœur s’emballe. Au vu de leur détermination, il comprend soudain qu’ils ne le ramèneront même pas jusqu’au point de rassemblement. Il a tenté de se dissimuler, il n’a pas répondu à leurs appels, ils ne lui feront pas de cadeau. Et d’ailleurs, à quoi bon s’encombrer d’un séminariste ? Une rafale de mitraillette résonnera dans ce sous-sol étroit et bas et se perdra parmi les cris de cette ville qu’on égorge.
La peur le paralyse. Il se sent si démuni. Il a à peine vingt-quatre ans et n’imaginait pas mourir aussi jeune. Quand les nazis auront terminé de fouiller le premier étage, quand ils auront inspecté le moindre recoin, mis chaque pièce sens dessus dessous, et mis la main au passage sur les quelques bijoux qu’il reste, ils descendront et viendront explorer le sous-sol. Et Karol n’a plus d’endroit pour se cacher.
Il ne se défendra pas. Il a la violence en horreur et refuse le combat armé. Il ne peut pourtant pas se laisser abattre comme un animal. Comment suivre le Christ dans des circonstances aussi exceptionnelles ? Qu’aurait fait Jésus à sa place ? Peut-on répondre au mal par le mal, à la haine par la violence ? C’est là sa conviction profonde, sa foi : l’amour du Christ balaie tout et ne nous abandonne jamais.
À cet instant pourtant, alors que des pères et des enfants sont abattus froidement et que le sang coule sur les pavés de Cracovie, où est-il, ce Seigneur ? Pourquoi n’intervient-il pas ? Et si ses amis, ceux qui ont choisi de prendre les armes et de rejoindre la Résistance sur les hauteurs des Carpates, avaient raison ? S’il fallait se résoudre à tuer pour faire triompher le bien ? Peut-on toujours tendre l’autre joue ? Karol est déboussolé.
Les Allemands descendent les marches quatre à quatre et se retrouvent dans le salon, exactement au-dessus de sa tête. Cette fois-ci, c’est la fin.
Il pense à ses parents, à son frère et à sa sœur qu’il va bientôt retrouver, de l’autre côté. Il croyait en deux choses, deux piliers sur lesquels sa vie reposait : le Christ et la Pologne. Or aujourd’hui, au cœur de cet été 1944, la Pologne n’est plus et le Seigneur semble sourd aux prières et indifférent à tous ces crimes insensés. Tout cela est si absurde à ses yeux. Et s’il s’était trompé ? Sa soutane, dont il était si fier, lui paraît soudain insignifiante.
« Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Les bruits de pas se rapprochent de la porte menant au sous-sol. Karol la fixe du regard, tout en haut de ces quelques marches dérisoires. L’image de son père, agenouillé en prière au pied du lit, le jour de la mort de sa femme, lui revient en mémoire. Cette foi solide et entière l’avait impressionné et cet abandon total et confiant - presqu’enfantin même - dans les bras du Père céleste s’était imprimé en lui.
Les conversations en allemand se font plus distinctes. Karol s’allonge, face contre terre, les mains sous le front en signe de soumission et de confiance absolues, comme il aurait aimé le faire le jour de son ordination, si seulement on lui en avait laissé le temps…
Les pas se rapprochent encore. Il ferme les yeux. La photo de ses parents dans la poche de sa chemise, il tremble. Ses mains sont moites sur le carrelage. Plus que quelques mètres et ils pousseront la porte. « Notre Père qui es aux cieux » - trois pas, deux, un seul. Karol se contracte et tente de faire le vide en lui - « Que ton nom soit sanctifié » - les images et les souvenirs se bousculent dans sa tête - « Que ton règne vienne » - son père le capitaine Wojtyla et Émilia, sa mère adorée - « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » - Edmund, le frère qui lui a tout appris et Olga qu’il aurait tant aimé connaître - « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » - la Vierge de Czestochowa et le séminaire clandestin - « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » - les amis du théâtre, les parties de foot, l’Université Jagellon - « Et ne nous soumets pas à la tentation » - l’intrépide Jurek et la belle Halina, Wadowice - « Mais délivre-nous du mal » - l’hôpital de Bielsko et les vers lumineux de Mickiewicz, les baignades dans la Skawa et les soldats de plomb… - toutes ces images tourbillonnent devant lui et l’étourdissent, il est si jeune mais il a déjà tant vécu. Terrorisé, le souffle court, il serre ses poings sous son front… et s’étonne soudain d’avoir eu le temps d’achever sa prière.
