La pluie sur le rosier
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La pluie sur le rosier , livre ebook

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Description

"Il arrive que par quelques dispositions natives nous soyons plus naturellement portés à nous souvenirs de nos joies plutôt que de nos désespoirs ; c'est souvent aussi parce que ces joies étaient de celles qui accompagnent les expériences fructueuses. Alors quand la vie a passé, et que ses avatars nous ont privés de ces lieux, de ces visages, de ces paysages où s'épanouirent nos émotions et grâce auxquels nous nous sommes construits, les chemins mystérieux de la psychologie nous les font retrouver dans le regret et la tristesse sans doute, mais aussi dans un bonheur d'éternité, et une gratitude inexprimable : ces lieux, ces instants, ces visages, je leur devais mes quelques lignes silencieuses." Par la grâce d'une écriture mélodieuse et délicate, ce petit recueil de souvenirs que nous offre Patrick Heurley nous emporte dans un flot d'émotion et de nostalgie dont il n'est pas aisé de se détacher.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 mai 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342167528
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La pluie sur le rosier
Patrick Heurley
Publibook

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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La pluie sur le rosier
 
 

Nos jours enfuis, nos actes anciens, nos êtres intimes, et ce monde même qui était le théâtre de toutes ces scènes, tout cela réduit à de pauvres ruines, à quelques bribes d’images, à un écho dans les chambres du cerveau [...] tout s’est enfui, nulle magie ne peut les rappeler. Pourtant, imaginons que nous en soyons privés à jamais, imaginons que le mince fil de la mémoire que nous traînons derrière nous se rompe au ras de notre poche : à quelle vacuité, à quelle nullité nous serions réduits ! Car notre seul guide, notre seul moyen de nous connaître nous-mêmes, ce sont ces images du passé, peintes avec du vent…
 
R. L. Stevenson – Un chapitre sur les rêves
 
Nul atavisme réel ne prédisposait mon père et ma mère à un quelconque « retour à la nature ». Pourtant, il me parut comme naturel d’apprendre un jour que nous allions désormais organiser nos vies en tenant compte d’une « maison de campagne » où nous installerions des lits, des casseroles, des assiettes et des livres.
 
Je ne me souviens que mal de mes premières impressions quand j’ai découvert le village, il me semble que comme tout le monde j’avais été frappé par cette verticalité qui le caractérise : le rocher à nu souvent, presque des petites falaises par endroits, des murs immenses soutenant des esplanades, des terrasses, des escaliers, des raidillons. Le calcaire un peu gris dans lequel sont construits ces murs met ici une note de très discrète tristesse que bien sûr je ne vois plus aujourd’hui. Mais elle ne m’avait sans doute pas déplu à l’époque. Elle a pu suffire à motiver ce jugement surprenant dans une page de l’ Encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône où Ventabren, au début du XX e  siècle, était présenté comme un village « plutôt laid ».
 
Ici, la désagrégation de ce qui cimentait la splendeur originelle – encore devinable sous la banalité et la tristesse des lotissements, des « grandes surfaces » occupant du jour au lendemain une vigne ou un champ de blé – cette désagrégation a été brutale.
J’ai connu l’époque où à Ventabren, l’immobilité heureuse offrait tous les matins un monde paisible de tuiles moussues, de petits commerces, de chemins creux et de clarines. Puis il y eut une époque, mettons, il y a une quarantaine d’années, où à Ventabren s’opéra une mutation, s’organisa un voisinage amusant et tragique de roture et de grande bourgeoisie, de ruralité et d’urbanité déplacée. Les mœurs évoluaient, le village s’agrandit, sa population augmenta et les modes post-soixante-huitardes se heurtèrent à l’incompréhension d’un monde incompréhensible ; ça n’alla pas toujours sans heurts. Puis toute la place, ou presque, fut faite à une même fadeur, à une banalité sociale : des fortunes très au-dessus de la moyenne et venues de tous les azimuts. Un raffinement réel très souvent, mais souvent aussi un confort insolent, de mauvais goût parfois, une distinction de pacotille.
 
Il faudrait beaucoup de temps pour tout dire.
Les ruelles ont changé : elles furent écaillées, avec des murs et des façades crevassés, craquelés ; elles sont aujourd’hui plus soignées : du fer forgé orne les fenêtres et barre les jardins, les volets sont peints en vert amande, en bleu lavande, en rouge sombre.
 
