Les Années irréversibles
340 pages
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Les Années irréversibles , livre ebook

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Description

1939, Saint-Jean-de-Luz. Marie débarque dans la vie tranquille de Catherine comme une tempête après une chaude journée d’été. Une petite sauvageonne, lunatique et déroutante, différente et intrigante. Celle qui deviendra sa sœur, sa meilleure amie : sa petite cousine, pourtant âgée d’un an de plus qu’elle, celle dont l’enfance n’avait pas été la sienne, mais l’avait rejointe, depuis l’autre côté de la Méditerranée. Alors qu’elle découvre avec son frère Raoul sa famille métropolitaine pour les vacances, la guerre éclate. En 1947, lorsque leurs parents se séparent, les enfants se retrouvent dans la famille de Catherine. Mais l’avenir réserve un nouveau départ, et Marie rejoindra sa terre natale pour suivre l’amour de sa vie. L’état d’urgence sera décrété, puis prolongé...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748374421
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Années irréversibles
Mireille Bastien-Thiry
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Années irréversibles
 
 
 
À Gabriel,
À Éric,

En m’évadant dans l’écriture,
j’ai lentement apprivoisé
la douleur de ton absence.

 
 
 
« Les années heureuses sont des années sauvées.
De même sont irréversibles les années malheureuses
de l’enfance. On les transporte avec soi jusqu’à la fin. Elles vous ont marqué du signe plus ou du signe moins. »

Rezvani
( Variations sur les jours et les nuits , Seuil, 1985.)

 
 
 
 
 
 
Nous sommes tous en exil de notre enfance. Elle est restée sur une autre rive d’où l’on ne revient pas. Dans le mot "exil" il y a tant de nostalgie, d’éloignements et de regrets, qu’il faudrait avoir la sagesse de ne jamais refaire le chemin en arrière. J’ai peur des regrets stériles, j’ai peur de déranger un coin de mémoire où flottent des fantômes et trop d’autrefois, j’ai peur des comptes à rebours qui éloignent sournoisement de la réalité et poussent à l’introspection. Il faut donc reconnaître qu’avec un tel postulat de départ, j’aurais dû laisser l’enfance dans ses limbes.
Toutes les familles se transmettent, de génération en génération, des anecdotes qui suffisent à établir une continuité, et à ancrer profond les racines qui lient notre mémoire. Les albums de photos se fanent lentement sur les étagères du passé et sont les témoins silencieux de ces souvenirs que nous tenons pour authentiques.
Toutes les femmes de mon âge qui ont vécu leur enfance et leur adolescence dans une ville de Province, ont eu, à peu de chose près, des parcours analogues au mien. Nous fréquentions une institution religieuse, nous avions notre paroisse où nous suivions scrupuleusement les dates du calendrier religieux dont les fêtes rythmaient les réunions familiales. Nos vacances se partageaient entre des maisons de campagne ou des villas de bord de mer. Nous retrouvions grands-parents, oncles et tantes, cousins et amis et tout ce petit monde clos transportait à l’ombre rayée des tentes de la plage, ou dans quelques vieux châteaux, plus ou moins délabrés, ses bonnes manières, ses certitudes, et ses histoires de famille.
Est-ce la maturité qui donne, tout à coup, envie de marquer une pause au cœur de la solitude et de reconstruire, jour après jour, le chemin parcouru ?
Ou est-ce parce que tu es morte, Marie ! Toi, dont l’enfance n’avait pas été la mienne, mais l’avait rejointe ! Toi, qui as débarqué dans ma vie tranquille comme une tempête après une chaude journée d’été
Tu m’as dérangée dans mes certitudes, bousculée quand je n’aspirais qu’au calme, obligée à ouvrir mes fenêtres quand j’aurais aimé les tenir fermées aux bruits trop forts de l’extérieur. Tu as emporté, à tout jamais avec toi, la sérénité vers laquelle je tendais de toute mon âme.

 
 
 
 
 
Après un silence aussi profond qu’une léthargie, je me réveille à ton souvenir. Il me vient un tel besoin de parler de toi, que je veux entrer en écriture comme on entre en religion, avec tout ce que cela comporte de détachement, de douloureuse introspection, mais aussi de bonheurs furtifs. Je veux vivre avec toi ce long hiver lorrain qui commence, et peut-être un autre, et un autre encore, jusqu’à ce que j’aie tout dit de toi.
Simplement dire les choses, et les dire simplement avant que le temps n’emporte le souvenir et nous laisse comme des voyageurs sans bagage sur les rives de la mémoire désertée.
Quand je pourrai dire ton nom sans que mon cœur s’affole, quand je pourrai feuilleter calmement le grand album de notre jeunesse, regarder une à une les photos que j’ai patiemment réunies et classées, quand je pourrai enfin accepter l’idée que tu ne reviendras jamais, je serai exorcisée de toi, ou seulement en Paix
Alors, je n’aurai plus rien à dire.