Il tend l’oreille : pas un bruit.
À l’affût, il redresse la tête et avise la porte. Elle est toujours close. Pourtant, le silence règne dans la maison. Hagard, il demeure ainsi un moment à reprendre ses esprits puis se redresse, incrédule. Il grimpe prudemment les marches et colle son oreille au bois de la porte. Rien. Personne. Les nazis sont partis.
Estomaqué, il s’assoit sur les marches et termine sa prière - « Amen ».
II
Peu à peu, au terme d’une journée d’horreur, les cris et les déflagrations s’éloignent. Un silence opaque tombe sur les rues de Cracovie. Un calme oppressant qui accompagne le déclin du jour et le retrait des nazis.
Karol demeure de longues heures derrière la porte du sous-sol à attendre que le danger se soit définitivement écarté. On entend encore, de loin en loin, l’écho d’une ultime détonation.
Lorsque la nuit a recouvert la ville depuis longtemps, on commence à percevoir, de-ci de-là, des volets qui s’entrouvrent prudemment, laissant apparaître des regards anxieux et des visages défaits par la fatigue et l’angoisse.
À son tour, Karol se décide à sortir de sa cachette. Il découvre la maison dévastée. La porte d’entrée, aux trois quarts effondrée sur ses gonds, laisse passer la nuit froide dans le rez-de-chaussée. Le vent siffle à travers les carreaux cassés, les rideaux dansent devant les fenêtres, le clair de lune peine à délayer la nuit. Il frissonne.
Sur la pointe des pieds, il s’approche de l’entrée pour tenter de distinguer quelque chose dans la pénombre. Il plisse les yeux mais dehors, l’obscurité est épaisse. Quelques bruits lui parviennent bien de la rue - des échanges murmurés en polonais - mais il est incapable d’en certifier l’origine. S’il s’agissait d’une dernière compagnie de SS venue débusquer ceux qui ont échappé à leur traque ? Il sait que les nazis sont assez vicieux pour imaginer cela.
À nouveau il a peur. La ville entière lui paraît hostile et par cette porte fracassée, elle semble vouloir le happer. À tâtons, il regagne le sous-sol et s’assoit sur les marches.
Si seulement il parvenait à dormir quelques heures… Il pose son front sur ses genoux et se ramasse sur lui-même. Si les nazis ont décidé d’expurger la ville de tous ses hommes, ils ont certainement dû arrêter Jurek et Kazimierz. Peut-être même les ont-ils trouvés dans leur cachette aménagée sous les toits, avec la belle Halina. En ce cas, ils ne les ont certainement pas épargnés. Et s’en prendre à une femme ne les aura pas arrêtés.
Plus personne aujourd’hui n’est à l’abri d’une dénonciation : les frères et les sœurs se livrent à l’occupant pour sauver leur tête. Les voisins se dénoncent pour régler de vieux comptes. Il paraît que la Kommandantur croule sous les lettres anonymes. La suspicion est partout. Dans la rue on se retourne, on s’épie. Tout le monde devient fou. C’est une part de chaque homme qui se meurt chaque fois qu’un ami en dénonce un autre. N’est-ce pas là d’ailleurs le projet des nazis ?
Ils ont d’abord déporté les résistants, les opposants, les communistes puis les Juifs, les Tsiganes, les personnes handicapées, les intellectuels, les homosexuels, les prêtres et les religieuses. Désormais, chaque Polonais est suspect. On ne baisse pas le regard quand on croise une patrouille ou on ne descend pas du trottoir pour laisser passer un officier et c’est l’arrestation immédiate. Ils ne prennent même plus la peine de chercher un motif.