Des maisons
 
Non loin de chez nous se trouve toujours, à peu près inchangée, celle où au cours des années nous aurons vu défiler une bonne demi-douzaine de propriétaires. Quand nous nous installâmes, elle était occupée par un couple âgé : elle, sorte de mère maquerelle retraitée, peinturlurée, l’œil en coin du bois au passage des hommes, même à plus de soixante-quinze ans ; lui, petit homme rondouillard, triste et résigné. Il est mort le premier. Elle finit un peu plus tard, dans la crasse et dans l’alcool : chaque semaine les héritiers lui apportaient des bouteilles de gnôle. Notre mère, qui faisait ses piqûres à la vieille femme, suivait l’affaire sans pouvoir y changer grand-chose. On entendait parfois la mère B. partir dans des fous rires interminables, d’autres fois c’étaient des sanglots déchirants…
 
La façade couverte de lierre de la belle maison ayant appartenu à monsieur R. La fortune grâce aux bijoux, bronzage aux ultraviolets, chemise Lacoste toujours impeccable, les mocassins de cuir précieux et le Meccarillos toujours vissé au coin du bec, le regard malicieux. Je ne sais pas ce qu’il est devenu.
 
Le Prieuré, dans la montée vers les ruines du château, le Prieuré, propriété du directeur du quotidien « Le Provençal » à l’initiative de qui, tous les ans, était célébrée la remise du Prix littéraire de Provence. Sans jamais s’être rendus à la cérémonie, les parents eurent pourtant, je crois, l’occasion d’un jour saluer Marie Mauron, lauréate cette année-là, et une autre fois de se pousser du coude au passage d’Henri Bosco.
La jolie maison de Francis Rouard, avec la courette en contrebas et le chenil. Des fleurs aux fenêtres. Francis Rouard, en son temps le seul maçon du village ; la bonté même, taiseux et souriant, le visage recuit. Je tenais de mon grand-père maternel un amour de la chasse imprécis : Francis m’emmena à la chasse et je connus grâce à lui l’odeur capiteuse de la poudre T, l’éblouissement du givre dans les romarins, la pluie dégouttant des pins argentés en octobre et la tiédeur du perdreau à travers la toile brune.
 
Et la petite école communale, d’un style très républicain avec, gravés dans la pierre grise au-dessus du préau, ses deux frontons péremptoires : « Garçons » - « Filles ».
(Pourquoi est-il si difficile à comprendre, ce sentiment de joie et de chagrin mêlés naissant d’un regard sur la cour de récréation déserte d’une petite école de village ? Est-ce le souvenir de nos jeux – les billes, les osselets, les petites voitures Dinky Toys ? Est-ce celui de nos « bonnes » et de nos « mauvaises » notes ? Est-ce parce qu’aujourd’hui nous savons un peu mieux que, sans doute, il est impossible de « savoir » ? Et qu’en tout cas le verbe « savoir » ne se conjugue élégamment qu’au conditionnel ? Ce n’est sûrement pas perdre son temps que d’examiner la question.)
En novembre, pendant les vacances de Toussaint, les platanes lâchaient leurs feuilles ; elles s’accumulaient dans les recoins de la cour de récréation, contre les murs des latrines, sous le préau. Ni le grand soleil ni la pluie d’automne ne modifiaient le charme de ce tableau.
Aujourd’hui, uniquement parce que le temps a passé trop vite, je vais souvent poser mon regard sur la cour de récré de la petite école communale dans laquelle pourtant je n’ai jamais joué.
 
Enfin, notre maison.

Décembre s’achève. Bref voyage au village pour un problème de compteur EDF, et pour ramasser encore quelques objets, quelques souvenirs.
Ici, chaque livre, chaque objet, chaque trace de mes souvenirs est comme un rai de lumière allant vers l’infini.
Comment, dans quelles circonstances les meubles, les objets, les tableaux sont-ils arrivés dans ces murs ? Pour les meubles et les objets, je ne me souviens pas très bien. Pour les livres et les tableaux, pour chaque tableau, je me souviens. Quand mon père peignait, je n’étais jamais loin, je l’accompagnais. Je l’avais accompagné quand il avait calé son chevalet devant ce chaume immense (Je l’entends encore s’écrier « Mon Dieu, ce jaune ! ») avec à droite un pin, immense lui aussi, et ombrant des toits orangés. Je revois bien tout ça, c’était du côté des Milles. L’ébauche à l’huile sur le carton rigide posé devant la cheminée – Le rouet et les glaïeuls – je l’accompagnais aussi ; je m’étais mis un peu...

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