Journal d'une bipolaire , livre ebook

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« Bipolaire, ce terme à peine entendu, m'était totalement étranger mais je savais parfaitement maintenant qu'il me collerait à la peau. Pour le monde en général, je ne serai plus seulement Clara, je serai Clara la Bipolaire. » Clara Gewonheit a quarante-sept ans lorsqu'on lui diagnostique sa bipolarité. Un véritable choc pour elle et sa famille. L'auteure nous offre un témoignage sans concession de sa descente aux enfers, de ses séjours en hôpital psychiatrique et de son combat quotidien. Journal d'une bipolaire est un récit courageux, émouvant et véridique à découvrir absolument.

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Date de parution

26 juin 2019

Nombre de lectures

7

EAN13

9782342166941

Langue

Français

Journal d'une bipolaire
Clara Gewonheit
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Journal d'une bipolaire
 
 
 
À Z.
 
 
Six heures du matin. J’actionne avec précaution le volet automatique de la chambre. Il fait presque jour. J’entrouvre la fenêtre et écoute. Rien que le bruit des branches de l’arbre qui frappent le mur de l’appartement.
Le plus périlleux, traverser le petit couloir qui sépare nos deux chambres sans la réveiller, elle, ma grand-mère.
Je me déplace sur la pointe des pieds. La porte, la maintenir pour qu’elle ne grince pas. Je la soulève doucement. Les travaux ont été mal faits, il y a du jeu, soit elles ne se ferment pas, soit elles résistent. C’est le cas de la mienne.
Voilà qui est fait.
Je marque un temps d’arrêt. Sa chambre est grande ouverte. J’écoute sa respiration… régulière, c’est bon elle dort.
Je me faufile dans le petit couloir, une seconde porte que j’ouvre sans difficulté. Je ne la referme pas tout à fait.
Je me dirige vers les toilettes, me soulage et au moment de tirer la chasse, maudis tous les constructeurs. Le bruit de l’eau retentit me semble-il à travers tout l’appartement, quatre-vingts mètres carrés et cent vingt de terrasse et jardin.
À présent je vais vers les baies vitrées dans le noir. J’appuie à nouveau sur les boutons automatiques et entends, le souffle coupé, les volets qui se lèvent.
Il fait beau, j’en entrouvre une, passe sur la terrasse et respire l’air frais. Un petit cabanon abrite les bouteilles de vin et de champagne vides que l’on ne doit pas mettre en évidence, des vieux paniers, des torchons et divers ustensiles de jardin.
Le tuyau d’eau traverse la terrasse, des vieux bacs en bois sont accoudés aux murs. Des plantes les garnissent. Mon travail, c’est de les arroser matin et soir. Le seul qui me soit alloué en raison de mon manque de savoir-faire ménager. Je m’en contente.
Le petit jardin au-dessus de la terrasse aurait besoin d’être tondu. L’un de ses fils viendra le faire. Elle en avait six, deux sont morts, elle les rejoindra dès que Dieu l’appellera.
Je rentre et allume la cafetière, prépare son plateau sur la petite table en formica. Son bol, sa cuillère, sa serviette, son verre.
Je sors du frigo jus de pamplemousse et jus d’orange, les mélange et lui en sers un verre. Elle n’aime pas boire froid.
Je mets en route la bouilloire. Quant à moi, je bois du thé et du café, faute de n’avoir pas su choisir.
Je me verse une grande tasse de chaque et je retourne sur la terrasse, m’installe sur la table de jardin et attrapant un cendrier, allume ma première cigarette.
Hiver comme été je prends mon petit-déjeuner dehors, que ce soit en chemise ou en parka. Je n’envisage un petit-déjeuner qu’à l’air libre.
J’apprécie ce moment de solitude, j’aime le matin, entre l’obscurité et le jour qui se lève. Le néon du magasin d’en face brille de son vert éclatant. La boulangerie est déjà ouverte. Quelques rares voitures filent sur le boulevard.
Je me sens vivante parmi les rares personnes déjà éveillées. Cela ne va pas durer. Les lumières des appartements des immeubles autour commencent à s’allumer. Je les imagine se préparer au travail, déposer leurs enfants chez la nourrice ou bien plus tard à l’école. Le monde commence à s’affairer. Celui qui m’entoure.
Il est sept heures.
Je me retourne instinctivement. Je sais qu’elle est là. Je la vois arriver dans sa vieille robe de chambre en coton bleue trop grande pour elle. Elle marche d’un pas décidé en me regardant. Son chihuahua nommé Christmas la suit, fragile sur ses pattes. Nous le lui avons offert il y a quelques années pour Noël. Son meilleur cadeau. Ils ne se quittent plus.
Que ce soit au bridge où il reste sur ses genoux pendant des heures ou bien à travers le monde qu’elle sillonne encore, fidèle, il la suit obstinément.
Je me lève, prends ma tasse de thé, ouvre la porte-fenêtre, laisse passer son chien, et me dirige vers elle pour l’embrasser.
Ses joues sont douces, je l’embrasse délicatement et tendrement. Dans la famille on ne se touche pas. C’est la seule manifestation physique que nous nous autorisons avec le baiser du soir, alors j’en profite.
« Comment peut-on se lever à six heures du matin quand on pourrait se lever à huit ? me dit-elle d’un ton grondé, et comment peux-tu me réveiller tous les matins à cette heure-ci ? »