Karol ne veut pas douter, il se l’interdit. Il n’a pas le droit de renoncer, pour Dieu et la Pologne, mais aussi et surtout pour son père, le capitaine Wojtyla.
Cependant à cet instant, il sent ses forces l’abandonner. Puisque tout ce en quoi il croyait se délite, puisque le mal et la mort triomphent, à quoi bon ? Tout à l’heure, si les nazis avaient ouvert cette porte, tout aurait été achevé. La flamme d’un coup de feu aurait surgi, éclairant une seconde le soubassement sombre, et il n’aurait plus jamais eu peur. Cela aurait été si facile.
Est-ce un effet de l’épuisement nerveux, du manque de sommeil ou de l’effroi violent qu’il vient de ressentir ? Quand enfin il ferme les yeux, il se revoit quelque trois ans auparavant. De retour d’une répétition de théâtre clandestine, il s’était mis à presser le pas dans la rue, pris soudain par une intuition affolante. Quelque chose n’allait pas, il le pressentait confusément. Son père avait besoin de lui. Vite. Faisant fi de toute prudence, il avait couru à toutes jambes pour rentrer chez eux. Plus il courait, plus la panique le gagnait. Quelque chose ne tournait pas rond. Son père le réclamait. D’urgence.
Il avait déboulé dans la maison et fait sursauter sa tante qui, à l’époque, occupait le rez-de-chaussée.
 - Karol ? Qu’y a-t-il ?
Sans répondre, il s’était précipité sur la porte du sous-sol et avait bondi tout en bas du petit escalier.
 - Papa !
Son père était couché. Il était presque vingt heures et cela ne ressemblait pas à cet ancien officier de l’armée polonaise.
 - Papa…
Il s’était approché prudemment du lit. Son père fixait le plafond, le regard vide. Le froid qui régnait dans la pièce était saisissant et dans le poêle ne restaient que des cendres. Les joues du capitaine, creusées par la fatigue et la privation, s’étiraient sur sa bouche entrouverte et sèche.
Le sang semblait s’être retiré de son visage livide, aux traits tirés. Ses mains posées sur le drap étaient refermées sur un chapelet de bois. Karol s’assit sur le rebord du matelas, retenant déjà des larmes. Il caressa délicatement le visage de son père que la raideur cadavérique avait saisi. Il sentit des sanglots venir se briser dans sa gorge. Son père était mort. Il se pencha sur lui, l’enserra de ses bras, et pleura.
Le capitaine Wojtyla n’avait pas supporté. Lui si digne, si fier de son uniforme et de son pays, lui qui avait accepté bien des épreuves - la mort de sa femme et de deux de ses enfants - sans jamais se départir de sa confiance filiale envers le Seigneur, lui qui était pour Karol et ses amis un modèle de courage et de piété, il n’avait pu supporter ces affronts. C’en était trop pour cet esprit sensible et idéaliste.
L’invasion surprise de 1939 l’avait profondément bouleversé. Le 1er septembre, les Stuka de la Luftwaffe avaient tiré Cracovie de son sommeil. La vieille ville avait subi des bombardements pendant que les troupes de Hitler enfonçaient la frontière et filaient vers l’Est. Les sirènes s’étaient mises à hurler et les habitants à courir dans un accès de panique.
La radio polonaise avait alors transmis cette nouvelle : « La Pologne est en train d’être envahie. »
Comme des millions de Polonais, Karol et son père s’étaient alors jetés sur les routes parmi les voitures, les calèches, les chevaux et les innombrables familles qui fuyaient à pied. Alors qu’ils avaient déjà marché presque cent cinquante kilomètres, l’Armée Rouge - qui envahissait le pays à son tour - leur avait barré la route. Accablés, ils avaient donc rebroussé chemin pour retrouver leur ville ravagée et occupée.