 
 
 
 
 
Jusqu’à l’automne 1939, mes souvenirs sont assez flous. Il faudrait pouvoir redevenir petit en imagination, pour donner à chaque réminiscence sa place exacte dans le temps. Notre mémoire est celle des autres quand il s’agit de la période indécise de la petite enfance. Ce que les adultes nous ont raconté se superpose à nos propres souvenirs.
Il suffit pourtant de si peu de chose, un parfum, un air oublié, une saison, pour que des images fulgurantes se reforment : une odeur d’anis et de menthe flottant dans la rue Garat, qui, à Saint-Jean-de-Luz monte de l’église à la Digue… et je revois le marchand de berlingots dans sa vitrine ouvrant en fenêtre sur la rue, étirant devant nous ses longs rubans multicolores ; des cantiques en Basque repris en chœur par les trois étages de tribunes réservées aux Hommes dans la vieille église ; l’été qui s’en allait tardivement aux premiers jours de septembre en même temps que le flot des habitués du mois d’août, les tentes de la Plage qu’un vieil homme aux pieds brûlés de sel, re liait jusqu’à l’année prochaine. En octobre, le parfum vanille des regains dans la vallée de l’Aisne ; le silence feutré de nos longs hivers lorrains, la première neige et les fleurs de givre sur les fenêtres mortes de Janvier, l’odeur des marrons brûlés éclatant en bruit sec dans le four du poêle de faïence !
Je regarde une photo d’un été lointain… elle n’est plus en noir et blanc mais en jaune ivoire. Elle a le charme obsolète d’une époque révolue, un côté languide et fané qui me fait penser à un film de Visconti. Les visages sont doux et paisibles. La lumière d’une fin de journée chaude trace de grandes ombres allongées sur le sable. Et je me demande combien de temps encore nous avons pu retenir cette douceur irréelle ? Combien de temps encore avons-nous vécu protégés par nos habitudes, nos bons principes et nos privilèges ?
En ce début d’été 1939, rien ne bougeait en apparence. Pourtant nous sentions confusément moins d’insouciance, une certaine tension et une gravité quand venait l’heure des nouvelles. Nos parents se regroupaient autour du poste de radio. Le mot guerre revenait souvent dans les propos échangés. Mais, à cette époque, les enfants ne se mêlaient jamais aux conversations des parents. Nous ne devions ni écouter, ni prendre part sans y être invités, aux discussions des adultes.

 
 
 
 
 
Je trouvais, surtout à mon grand-père que j’adorais, des airs tristes et absents. J’imagine seulement maintenant quelle angoisse devait l’étreindre ! Toute son enfance avait été assombrie par les récits de la guerre de 1870. Jusqu’à son adolescence, il n’avait vu les femmes de sa famille que vêtues de noir, portant le deuil de tous leurs morts. C’est animé par l’esprit de patriotisme et de revanche dont avait été nourrie toute sa génération, qu’il avait choisi la carrière des armes. À son tour, il avait vécu l’horreur de la guerre de 1914. Il y avait brisé sa jeunesse fougueuse, et connu les nuits de mort et de souffrance sur les fronts de l’Est. Pour lui qui était sorti vivant de la totale désespérance de Verdun, comment ne pas frémir en entendant les bruits de bottes lancés au pas de l’Oie, menaçant à nos frontières ?
Mes parents me semblaient égaux à eux-mêmes, sans doute parce que j’avais besoin de me rassurer à l’ombre de leur apparente tranquillité. Maman continuait ses sempiternels ouvrages pour la Grande Kermesse annuelle de la Paroisse. Mon Père suivait son rythme de vacance, presque immuable : le matin, achat et lecture de son journal, suivi de ses mots croisés et l’après-midi, bridge avec grand-père et les Oncles.
Pourtant, je fis une découverte insolite. Dans un placard où Maman rangeait ses trésors – chocolats, petits gâteaux secs – je vis un amoncellement de carrés de savon de Marseille, de boîtes de sucre, paquets de farine, bouteilles d’huile et… papier hygiénique !!! Pourquoi Maman jouait-elle soudain les fourmis prévoyantes ? L’hiver allait-il donc être si rude ? La nuit de cette découverte, je rêvais de cigales transies pleurant devant notre porte pour obtenir une petite part du trésor. Par la suite, je devais constater qu’à chaque rumeur de guerre dans le monde, à chaque révolution interne, ma mère aurait toujours le même réflexe, un instinct de conservation primaire oui la pousserait à conjurer sa peur en faisant des réserves. Ce serait sa façon à elle de lutter et d’agir. Et il est vrai qu’elle nous a toujours rassurés avec ses placards remplis.

 
 
 
 
 
L’été 1939 se déroulait comme les précédents : matinées de jeux et de bains sur la plage, repas de midi en famille dans la douce pénombre des volets mi-clos. Sieste et longues promenades de 1’après-midi dans 1’arrière-pays. Soirées calmes, fenêtres ouvertes sur le jardin pour faire entrer la fraîcheur du soir, longs vols d’oiseaux dans le soleil couchant, et le rayon vert sur la mer que l’on attendait au moment où le dernier regard du soleil bascule dans le crépuscule.
Nos semaines étaient ponctuées par les Offices religieux et la Messe dominicale. J’aimais le cérémonial du Dimanche qui commençait par un petit-déjeuner plus recherché : croissants, chocolat et brioche. Et puis le Dimanche c’était aussi la robe neuve, les socquettes blanches et les jolies sandales. À l’entrée de l’église, nous retrouvions toute la famille. La tribu se rassemblait sur deux ou trois rangs sous la chaire, les hommes montant aux tribunes. Nous étions fiers de pouvoir chanter les cantiques en Basque, nous sentant ainsi à part entière de cette province où la famille de grand-père puisait ses origines. Nous n’avions jamais le sentiment d’être contraints de suivre ces offices. On ne nous traînait pas à l’

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