Je lui souris, je ne l’ai pas réveillée aujourd’hui. Je le sais. Elle est d’une incroyable mauvaise foi qui me ravit.
Je lui demande si elle a bien dormi, elle me répond que pour une fois oui, qu’elle a passé une nuit entière sans se réveiller et comme j’entreprends de commencer une conversation elle me fait signe qu’elle n’a pas encore mis ses appareils, ses oreilles comme elle dit, donc inutile de lui parler.
Je la regarde. Elle est à quatre-vingt-douze ans une femme d’une beauté remarquable. De beaux yeux vert amande, un sourire flamboyant, une taille de guêpe, perchée sur de longues et fines jambes.
Elle parle d’elle comme d’un vieux monstre à présent mais si le miroir est moins flatteur, elle a toujours du succès et n’a pas perdu sa coquetterie. La politesse des rois, dit-elle.
Je me ressers une tasse de café, elle me dit comme tous les matins, me remerciant de lui avoir préparé son petit-déjeuner, comment veux-tu que je reste autonome si tu fais tout pour moi…
Je pars avec ma tasse de café sur la terrasse, j’ai besoin de fumer.
Elle finira son petit-déjeuner seule, comme tous les jours. Notre quotidien est bien rodé, ensuite elle fera ses mots croisés pour lui stimuler l’esprit, prendra la salle de bains en premier comme je la refuserai, s’habillera et ira promener son chien tandis que je m’activerai avec nonchalance.
Rien ni personne ne m’attend.
J’ai quarante-sept ans. Il y a trois semaines j’étais encore à l’hôpital psychiatrique. Le verdict est tombé : bipolaire.
Il y a trois semaines je ne savais pas ce qu’était un hôpital psychiatrique et je ne savais pas la différence que cela faisait lorsqu’on l’annonçait. Je ne savais pas que les gens se figeraient un instant pour reprendre contenance très vite, qu’ils se détourneraient le plus rapidement possible et prendraient congé.
Bipolaire, ce terme à peine entendu, m’était totalement étranger mais je savais parfaitement maintenant qu’il me collerait à la peau.
Pour le monde en général, je ne serai plus seulement Clara, je serai Clara la Bipolaire.
Je cherche mon paquet de cigarettes, en attrape une, l’allume et en respire une longue bouffée. Je suis KO. Knock-out… j’ai déliré pendant quatre mois avant d’atterrir en HP (hôpital psychiatrique) comme ils disent, comme HO (hospitalisé d’office) avec cette particularité d’aucun droit de sortie, d’être entièrement dépendante du bon vouloir des psychiatres quant à une libération… j’y suis restée trop longtemps.
Les plus longues semaines de mon existence, les plus douloureuses aussi.
« Tu veux prendre la salle de bains ? », me demande-t-elle.
« Non merci, prends-la avant moi. »
« Tu viendras promener le chien avec moi ? »
« Non, pas aujourd’hui, demain peut-être. »
Je n’ai plus envie de rien, tout m’est effort. Mon fils est venu me chercher à Paris à ma sortie d’hôpital, a mis toutes mes affaires dans le coffre de ma voiture que j’étais incapable de conduire et m’a déposée chez elle.
Où aurais-je pu aller d’autre ?
Quand elle a accepté de m’héberger, elle a grommelé qu’à son âge, c’était vraiment déplacé de demander à une vieille femme de soigner une convalescente mais elle a accepté, heureuse de ma présence.
Entre elle et moi, c’est une vieille histoire.
Je suis sa préférée, depuis ma naissance, elle le dit haut et fort à qui veut ou pas l’entendre, créant bien des jalousies dont elle se fout éperdument. Elle m’aime d’une manière inconditionnelle, moi qui suis si différente et je le lui rends bien.
« Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ? »
« Je ne sais pas, peut-être irai-je au cinéma… »
Je vais quasiment tous les jours au cinéma, en début d’après-midi dans une salle d’art et d’essai où j’ai pris une carte d’abonnement. Je suis souvent la seule spectatrice. Cela m’effraye alors j’essaye de choisir une place où à mon avis j’ai le moindre risque de ne pas me faire assassiner ou violer.
Je m’installe au fond dans un coin pour pouvoir anticiper le danger et dans ma main je serre mes clefs, comme si elles pouvaient repousser un agresseur potentiel.
Le cinéma n’est pas que sur l’écran.
De temps en temps ma cousine Pamela m’accompagne, elle habite Simoland depuis une dizaine d’années, dans une vaste maison avec piscine, entourée de son mari et de ses deux chiennes.
Alors la séance est plus gaie, nous parlons pendant et après le film qui en général ne lui a pas plu, et puis nous faisons ensemble une partie du chemin du retour. Depuis notre enfance nous sommes inséparables. C’est une aubaine qu’elle soit de nouveau installée dans cette ville que nous détestons.
Pour l’instant, tandis que ma grand-mère se prépare dans la salle de bains je traîne, me ressers une tasse de café, allume une nouvelle cigarette et arpente la terrasse. Au-dessous du balcon des gens passent maintenant, l’air affairé. Ils se rendent probablement à leur travail.
Je ne fais plus partie de ce monde-là. J’étais consultante il y a encore trois mois dans un groupe de maisons de retraite, attachée à la direction générale. Cadre bien installée active, je travaillais d’arrache-pied. Mon travail était mon moteur.
Je vivais à Paris avec ma compagne Mathilde et ses deux enfants adoptifs, dans

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