La Pologne, « leur » Pologne fut démembrée. Le Reich annexa Gdansk, la Prusse-Occidentale et la Haute-Silésie ; la belle Varsovie et le reste du pays devenant un Gouvernement général aux ordres du Führer dont l’ambition était d’exploiter et de piller le pays.
La vie à Cracovie recommença mais plus rien ne fut comme avant. Les patrouilles de la Wehrmacht prirent possession de la ville, multipliant les contrôles d’identité et les brimades, les arrestations surprises et les descentes dans les immeubles.
Un jour, après cinq longues heures d’attente sous la neige, l’estomac noué par la faim, le capitaine Wojtyla ne put obtenir sa ration de pain et de sucre. Il rentra chez lui et revêtit son uniforme d’apparat, avec ses épaulettes brodées d’étoiles, sa casquette, sa vareuse brossée, ses bottes reluisantes et surtout sa Croix d’or de l’Ordre militaire polonais. Avant de l’épingler, il souffla sur la prestigieuse croix noire frappée en son centre de l’aigle blanc et la lustra du coin de sa chemise. Lorsqu’il la lui avait remise, le général avait qualifié d’héroïque son action pendant la Grande Guerre. Cette croix, c’était sa fierté, son honneur, son pays. Il se rendit d’un pas volontaire à la Kommandantur pour dire ses quatre vérités au Gouverneur général. Il allait lui montrer que l’honneur signifiait quelque chose pour les Polonais.
 - Bonjour, soldats, je viens voir Herr Hans Frank, le Gouverneur général.
Les deux plantons d’une vingtaine d’années qui gardaient les grilles du château de Wawel fumaient en riant. Ils interrompirent leur échange et dévisagèrent d’un air goguenard ce vieillard qui venait de s’adresser à eux en allemand.
 - Qu’est-ce que tu veux, vieux schnock ?
Sur les traits du capitaine passa un air de stupéfaction choquée. Il bafouilla :
 - Je… Je suis capitaine de l’Armée polonaise, vétéran de la guerre de 1914 et Croix d’or de l’Ord…
Le soldat allemand ne le laissa pas finir.
 - La ferme !
Le capitaine demeura sans voix.
 - Le Gouverneur général ne reçoit pas les Juifs, les chiens et les Polonais alors tourne les talons… Tu as entendu ce que je viens de t’ordonner ? Tu baisses le regard et tu tournes les talons !
Le capitaine ne bougea pas. Après un instant d’interdiction - se faire traiter ainsi par des gamins dont il pouvait être à la fois l’officier et le père ! - il désigna sa médaille et s’apprêtait à réitérer sa demande quand un des soldats l’empoigna par le col.
 - Tu es sourd ?
De sa main libre, il saisit la Croix sur sa poitrine et la jeta à terre en riant :
 - Regarde ce que j’en fais de ta médaille !
D’un grand coup de talon, il l’écrasa puis bouscula à nouveau le vieux capitaine, tellement choqué par ce manque de respect - l’honneur du soldat n’est-il pas de traiter ses ennemis avec considération lorsqu’ils sont vaincus ? - qu’il tituba en reculant.
Il rentra chez lui, anéanti. Ainsi donc, c’était vrai : Dieu avait abandonné la Pologne.
Karol et son père souffrirent tous deux de la dure loi martiale que les nazis instaurèrent mais le capitaine, prématurément usé par les souffrances que la vie lui avait infligées, ne trouva plus les ressources pour faire face. La peur qu’il ressentait jour et nuit en entendant le claquement sec des exécutions au fond de l’impasse voisine, les trous écarlates que laissaient les balles dans le mur, la faim qui noyait parfois son regard avant de lui faire perdre connaissance, le froid qui fendit les pierres cet hiver-là, la police et les humiliations, la nuit sur la Pologne et les prières qui ne montaient plus jusqu’au ciel, probablement interceptées au passage par les chasseurs et les bombardiers de la Luftwaffe, tout cela, c’était trop. Plus qu’il ne pouvait supporter. Malgré sa foi ardente, il n’eut pas la force de résister à la maladie qui laissa Karol orphelin.
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